chronique de jerome boutelier

Publié le 25 Septembre 2024

Haute enfance

Il y a Smurfeddine, le meilleur caillasseur de la banlieue de Tunis, le « Maillekeul Djaksonne » des quartiers : une forte tête prête à tous les défis, un vrai meneur de bande quoique plus fragile qu’il n’y parait. Il y a aussi Ghassen qui veut se prendre pour Rambo dégaine et vocabulaire à l’appui, un fils de riche que son père délaisse. Il y a encore Farid et sa tignasse blonde de « Françaoui », somme toute un bon gamin, aspiré par Smurfeddine dans l’estime duquel il s’acharne à rester. Et puis vient s’incruster parmi eux le petit frère de Farid, Slim, le Maradona des terrains vagues, innocent témoin de la virée de la petite bande.

C’est un monde d’enfants qui veulent devenir grands et qui désirent le prouver, mais face à eux se dresse l’implacable maitre d’école aussi brutal qu’énigmatique, symbole pour eux de l’étrange monde des adultes qui refuse de les laisser s’éclore. Les quatre gamins vont alors se livrer à une folle excursion au but inavoué, dont tous ne sortiront pas totalement indemnes.

Néjib avait déjà fait preuve de son art consommé de la narration dans la merveilleuse trilogie Swan. Il laisse de nouveau s’épanouir ici son sens du récit en nous embarquant dans l’univers que lui a inspiré son enfance tunisoise, et la tendresse de l’auteur pour ces mômes dont il conte la cavalcade initiatique affleure tout au long des pages. Le découpage de ses planches participe à l’immersion du lecteur avec des cases qui ont englouti toutes marges pour le plonger au cœur de l’intrigue, à en vivre les émotions de concert avec les petits héros de papier, à en ressentir les chocs dans les images qui se percutent. De ses quelques traits dynamiques au style reconnaissable Néjib donne chair à des personnages diablement vivants et expressifs. Ses aplats de couleur simples définissent efficacement les ambiances vécues, le bleu étincelant du ciel qui accompagne les enfants dans le gris des friches et des chantiers, le rouge sombre de la violence ou le jaune de l’évasion.

Dans un registre fort différent de ses précédents albums, Néjib nous attrape encore dans ses filets en nous régalant d’une histoire prenante au rythme effréné, qu’on lit d’une traite avec beaucoup de plaisir.

Haute enfance

Scénario et dessins Néjib

Editions Gallimard BD, septembre 2024

192 pages couleur, 26,00 €

 

Illustrations : Néjib © Gallimard BD, 2024

Jérôme Boutelier

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Chronique de Jérôme BOUTELIER

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Publié le 12 Décembre 2020

A l’approche des fêtes de fin d’année, voici des idées de cadeaux avec quelques albums BD parfaits pour se détendre ou occuper les longues soirées du couvre-feu : autant de titres incontournables à offrir ou à s’offrir et qu’il ne faudrait pas avoir manqués cette année. Nous vous proposons un choix de nos chroniqueurs...

La sélection de Jérôme Boutelier :

Les romans graphiques

  • Swan / tome 2 Le Chanteur espagnol (par Nejib, éditions Gallimard) : les débuts de l’impressionnisme dans une magistrale évocation romancée absolument passionnante, racontée avec une maestria étourdissante.
  • Géante (par Jean-Christophe Deveney et Nuria Tamarit, éditions Delcourt) : une jeune fille de taille gigantesque découvre sa différence en voyageant dans des contrées merveilleuses. Un conte initiatique et féministe au dessin naïf et poétique, dans un superbe album de 200 pages.
  • Peau d’homme (par Hubert et Zanzim, éditions Glénat) : en pleine Renaissance, une jeune italienne de bonne famille revêt une peau d’homme et découvre incognito l’amour et la sexualité dans un hymne à la tolérance aussi élégant que subtil.
  • Celestia (par Manuele Fior, éditions Atrabile) : dans une Venise post-apocalyptique au milieu d’un monde dépeuplé, l’épopée onirique de deux jeunes amoureux en quête de sens. Un univers graphique admirable sublimé par les couleurs, d’une merveilleuse poésie.

