« La civilisation que nous leur apportons doit également engendrer un échange. A nous le cerveau, à eux les bras. » Avec ces brillants arguments, le Général Mangin obtint la création de régiments coloniaux en 1914 pour occuper les possessions allemandes à partir des colonies françaises. Chaque camp recrute de force les villageois dans ses troupes, mais les frontières tracées par les puissances européennes ne recouvrent pas exactement les territoires des ethnies:
ainsi au Dahomey, Bakary est enrôlé dans les Tirailleurs Sénégalais pour envahir le Togo voisin, territoire sous protectorat allemand, tandis que son cousin Babacar se retrouve mobilisé dans le camp ennemi. Se retrouveront-ils un jour face à face ?
Christophe Cassiau-Haurie, grand connaisseur de la BD africaine, collabore
régulièrement avec de talentueux dessinateurs subsahariens pour leur proposer des scénarios et leur permettre d’être publiés en France. Avec Les Dogues Noirs de l'Empire, la force noire, il évoque l’utilisation de troupes africaines par les puissances européennes pour défendre leurs empires en périphérie du conflit mondial. Il dépeint l’apprentissage difficile de soldats pourtant dociles, envoyés sans précaution au combat par des officiers préoccupés par leur propre carrière.
Le récit privilégie l’aspect historique de la situation sans s’appesantir sur une analyse plus politique du temps honni des colonies, où la force noire était surtout appréciée pour ses excellents services de chair à canon.
Le destin des deux cousins est esquissé en filigrane au long du récit, laissant le lecteur imaginer les conséquences destructrices du conflit importé sur la cohésion des ethnies impliquées bien malgré elles dans la guerre.
Le dessinateur Massiré Tounkara avait déjà révélé son talent prometteur dans quelques albums publiés au Mali, puis dans un album collectif Sommets d’Afrique, paru chez L’harmattan il y a quelques années. Il montre ici une nouvelle fois un dessin réaliste assez classique et agréable à regarder. Le découpage est efficace, et les couleurs très réussies exposent les tons chauds de l’Afrique pour y transporter le lecteur comme s’il y était !
L’ensemble constitue un album plutôt plaisant publié par les éditions L’Harmattan, qu’il faut féliciter pour leur travail à faire connaître la bande dessinée africaine, laquelle mérite vraiment un public plus large en Europe, comme en Afrique.
Un mari mineur aimant, une vie de femme au foyer, Mary Jane avait tout pour être heureuse au fin fond de la campagne galloise, quand sa vie bascula subitement suite à un coup de grisou emportant les mineurs, dont Davies son homme. Que faire alors, sinon rejoindre ce qui fait rêver bon nombre de paysans gallois, le Londres des années 1900 où l’industrialisation bat son plein, avec la promesse d’un monde meilleur où elle pourrait refaire sa vie ? Seulement, lorsqu’elle arrive dans cette ville crasseuse et empuantie par les suies et la sueur des travailleurs, personne ne l’attend. De mauvaises rencontres en guets-apens, ses rêves s’estompent et Mary se retrouve rapidement à la rue, à la merci de mauvais coups.
L’auteur complet Frank Le Gall réalise là un scénario des plus originaux en faisant un focus sur les derniers mois précédant l’assassinat de la cinquième et dernière victime de Jack l’Éventreur. Le lecteur suivra avec intérêt le parcours peu ordinaire de cette jeune femme qui finira dans de bien tristes circonstances, lesquelles ont fait les choux gras de la presse et semé la terreur dans la City. Au-delà des funestes tribulations de Mary Jane, le scénariste remet dans le contexte les conditions de vie des prostituées de la fin du XIXème, tant à Londres qu’à Paris, qui étaient encore moins prises en considération que des chiens, c’est dire.
Le dessinateur Damien Cuvillier s’est remarquablement emparé du scénario de Frank Le Gall en dressant un tableau de la vie urbaine à l’heure de l’avènement de l’ère industrielle, et en y apportant toute sa sensibilité et son talent.