Un peu d’histoire

  • Bella Ciao, uno (par Baru, éditions Futuropolis) : une histoire populaire de l’immigration italienne en France à travers des souvenirs de famille mêlant réalité et fiction. Toute la maitrise de Baru dans son univers familier, avec son regard humaniste porté sur la société.
  • Le Banquier du Reich, tome 2 (par Pierre Boisserie, Philippe Guillaume et Cyril Ternon, éditions Glénat) : l'histoire de Hjalmar Schacht, banquier génial aux positions ambigües qui fut ministre d’Hitler, puis jugé et condamné à Nuremberg. Une très intéressante évocation historique menée avec dynamisme et joliment servie par un dessin réaliste minutieux.

Pour les amateurs de SF

  • Mécanique céleste (par Merwann, éditions Dargaud) : en plein monde post-apocalyptique une petite cité agricole tente d’éviter l’annexion par une ville puissante en acceptant de lier son avenir aux résultats d’un match entre leurs champions. Un rythme trépidant, un dessin maitrisé et dynamique, de belles couleurs, tout pour faire un album réussi.

 

Rien ne vaut un bon polar

  • Purple Heart / tome 2 Projet Blue Bird (par Eric Warnauts et Guy Raives, éditions du Lombard) : un privé enquête dans le Hawaï de l’après-guerre sur la mort d’un fils de bonne famille new-yorkais. Une intrigue captivante dans un scénario sans temps mort, avec le superbe dessin réaliste du duo d’auteurs et les couleurs splendides des tropiques.
  • La Dernière rose de l’été (par Lucas Harari, éditions Sarbacane) : dans une villa au bord d’une plage, un écrivain débutant est témoin des frasques d’une mystérieuse voisine. En vrai maitre des atmosphères l’auteur signe avec sensibilité un polar d’ambiance très réussi, au dessin ligne claire et au découpage efficace.

BD documentaire

  • Tropiques toxiques (par Jessica Oublié, Nicola Gobbi et Vinciane Lebrun, éditions Steinkis / Les Escales) : une enquête extrêmement fouillée et complète sur le scandale du chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe de 1972 à 1993 et ayant dramatiquement pollué les terres pour des centaines d’années.

 

Pour les plus jeunes (et les grands aussi)

  • Charbon / tome 1, L’Espoir (par Michel Colline, éditions Paquet) : sur une planète minière polluée à l’extrême et où toute trace de nature a disparu depuis longtemps, un enfant découvre une feuille au fond d’une mine. Mêlant science-fiction, écologie et combat contre les tyrannies, un excellent récit tout public et bien servi par un dessin efficace et de belles couleurs sombres.
  • Croc-Blanc, un monde sauvage (par Pierre-Emmanuel Dequest, Editions du Rocher) : une superbe adaptation en BD du célèbre roman de Jack London. Le scénario restitue parfaitement l’émotion,  le dessin très réaliste est splendide et les couleurs somptueuses. Un très bel hymne à la nature.

Le coin des tout-petits

  • La Famille Passiflore, Pirouette & Nymphéas (par Loïc Jouannigot, éditions Daniel Maghen) : l’adorable famille de petits lapins s’aventure dans les jardins de Giverny. Un magnifique album illustré aux aquarelles subtiles et délicates, pour un grand moment de douceur.

     

La sélection de Bernard Launois :

Les romans graphiques

  • Aldobrando (par Gipi et Luigi, éditions Casterman) : Un grand récit d’initiation picaresque, savoureux et poignant que n’aurait pas renié l’écrivain Rabelais. L’histoire est originale, fort bien construite avec un suspense qui est maintenu tout au long de l’album.

Un peu d’histoire

  • La bombe (par Alcante, LF Bollée et Denis Rodier, éditions Glénat) : Assurément un ouvrage de référence pour (re)découvrir la genèse de la bombe qui a changé la face du monde lors de la dernière guerre mondiale.
  • Hitler est mort ! T1 (par Jean-Christophe Brisard et Alberto Pagliaro, éditions Glénat) les dessous d’une bataille entre les services d’espionnage soviétiques pour faire main basse sur la dépouille d’Hitler, réalité ou fiction.

 

Pour les amateurs de SF

  • Carbone et silicium (par Mathieu Bablet, éditions Ankama) : Derniers nés des laboratoires Tomorrow Foundation, Carbone et Silicium sont les prototypes d’une nouvelle génération de robots destinés à prendre soin de la population humaine vieillissante.
    Élevés dans un cocon protecteur, avides de découvrir le monde extérieur, c’est lors d’une tentative d’évasion qu’ils finiront par être séparés. Ils mènent alors chacun leurs propres expériences et luttent, pendant plusieurs siècles, afin de trouver leur place sur une planète à bout de souffle où les catastrophes climatiques et les bouleversements politiques et humains se succèdent...
  • La chute (par Jared Muralt, éditions Futuropolis) : Dans un futur plus ou moins proche, un virus s’apparentant à une grippe estivale sévit aux Etats-Unis et n’en finit pas de faire des ravages dans la population. C’en est au point que le gouvernement finit par instaurer une loi martiale, afin de juguler des conflits qui finissent par ressembler à un état de guerre civile. Cela ne vous rappelle rien ? Paru avant la pandémie, cet album ne serait-il pas prémonitoire ?

Rien ne vaut un bon polar

Il faut flinguer Ramirez acte II (par Nicolas Petrimaux, éditions Glénat) : Assurément la révélation 2018 qui confirme avec l’acte II, tout aussi tonitruant, d’un homme muet poursuivi à travers l’Arizona par une horde de tueurs à gages. Il n’est pas seulement le meilleur vendeur du célèbre aspirateur Robotop, mais il a aussi une double, voire triple vie… sans parler de son ascendance qu’il traîne comme un boulet.

 

Manga :

  • Sengo (actuellement 4 fascicules parus)  (par Yamada Sansuke, éditions Casterman) : Avec un premier album paru toute fin 2019, c’est le récit sur Les Pieds Nickelés chez Tardi. De retour du front, le mutique Kawashima, pourtant bien né, n'a jamais cherché à renouer avec les siens. Une rencontre inattendue avec une femme fait ressurgir le passé houleux d'un homme qui n'a jamais trouvé sa place au sein de sa famille. Dialogue enlevé, dessin hyperréaliste de belle facture, cette série a déjà reçu de nombreux prix mérités au Japon et en France, à commencer par le prix manga de l’ACBD. 

Pour les plus jeunes (et les grands aussi)

  • Le roi des oiseaux (par Alexander Utkin, éditions Gallimard Bande Dessinée) : La pomme, toujours la pomme. Ce fruit aura généré bien des soucis au cours de l'histoire ! Parce qu'une souris trop gourmande croqua dans un de ces délices sucrés en omettant d'en proposer à son ami le moineau, la guerre entre animaux à ailes et spécimens à poils est déclarée ! Ainsi commence cette histoire slave envoutante qui se lit au coin de la cheminée. (prix ACBD jeunesse 2020).

 

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Chronique de Jérôme BOUTELIER, #Coup de coeur Bernard LAUNOIS

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Publié le 5 Décembre 2020

Blake et Mortimer T27, Le Cri du Moloch

Délires et rédemption.

 

Les dégâts causés par les expériences passées du Professeur Septimus sont encore présents dans tous les esprits, et Mortimer cherche à tirer de sa léthargie son vieil ennemi Olrik, enfermé dans un asile psychiatrique. Mais il se laisse entrainer dans un laboratoire secret étudiant une seconde épave d’engin extra-terrestre, qui abrite une mystérieuse et menaçante créature venue d’ailleurs, toujours vivante. Blake et Mortimer parviendront-ils une nouvelle fois à sauver Londres du terrible danger qui s’annonce ?