Une belle postface, agrémentée de croquis et d’illustrations de Frank Le Gall, complète singulièrement l’album en expliquant notamment les raisons pour lesquelles le dessin n’a, cette fois, pas été réalisé par l’auteur complet.
MARY JANE LE GALL/CUVILLIER Editions FUTUROPOLIS 88 pages, 18,00 €
Quand Nawel, jeune fille issue de l’immigration, rencontre Alice, aux allures bien rangées, fraichement arrivée dans son immeuble, elle ne sait pas encore que l’inconditionnelle de Paul McCartney va devenir sa meilleure amie. Tout irait bien si Nawel vivait bien son adolescence, mais elle est tiraillée entre ses parents qui s’opposent à son émancipation et l’appel de la liberté d’entreprendre, de créer et de jouer de la musique pour le duo Nuit Noire qu’elles viennent de fonder. Que faire pour vivre ses envies comme elle l’entend, faudra-t-il qu’elle quitte la maison au risque de se brouiller définitivement avec ses parents ? Nawel ne sait à quel saint se vouer… Jusqu’à la rencontre fortuite d’Isak, jeune prodige suédois multi-instrumentaliste, dans un concours où leur groupe se produit.
L’auteur complet Claire Fauvel entraîne le lecteur dans un tourbillon psychologique sur fond musical, où Nawel, l’héroïne du récit, ne va pas être ménagée : trahison, conflits parentaux intergénérationnels doublés d’un ancrage religieux. Les dialogues sont aussi vifs et percutants que cette jeunesse en espérance qu’a tant soulignée Claire Fauvel dans ce récit.
Le dessin de Claire Fauvel, tout en rondeur, met remarquablement en images son récit et, qui plus est, se voit rehaussé par de belles couleurs, souvent contrastées en fonction de l’état d’âme des personnages.
Voilà 150 pages qui se lisent d’une traite, tellement on est pressé d’en connaître le dénouement et… De prendre le temps de réfléchir, une fois le livre refermé, au proverbe de l’humaniste Henri Estienne « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ».
LA NUIT EST MON ROYAUME FAUVEL Editions RUE DE SEVRES 150 pages, 18,00 €
Helena Bertinelli va avoir 21 ans dans quelques jours et n’a que de vagues souvenirs de son enfance heureuse auprès de ses parents, l’une des familles les plus puissantes de la pègre de Gotham avant qu’ils ont été massacrés sous ses yeux. Envoyée en Sicile auprès de ses cousins mafieux, elle réapprend à vivre mais pas seulement, à se battre et à chasser également grâce à Sal son frère de cœur, au point de devenir une redoutable chasseresse. Enfin majeure, elle s’entend dire par le notaire que son héritage reste dérisoire par rapport à ce qu’avaient amassé ses parents et constate qu’elle a été particulièrement spoliée. Elle n’aura alors de cesse que de récupérer ce qu’on lui doit et ce, de manière expéditive et bien qu’elle ait juré de ne jamais remettre les pieds à Gotham, il faudra bien qu’elle s’y résolve pour se venger.
Helena, devenue Huntress, va donc s’attaquer aux criminels et particulièrement remonter la filière de ceux qui ont commandité la mort des siens en faisant sa propre justice, en contradiction avec les principes de Batman.
Le scénariste Ivory Madison entraîne rapidement le lecteur dans un tourbillon de règlements de comptes, avec à la tête de cette expédition une jeune femme déterminée qui a su se forger uncaractère. Les dialogues sont aussi vifs et prompts que les coups que distribue Huntress, la belle chasseresse charismatique, à qui il ne faut pas en promettre. Le dessinateur Cliff Richards n’est pas en reste en livrant là une chasseresse des plus dynamiques. Les actions s’enchaînent à une vitesse vertigineuse dans des décors chatoyants partagés entre l’Italie et les Etats-Unis qui devraient ravir bon nombre de lecteurs.