 

Les codes traditionnels de la série créée par Edgar P. Jacobs sont respectés, mêlant une science-fiction mâtinée de fantastique à une enquête rondement menée par nos deux gentlemen. Pour autant, le scénario de Jean Dufaux s’écarte de l’habituelle opposition binaire de héros « tout bons » vs leurs adversaires « tout méchants », pour donner une consistance plus étoffée et complexe aux principaux protagonistes du récit. La paire Blake et Mortimer reste plus unie que jamais mais tout en roulant chacun de leur côté, le capitaine se permettant de désobéir aux ordres et le professeur de jouer à l’apprenti sorcier, tandis qu’Olrik se révèle héroïque.

Tous les amateurs de Blake et Mortimer replongeront avec délice dans le Londres de La Marque Jaune, l’ambiance de ses rues et de ses maisons et l’atmosphère so british de ses clubs ou des entrevues avec Sa Majesté. Le dessin est réalisé à quatre mains par un duo qui se complète harmonieusement : Etienne Schréder a imaginé le découpage et créé les décors typiquement « jacobsiens » tandis que les personnages, fidèles aux modèles de leur inventeur mais sans en être une copie servile, ont trouvé de la chair sous le coup de crayon élégant d'un Christian Cailleaux excellent. Les couleurs de Laurence Croix complètent efficacement l’ensemble pour dépeindre l’univers sombre et glauque des faubourgs industriels et des caves abandonnées.

 

S’il vaut mieux avoir préalablement relu L’Onde Septimus, paru sept années plus tôt et dont la lecture gagne d’ailleurs en sens à la lueur ce dernier album, le Cri du Moloch offre un nouvel éclairage intéressant et réussi sur des héros mythiques et familiers que l’on retrouve ici avec beaucoup de plaisir.

 

Blake et Mortimer T27, Le Cri du Moloch

Scénario Jean Dufaux / dessin Christian Cailleaux et Etienne Schréder

Editions Blake et Mortimer, novembre 2020

56 pages couleur, 15,95 €

 

Illustrations : Dufaux, Cailleaux et Schréder© Blake et Mortimer, 2020

Jérôme Boutelier

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Rédigé par Jérôme Boutelier

Publié dans #Chronique de Jérôme BOUTELIER

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Publié le 7 Novembre 2020

Tango T5, Le dernier condor

Ça tangue à Buenos Aires.

Ah ! Buenos Aires et les après-midi sur ses terrasses de café, le tango, les belles femmes… ! La pampa sauvage et une existence toute simple dans le ranch… ! La vie est belle sous le soleil de l’Argentine, et Mario et Tango se la coulent douce, l’un à la ville, l’autre à la campagne.

Mais les ennuis arrivent pour Mario, tout droit surgis de l’époque des dictatures : un ancien tortionnaire qu’il avait jadis fait coffrer l’enlève aux fins d’assouvir sa vengeance. Tango saura-t-il sortir son ami de ce très mauvais pas ?

Le périple sud-américain continue pour Tango, et si l’épisode se déroule dans un nouveau pays, la recette ne change pas. La paire de héros demeure tout aussi sympathique, mais il n’y a rien à faire, Tango et Mario s’attirent des problèmes partout où ils passent et dès qu’ils se croient à l’abri : quand ce n’est plus l’un, c’est au tour de l’autre. Le scénario de Matz est aussi rythmé que celui des premiers tomes, avec des adversaires toujours autant dénués de scrupules et contre qui il n’y a pas forcément le choix de s’abstenir des méthodes expéditives. On retrouve une des marques de la série, cette voix off qui parcourt les pages sur un ton légèrement décalé et qui concourt au plaisir de la lecture.

Le trait réaliste de Philippe Xavier rend parfaitement les grands paysages, les décors, et les personnages dans leurs expressions comme dans leurs mouvements. Le dessinateur fait encore preuve de son grand talent pour les cadrages, très réussis. Les couleurs, réalisées par Jérôme Maffre, habillent joliment les planches.

Voilà donc un nouvel épisode qui, sans surprendre  le lecteur, se montre dans la même veine que les précédents pour la plus grande satisfaction du public.

 

Tango T5, Le dernier condor

Scénario Matz / dessin Philippe Xavier

Le Lombard, octobre 2020

56 pages couleur, 14,45 €

 

Illustrations : Matz et Xavier © Le Lombard, 2020

Jérôme Boutelier

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Rédigé par Jérôme Boutelier

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Publié le 4 Novembre 2020

Van Gogh, fragments d'une vie en peintures

Une âme fragmentée.

En quinze chapitres de 4 à 8 pages chacun, Van Gogh, fragments d'une vie en peintures explore les tourments du prodigieux et sublime artiste que fut Vincent Willem Van Gogh. La progression du récit est chronologique et le suit pendant les 17 ans de sa vie d’adulte sur les différents lieux où l’ont conduit ses pas: d’abord l’Angleterre, les Pays-Bas, la Belgique, où il fut marchand d’art, enseignant ou missionnaire ; puis les épisodes bien connus de sa vie d’artiste à Paris, Arles, Saint-Rémy-de-Provence et Auvers-sur-Oise.

Mais l’album n’en est pas pour autant une biographie de Van Gogh, pas plus qu’il ne s’attarde à évoquer son œuvre. Il s’attache à suivre en quinze flashes les tourments de son âme, ses angoisses hitchcockiennes et ses délires hallucinatoires. Il laisse deviner sa quête artistique éternelle et inachevée, ses découragements et ses bouffées d’excitation, ses moments de paix comme de prostration. Des images transpirent son isolement, son emmurement, sa conscience aigüe de la mort et le long glissement dans une insondable mélancolie jusqu’à sa fin funeste.

Pour rendre tout cela, Zezelj présente de grandes et puissantes planches sans marges tout en noir et blanc, qui nous transportent dans les recoins obscurs de la pensée de l’artiste. Le découpage alternant pleines pages, fenêtres incrustées et larges cases empilées participe à un effet de cloisonnement de son être, et le clair-obscur des noirs et blancs enchevêtrés reflète ses souffrances et ses luttes internes.

D’ailleurs, pas de texte dans les planches : ni dialogues, ni pensées. Van Gogh s’est toujours senti incompris et Zezelj ne cherche pas à le faire s’expliquer mais l’abandonne dans la mutité. Seuls sont présentés en miroir de chaque chapitre un extrait de sa correspondance avec son frère Théo, exutoire dans lequel l’homme se livre enfin un peu.

L’ensemble pourrait paraitre lugubre, mais il est absolument splendide, à couper le souffle.

Le grand format de l’album, 262 x 370 mm, en fait autant un livre d’art qu’une bande dessinée, enrichi de courtes et utiles notes biographiques insérées en fin d’ouvrage.

 

Van Gogh, fragments d'une vie en peintures

de Danijel Zezelj

Hors Collection, Glénat, août 2020

152 pages N&B, 22,00 €

 

Illustrations : Zezelj © Glénat, 2020

 

Jérôme Boutelier

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Rédigé par Jérôme Boutelier

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Publié le 1 Novembre 2020

Bella Ciao (uno)

 

Le prix de la transparence.

 

Le soleil et les coups, la haine, la peur. Les cris, les pierres, les couteaux, les fourches et même les fusils, ils hurlent et frappent. Dans un superbe lavis de gris, les 32 premières pages de Bella Ciao nous assènent un coup de poing en pleine figure. La scène d’un réalisme saisissant et très cinématographique décrit la tragédie d’Aigues-Mortes en 1893, où les ouvriers italiens ont été massacrés par des Français jaloux de leur emploi.

Bella Ciao évoque l’histoire de l’immigration transalpine, entremêlant des faits historiques, fictionnels et semi-autobiographiques dans une narration volontairement décousue, comme un processus de reconstruction de la mémoire. Une fois passée la terrible introduction, le récit change d’époque et de couleur et s’enracine dans la Lorraine du milieu du 20e siècle pour se muer en univers de comédie à l’italienne. Dans le désordre des souvenirs du narrateur se succèdent les scènes hautes en couleur de réunions familiales et de querelles de clocher. L’atmosphère est chaleureuse et enjouée, tendre et ironique, et les pages laissent exsuder le parfum de l’italianité que chacun veut à la fois éloigner et conserver. La trajectoire de la chanson Bella Ciao en est le symbole.