BIRDS OF PREY, HUNTRESS MADISON/RICHARDS Collection DC DE LUXE, Editions URBAN COMICS 152 pages, 15,50 €
Se faisant passer pour un homme, Swan a pu rejoindre son frère Scottie aux
Beaux-Arts, mais le parcours d’un rupin dans la prestigieuse école n’est vraiment pas une sinécure. Si Swan peut donner la pleine mesure de son talent, elle agrège à son encontre toutes les rivalités et craint que le subterfuge soit découvert. Quant à Scottie, il ne parvient pas plus à trouver sa place qu’à exprimer son art.
Opiniâtre et téméraire, Swan saura-t-elle esquiver les coups bas ? Comment Scottie, décontenancé, trouvera-t-il sa voie ? Pour les cousins d’Amérique d’Edgar Degas, il n’est pas aussi facile qu’ils l’auraient imaginé d’assouvir leur vocation.
Après un premier volume qui montrait les deux aspirants peintres s’installer dans la capitale, Nejib poursuit ici son évocation du bouillonnement culturel qui habite le Paris artistique en plein milieu du Second Empire.
Le plan suit toujours les velléités de Manet de lancer sa carrière, tandis que Degas tâtonne en s’essayant à illustrer le Paris populaire et qu’un Monet encore tendre débarque de sa province. Par petites touches, l’auteur explore les premières aspirations de ces jeunes peintres à s’écarter des canons officiels, et qui donneront, plus tard, naissance à l’impressionnisme.
Tel est le décor de la fiction dans laquelle évoluent les deux jeunes héros. Avec un sens narratif très moderne et brillant, Nejib propose un haletant découpage feuilletonnesque en treize chapitres, qui permettent de passer avec fluidité d’un personnage et d’une scène à l’autre, pour emporter le lecteur sans jamais laisser retomber le rythme et l’intérêt.
Ces séquences dynamiques sont habillées par son trait sobre et élégant qui éclaire subtilement la psychologie des personnages. Les pages aérées, les couleurs discrètes faites d’aplats souvent en bichromie, les dialogues ciselés forment un écrin qui nourrit le récit tout en lui laissant toute la place pour exprimer sa puissance romanesque.
Tout aussi abouti que le premier tome, Le Chanteur espagnol se révèle une magnifique réussite qui confirme la maitrise scénaristique de Nejib. Le lecteur n’en est que plus impatient de connaitre la fin du récit, qu’il attendra de découvrir dans le prochain et dernier album d’une série passionnante autant qu’instructive.
Cent ans, le bel âge et toujours aussi en forme, la librairie Tonnenx est une institution dans la ville de Mantes-la-Jolie où petits et grands ont plaisir à venir chercher un conseil auprès de libraires amoureux de leurs livres et acquérir de belles pépites.
Pour fêter ce centenaire mais également les dix ans de la reprise du magasin par Camille Tonnenx, la librairie historique vous propose tout un programme d'animations :
- Séance de dédicaces pour le tome 1 de LE BANQUIER DU REICH en présence des co-scénaristes Pierre BOISSERIE et Philippe GUILLAUME que les Mantais connaissent bien et du dessinateur Cyrille TERNON.
- Séance de dédicaces pour l'album CIGARETTES et LA BANQUE T5 et T6, en présence de Stéphane BRANGIER.
- Dégustation de vin sur le thème de la littérature avec LE CELLIER DU GUESCLIN
- Animation musicale en partenariat avec l'ECOLE DES 4'ZARTS
- Cocktail et distribution de cadeaux
Venez nombreux fêter dignement ces anniversaires !
Quelquefois, il ne suffit pas de grand-chose pour transformer sa vie. C’est assurément ce que sont dit Béa et Lou, deux jeunes filles, lorsqu’elles se sont rencontrées dans une station-service du fin fond du Texas, l’une rejoignant sa tante en voiture et l’autre fuguant pour échapper à une famille trop envahissante.
Qu’ont-elles en commun, sinon de partager les mêmes orientations sexuelles et surtout d’avoir vécu des expériences cuisantes dont elles n’avaient jamais parlé, préférant les enfouir au tréfonds de leur mémoire ?