Tel est le postulat de départ du nouveau triptyque de Baru : pour devenir transparents ou que leurs enfants le soient, les immigrants italiens ont dû payer un lourd tribut fait de sueur, de sacrifices et de sang. Avec cette histoire qui est aussi la sienne, Baru touchera au plus profond du cœur les très nombreux Français descendants d’Italiens : certains s’y retrouveront, d’autres mêmes s’en serviront pour s’imaginer ou s’inventer des pièces manquantes de leur propre histoire familiale.

Mais pour tous les lecteurs, le discours répercute au-delà de la propre origine de l’auteur un message d’une portée beaucoup plus étendue, et nous parle de l’étranger qui vit aujourd’hui à côté de nous de quelque contrée qu’il vienne, ou de celui que nous-mêmes avons été.

Dans la continuité de la démarche artistique de Baru, Bella Ciao est un récit subtil et personnel qui invite tout un chacun à réfléchir sur la part de son héritage et de ses acquis culturels.

Un réel coup de cœur !

Bella Ciao (Uno)

Scénario et dessin Baru

Futuropolis, septembre 2020

128 pages, 20,00 €

Jérôme Boutelier

Illustrations : Baru © Futuropolis, 2020

 

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Rédigé par Jérôme Boutelier

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Publié le 31 Octobre 2020

Un Cow-boy dans le coton

Dérangé de la chaudière.

Alors que Lucky Luke se ménage un temps de vacances dans un petit bled isolé, il apprend qu’une riche admiratrice, trépassée sans postérité, lui a légué toute sa fortune. Le voici donc quittant son Far-West pour un séjour en Louisiane à la découverte de la Plantation Pinkwater, la plus grosse de la région, avec la ferme intention de partager ses nouveaux biens entre tous les employés. Mais son projet s’avère presque impossible à mettre en œuvre : il se retrouve en butte à la farouche opposition des planteurs voisins, la méfiance des employés, la rapacité des inévitables Dalton ou la férocité du Ku Klux Klan. Saura-t-il se sortir de cette périlleuse situation ?

L’actualité des derniers mois aux Etats-Unis aura donné raison à Jul de s’être emparé du sujet depuis plus d’un an pour réaliser le scénario d’Un Cow-boy dans le coton : dans le western, le 9e art - comme le 7e art - ne laisse que les strapontins aux Afro-

américains. Pourtant, ainsi que le rapporte la postface, 25% des cow-boys étaient noirs. Jul nous convie alors à découvrir en compagnie du cow-boy solitaire un univers très éloigné du sien, la Louisiane latifundiaire raciste, violente, inégalitaire. Bien plus, il inverse les rôles : le héros justicier pétri de bonnes intentions se révélant plutôt candide et quelque peu désarmé, le salut viendra des descendants d’esclaves !

Tout le mérite de Jul est aussi d’être parvenu à traiter le sujet tout en conservant les codes traditionnels de la série. Il nous offre bons mots, situations cocasses (ah les Dalton extirpés d’un bayou putride par un Cajun bien authentique !) et clins d’œil ou parodies de l’actualité.

Le récit est bien sûr remarquablement servi par le dessin d'un Achdé toujours aussi virtuose et fidèle au style du père de Lucky Luke, à s’y méprendre. Les deux compères réalisent ainsi un album très réussi, peut-être le plus abouti depuis la disparition de Morris.

 

Un Cow-boy dans le coton

Scénario Jul / dessin Achdé

Editions Lucky Comics, octobre 2020

48 pages couleur, 10,95 €

 

Illustrations : Jul et Achdé © Lucky Comics, 2020

Jérôme Boutelier

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Rédigé par Jérôme Boutelier

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Publié le 28 Octobre 2020

Les Reines de sang : Njinga, tome 1

La Lionne du Matamba.

En cette première moitié du 17e siècle l’Afrique subsaharienne ne connait encore vraiment de la colonisation que quelques comptoirs, des têtes de pont pour se fournir en esclaves afin d’alimenter le lucratif commerce triangulaire. Le Portugal occupe ainsi Luanda, que dirige un gouverneur avide entouré de ses troupes et accompagné de quelques jésuites l’esprit empli de leur mission salvatrice.

Dans le Royaume du Matamba, aux confins de l’Angola, Njinga est devenue la reine en succédant à son frère après de sanglants événements. Lorsque son peuple se retrouve confronté aux ambitions portugaises, il lui faut exercer tout son art de la négociation.

Elle est sans doute la moins connue en France parmi les héroïnes de la série Les Reines de sang, car il n’existe dans les archives que peu de traces des royaumes africains à ces débuts de l’ère moderne. Njinga n’en est pas restée pour autant une obscure figure de l’Afrique précoloniale, sa renommée ayant traversé les siècles et fait d’elle un modèle et une source d’inspiration pour les femmes de l’Angola contemporain. Se servant des quelques données historiques existantes, le scénariste Jean-Pierre Pécau  brode autour de ces faits pour construire un récit trépidant qui courra sur 2 tomes. Il met en valeur la force de caractère de la reine et sa personnalité hors du commun, dressant le portrait d’une femme fière et décidée, intelligente, habile et impitoyable lorsque nécessité se fait sentir.

La dessinatrice transalpine Alessia de Vincenzi illustre le récit dans un style classique et efficace. Les personnages sont bien campés, et les paysages joliment dessinés autorisent de superbes scènes qu’habillent les couleurs chaudes réalisées par Nuria Sarayo. L’ensemble est réussi.

La bande dessinée n’a que rarement abordé cette période de l’Afrique, et Njinga comble très heureusement la lacune en proposant une histoire intéressante et bien agréable à lire.

 

Njinga T1, la lionne du Matamba

Scénario Jean-Pierre Pécau / dessin Alessia de Vincenzi / couleurs Nuria Sarayo

Editions Delcourt, septembre 2020

56 pages couleur, 14,95 €

Illustrations : Pécau, De Vincenzi et Sarayo © Delcourt, 2020

Jérôme Boutelier

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Publié le 27 Octobre 2020

Tropiques toxiques

« 22 ans d’épandage, 70 à 700 ans de pollution».

Ce pourrait être l’histoire banale d’une pollution agricole, à l’échelle de tout un territoire: Tropiques toxiques décrit pourtant une pollution exceptionnelle. De 1972 à 1993, les planteurs de banane de Guadeloupe et de Martinique ont légalement utilisé un pesticide aux effets ravageurs pour l’environnement, le chlordécone. Les conséquences sont dramatiques : la majeure partie des deux îles irrémédiablement polluée pour plusieurs siècles et des filières économiques dévastées. La santé de l’ensemble de la population est menacée, les modes de vie domestique sont bousculés et le scandale altère la confiance.

Comment les gouvernements successifs et les administrations ont-ils pu autoriser durant plus de vingt ans un produit que l’on savait être un dangereux poison pour l’homme et la nature ?

Dès les premières pages les intentions de l’auteur apparaissent : ce roman graphique est une BD documentaire destinée à mieux informer les générations montantes. La scénariste Jessica Oublié a mené deux années d’investigations pour une enquête extrêmement fouillée, réalisant 136 interviews et s’appuyant sur nombre de données chiffrées. Il s’ensuit des pages très touffues, mais le propos conserve toute sa clarté. Les différentes décisions administratives et gouvernementales prises depuis 50 ans constituent autant de surprises et de coups de théâtre qui dynamisent le récit en interpellant le lecteur. En abordant tour à tour les problématiques historiques et sociologiques, politiques et économiques, écologiques, sanitaires et sociales, Jessica Oublié dresse un tableau exhaustif de la situation. Laissant affleurer ses questionnements et ses colères, sans parti-pris mais sans concession, elle permet d’avancer dans la compréhension des responsabilités.