Seulement, tandis qu’elles apprennent à se connaître et se confient l’une à l’autre, tout au long du ruban texan, elles vont rencontrer des moments heureux avec notamment l’apparition d’une chatte aux mystérieux pouvoirs mais également des moments plus difficiles avec la survenue de deux obscurs personnages qui n’auront de cesse de les poursuivre. Vont-elles arriver à se libérer de ces poids qui les obsèdent et à exorciser leurs peurs enfouies ?
Après l’imposant roman graphique Dans un rayon de soleil, qui avait transporté le lecteur dans un univers onirique et enchanteur, la jeune et talentueuse Tillie Walden nous gratifie à nouveau d’un remarquable ouvrage de plus de 300 pages que le lecteur ne lâchera pas jusqu’à la dernière, tellement le suspense en est maintenu tout au long.
La force du récit réside particulièrement dans la présence d’êtres réels qui naviguent entre réalité et fantastique, au point de dérouter le lecteur pour mieux le retrouver dans une fin des plus surprenantes.
Le dessin semi-réaliste est à l’image du scénario, tout aussi onirique et fantastique. Les décors d’hiver se succèdent à une allure vertigineuse, dans une débauche de couleurs vives qui contrastent avec l’état d’âme des deux protagonistes si attachants.
SUR LA ROUTE DE WEST Tillie WALDEN Collection Hors Collection Editions GALLIMARD Bande Dessinée, 320 pages 24,50 €
Alors que Justin vient d’apprendre qu’on le pousse gentiment vers la case « retraite » et bien qu’il n’ait pas toutes ses annuités pour partir avec une retraite décente, il refuse de comptabiliser l’année 1944, la funeste année noire, celle où il a servi pour le Service du Travail Obligatoire institué par le gouvernement de Vichy à la demande des pouvoirs allemands. Cette croix, il va la porter toute sa vie alors qu’il n’a jamais été volontaire. Hélas, comme tous ceux qui y ont participé à raison de près de 600 000 travailleurs, il va être considéré, par bon nombre, comme un planqué à la solde de l’armée allemande, un sale collabo.
Cette blessure des plus humiliantes, il n’en parlera jamais et c’est au crépuscule de sa vie qu’il se décide à raconter cette période douloureuse, ou sévices et humiliations sont légion. Pourquoi ne pas avoir désobéi et pris le maquis au moment de l’embrigadement ? Car Julien ne savaitpas où il mettait les pieds ni quel prix il devrait payer à accepter de s’expatrier pour le camp d’Hennigsdorf, en Allemagne.
Le scénario, bien construit, relate un sujet rarement traité et plus particulièrement dans un roman graphique. L’écriture concise et sobre du scénariste Julien Frey convient parfaitement au sujet grave qu’est l’enrôlement d’une jeunesse qui, à défaut de servir de chair à canon au front, a laissé beaucoup d’hommes sur le carreau et ce, dans des conditions déplorables qui devaient plutôt être proches des camps de concentration.
Le dessin de Nadar est sobre et terriblement efficace, avec des aplats profonds et d’une noirceur tout aussi conséquente que le sujet traité.
Voilà un livre particulièrement indispensable, ne serait-ce déjà pour son apport pédagogique, pour ne pas oublier cette triste période de notre civilisation.
L’ŒIL DU STO Julien FREY/NADAR Editions FUTUROPOLIS 200 pages, 24,00 €
1945, la guerre sino-japonaise a tourné à l’avantage des Chinois et c’est la tête basseque les soldats rescapés regagnent, tant bien que mal, un Tokyo occupé par l’armée américaine et qui ressemble à un champ de ruine. Kadomatsu, bonhomme débonnaire et sans famille, se demande bien comment il va pouvoir refaire sa vie. C’est alors que la chance tourne lorsqu’il retrouve Toku, son supérieur hiérarchique dans l’armée. Mais cette opportunité est-elle bonne pour tout le monde dans un environnement de magouilles, et de trafics, sans oublier la prostitution ? Retrouveront-ils la solidarité qu’ils avaient tissée dans l’adversité ?
Le mangaka Sansuke Yamada développe une histoire des plus originales sur les rapports humains plutôt particuliers, quand ils se sont initiés dans un climat de survie. Loin d’être plombant, eu égard au sujet, le ton drôle et décalé s’avère de mise. On prend alors plaisir à suivre les péripéties, au travers de dialogues truculents parfois réservés à un public averti, des deux acolytes que tout oppose mais qui n’oublient pas qu’ils ont partagé des moments difficiles, voire insoutenables. C’est également une chronique acerbe des conditions de vie pendant et après le conflit sino-japonais.
Avec un dessin réaliste au dynamisme certain, les personnages sont croqués avec talent et évoluent dans un décor plutôt épuré mais terriblement efficace.
Inaugurant une série prévue en sept tomes, les deux premiers tomes sont particulièrement attachants et apparaissent très prometteurs.
Distinguée par le prix Osamu Tseuka et le grand prix de la Japan Cartonnist Association, cette série s’affirme comme l’une des plus belles réussites de l’année 2019 qui est promue également à une belle carrière en France.
Tout d’abord, je voulais vous féliciter pour cette excellente adaptation que vous avez réalisée avec le roman L’amant de Marguerite Duras. L’adaptation d’un roman reste un exercice très difficile et ce, d’autant plus, quand il s’agit de mettre en dialogue et en image un tel roman, qui plus est, porté au cinéma quelques années plus tôt. Cette adaptation donne une furieuse envie de se replonger dans le roman et rien que pour ça, il était important de le faire.
A ce propos, est-ce que c’était votre intention première et en avez-vous eu d’autres ?
L’objectif, c’était effectivement de donner envie de relire le roman.
C’est réussi !
C’était aussi pour moi, personnellement, l’occasion de relire le roman. Et, parce que je l’ai lu quand j’étais très jeune, je l’ai lu d’une traite et j’avais encore peu d’expérience. 23 ans plus tard, retravailler, relire, le roman avec une expérience différente était important. Moi aussi, j’ai eu différents expériences difficiles dans ma vie, avec un moment de dépendance à l’alcool, avec aussi un moment « teenagers ». Avoir envie de créer quelque chose mais ne pas pouvoir y arriver, ne pas savoir dans quel sens aller.
Petit à petit, je suis arrivée à être reconnue et notamment, obtenir des prix au Japon, avec des moments où les gens se sont intéressés un peu plus à moi. Et donc, des moments difficiles, entre la personne que je suis et l’auteur. Je pense que pendant ces 23 ans, je me suis rapproché, j’ai fait des expériences personnelles qui m’ont permis de mieux comprendre ce que disait Marguerite Duras.
Comment avez-vous appréhendé son écriture ?
Il y a un peu d’une vision de l’intérieur. Elle dit « elle » mais c’est « je ». C’est donc une autobiographie, en tout cas, basée sur son expérience, avec beaucoup d’éléments personnels qu’elle injecte dans ce « elle » qui est « je ». Et si j’avais conçu le livre en incluant trop de passage écrit du livre, ça aurait été trop écrit. Et j’ai essayé, par le dessin, de faire sentir ce qu’il se passait mais en ne mettant pas de mot.
Dans le scénario, on sent une certaine fluidité dans le phrasé qui fait, que ça coule.
Parce que j’ai eu envie de travailler beaucoup sur l’environnement, le paysage. Et tout ce qu’elle voit, de dessiner tout ce qui entoure le personnage.
La particularité de cet album est de comporter peu de cases par page (5 maxi.) mais malgré tout, vous réussissez le tour de force d’en tirer toute la quintessence : pourquoi avoir fait ce choix ?
Alors, quand j’ai commencé à dessiner, j’adorais dessiner vite et ça, ça me plaisait. Et souvent, je dessinais sans effacer le crayonné. Et petit à petit, mon dessin a évolué. J’ai vu aussi comment les auteurs de bandes dessinées s’attardaient à dessiner plus précisément chaque case et je m’en suis inspiré aussi.