Le dessinateur Nicola Gobbi illustre le propos avec inspiration et énergie, gratifiant les planches de portraits expressifs et d’allégories inventives agréablement colorisés par Kathrine Avraam. Enfin, les clichés pertinents pris par la photographe Vinciane Lebrun et insérés dans les pages apportent une authentique touche d’émotion et de proximité avec les témoignages.

Par-delà l’information complète que sa formidable enquête offre sur le scandale du chlordécone, Tropiques toxiques possède, à l’heure des débats enflammés sur le glyphosate ou les néonicotinoïdes, une portée universelle en démêlant les entrelacs de mécanismes politiques et économiques typiquement générateurs d’un désastre écologique. Une BD indispensable pour mieux comprendre !

Tropiques toxiques

Scénario Jessica Oublié / dessin Nicola Gobbi / couleurs Kathrine Avraam / photos Vinciane Lebrun

Editions Les Escales - Steinkis, collection Témoins du monde, octobre 2020

240 pages couleur, 22,00 €

Illustrations : Oublié, Gobbi, Avraam et Lebrun © Les Escales - Steinkis 2020

Jérôme Boutelier

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Publié le 21 Octobre 2020

Pirouette & Nymphéas

Les Passiflore au pays de Monet.

Onésime Passiflore ayant fabriqué un petit pont japonais pour son ami Célestin Blanche et son épouse artiste-peintre, toute la famille Passiflore s’en va leur livrer l’ouvrage. Les cinq petits lapins sont tout heureux de jouer avec les enfants du couple Blanche, deux lapereaux bien décidés, et s'entendent avec eux pour construire une cabane sur l’étang aux nymphéas de leurs hôtes. Mais leurs nouveaux compagnons de jeu ont de drôles de règles : on ne joue pas avec les filles. Délaissée par ses frères, la débrouillarde Pirouette saura-t-elle se trouver des amies, et ne va-t-elle pas manquer aux garçons ?

L’adorable petite famille de lapins dessinée par Loïc Jouannigot enchante depuis plus de trente ans un large public de bambins, mais les parents sont tout autant conquis que leurs enfants par la merveilleuse poésie qui se dégage de leurs histoires. Pour le nouvel album

illustré des Passiflore paraissant aux éditions Daniel Maghen, Loïc Jouannigot, maintenant auteur aussi des textes, reprend avec bonheur la recette qui a fait le succès de la série. L’univers tendre et malicieux de la petite famille fleure à chaque page un doux parfum de bien-être : qu’il fait bon de se laisser emporter dans le monde délicieux des Passiflore et de se réfugier dans son douillet cocon !

Chacun trouvera son compte avec ravissement. Bercés par une jolie histoire avec une morale gentillette, les petits lecteurs seront charmés par un univers gai et familier, et captivés par les nombreux détails qui pullulent à leur hauteur, s’amusant à découvrir abeilles ou libellules, et souriceaux vaquant à leurs activités ludiques ou ménagères. Quant aux adultes, ils pourront s’extasier devant les aquarelles subtiles et délicates de Loïc Jouannigot et se régaler des évocations et des clins d’œil au grand maitre de l’impressionnisme : l’univers de Monet nourrit chaque instant, habillant la maison et sa décoration, parant le jardin et ses couleurs, inspirant les paysages et les personnages.

Pirouette & Nymphéas offre sa douceur à l’approche des fêtes en ces temps un peu moroses et angoissants, et se révèle un album immanquable à mettre entre toutes les mains.

 

Pirouette & Nymphéas

Textes et dessins de Loïc Jouannigot

Editions Daniel Maghen, collection jeunesse, octobre 2020

Album illustré, 24 pages couleur, 13,00 €

 

Illustrations : Jouannigot © Daniel Maghen 2020

 

Jérôme Boutelier

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Rédigé par Jérôme Boutelier

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