J’aimerai connaitre la relation que vous avez entretenue avec votre éditrice, Nadia Gibert, pour la réalisation de cet album ? Comme avez-vous travaillé avec elle ?
C’est une éditrice qui s’intéresse à la littérature, et donc de travailler sur la présentation de l’œuvre littéraire a été très agréable.
Avec Nadia Gilbert, mon éditrice, nous avons une longue histoire ensemble puisqu’elle a été la première à m’éditer, à mes débuts, chez Casterman. Et quand on échange, quand on parle de nos goûts littéraires, on parle des mêmes ouvrages. On a des points communs : elle aime bien Bukowski par exemple, et moi aussi.
Si vous aviez pu rencontrer Marguerite Duras, quelle aurait été la première question que vous lui auriez posée ?
Tout d’abord, le style de Duras, c’est d’inclure des éléments autobiographiques à une fiction. Et donc, quand on dit Duras dans le livre, en fait, elle nous a eu avec ça parce que il y a du Duras mais aussi de la fiction ! C’était sans doute quelque chose dont elle plaisir. Et en même temps c’était pour sûrement compliqué pour elle. J’aurais aimé lui demander quel était la part de plaisir et la part de difficultés dans ce qu’elle faisait en mélangeant la belle là l’autobiographie la fiction.
Enfin, j’ai eu, moi aussi, une période assez longue de dépendance à l’alcool que j’ai pu arrêter totalement. Il y a, après le sevrage, cette période de sérénité, dont on parle, quand on a été alcoolique. Marguerite Duras avait du mal à arrêter l’alcool mais comme elle a eu un accident et qu’elle a été dans le coma et qu’après, elle s’est mis à écrire le roman, j’aurai voulu lui demander, même si ce temps a été court, comment elle a vécu ce temps de sérénité.
Avez-vous l’intention de vous lancer, à nouveau, dans l’adaptation d’un roman, peut-être celui de l’amant de la Chine du Nord ?
Pas L’amant de la Chine du Nord, en tout cas. Fondamentalement, je préfère créer mes propres histoires. Mais, par exemple, j’ai un ami qui m’a conseillé d’adapter Houellebecq. J’ai fais des études d’art, mais il y a un roman (la carte et le territoire) sur lequel Houellebecq traite cette question de l’art. Cet ami me dit que ça l’intéresserait beaucoup de voir ce que je ferai avec ce roman mais ce n’est pas un projet actuellement.
Que la notoriété et le succès vous soient venus plutôt de l’Europe dans un premier temps que de votre pays, le Japon, vous ont-ils interpellé, voire peiné ?
Tout simplement peut-être, de la reconnaissance que ce soit passé comme ça. Mais il y a aussi des livres qui se sont mieux vendus au Japon.
Je parlai simplement de votre début de carrière.
Alors que je n’avais qu’un seul livre publié au Japon j’ai pu travailler en France avec un grand éditeur, Casterman pour lequel j’ai accepté ce projet, sans mesurer l’ampleur que cela pourrait prendre, et pendant un certain temps, je me suis posée des questions là-dessus. Ensuite, il y a eu un moment où je n’arrivais plus vraiment à dessiner et c’est la période où j’ai réfléchi au scénario. Finalement, j’ai continué à réfléchir à travailler à ce que je pourrais créer.
A la lumière de vos réponses dans cette interview, On sent bien que cette période de dépendance a été particulièrement traumatique pour vous.
Avec l’alcool, et pas seulement l’alcool, aussi une dépendance psychologique qui a entraîné une période difficile, oui psychologiquement.
On en ressort, paraît-il plus fort
Oui, tout à fait !
Propos recueillis le 1er février 2020 auprès de Kan Takahama en salle de presse des éditions RUE DE SEVRES à l'occasion de la sortie de l'album L'AMANT.
Je remercie sa traductrice sans qui l'interview n'aurait pu se faire.