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Publié le 11 Novembre 2023

Interview de Frank Pé "La première chose que je demande à une histoire, c’est d’amener de la vérité !"

Interview de Frank Pé, notamment à propos de la bête T2, réalisé le vendredi 27/10/2023 dans le cadre de Quai des Bulles

C’est peut-être un peu trop tôt pour se faire une opinion concernant le deuxième tome de l’excellent diptyque de LA BÊTE sorti le 13 octobre mais as-tu déjà un retour ? Sais-tu comment il a été perçu par la presse, par le public ?

Le retour est très bon mais ce que je peux dire, la grande question qui se pose dans ces cas-là, quand les gens ont bien aimé le tome 1, ils sont extrêmement exigeant sur le tome 2 qui finit l’histoire. Ils ont attendu pendant deux ans, ils ont de grandes espérances et il ne faut pas les décevoir. Apparemment, le public est conquis et je pense que l’on a réussi.

Comment as-tu travaillé avec Zidrou, te fournit-il l’ensemble du scénario et te laisse toute latitude dans le découpage de l’album ?

Zidrou est un vieux briscard, un professionnel de la bande dessinée. Il a, lui aussi, un côté un peu paranormal.

Donc, vous allez bien ensemble ! (rires de Frank pé).

Quand on se rencontre, il vous scanne comme ça et vous n’avez plus aucun secret pour lui au bout de 5’. C’est à peu près ce qu’il s’est passé lorsqu’on s’est rencontré la toute première fois pour le Spirou. Depuis évidemment, on se revoit régulièrement et on apprend beaucoup de choses de l’un sur l’autre, moi à travers ses scénarios parce qu’il parle beaucoup de lui et Zidrou, à travers le travail que l’on fait à deux. On commence à avoir une sacrée complicité. Sur le Marsu, j’avais un cahier des charges que je lui ai confié notamment de ne pas faire un Marsu à la Franquin. J’avais par contre des envies de le faire à une époque très marquée. A quoi devait ressembler cette bête… On en a parlé, beaucoup échangé. Il m’a écouté, il m’a très bien compris et en professionnel qu’il est, il s’est retiré dans ses terres espagnoles et a pondu les 200 pages d’un coup et il m’a dit, on change ce que tu veux : j’ai rien changé sauf dans le découpage.

Voilà comment cela s’est passé : moi, je lui fais confiance sur le contenu de l’histoire et lui me fais confiance tout ce qui suit son travail puisque l’on n’échange plus à ce moment-là. Je n’ai pas besoin de son avalisation. Et au résultat, on est ravis tous les deux parce que l’on découvre comment l’autre a fait. Nous sommes les premiers adorateurs du travail de l’autre.

Tu as envoyé au scénariste les pages dessinées au fur et à mesure de leurs réalisations ?

Non, pas du tout ! Simplement quand il y avait une cinquantaine de pages de réalisées et comme il est patient, il a attendu que je les fasse.

À côté de cela, tu ne pouvais pas les faire non plus dans un laps de temps court. A ce propos, combien de temps t’a-t-il fallu pour réaliser le tome 2 ?

2 ans ! Sinon, je ne touche pas aux dialogues. Zidrou, c’est le papier à musique de l’album et je ne change pas une virgule. Et si je devais le faire malgré tout, je l’appelle et on en discute. Et c’est arrivé ?  Oui, quelques fois, pour des raisons de rythme. Quand on découpe, il faut que le texte colle parfaitement au rythme des cases. Sur le découpage lui-même, Zidrou fait une proposition dans son scénario avec les plans, etc et en général, c’est du quatre bandes, c’est du traditionnel. Je prends ça, je le vois en cinéma et c’est ce film-là que je mets en dessin. Pour tout le découpage, il me fait confiance mais je récupère également ces idées à lui. S’il me dit, c’est 2 pages en vis-à-vis pour telle ou telle raison, je le respecte évidemment. Par contre, tous les jeux de caméras, les personnages, je pars de ce qu’il me propose mais je le fais à ma manière. Je suis le comédien sur scène qui va donner au public les textes du scénario et après il peut y avoir beaucoup d’interprétations ou pas.

Travailler avec Zidrou t’a-t-il semblé différent de celui de la série ZOO avec Philippe Bonifay ?

Il y a une différence magistrale, énorme ! Parce qu’avec Bonifay, on se voyait tout le temps, on s’envoyait des kilos de fax en permanence. Tout était discuté. C’est un vrai travail à deux, en profondeur et avec des disputes de couple, des réconciliations.

À ce point-là ?  Et qui préfères-tu alors ?

Les deux ! Avec Bonifay, j’ai appris mille choses, avec Zidrou, c’est d’un confort. C’est éblouissant son talent, c’est un cadeau aussi. C’était très bien aux époques dans mon parcours à moi. Je ne pourrais plus travailler de cette manière-là maintenant sur une histoire comme Zoo. Je ne le ferais plus de la même manière même si retravailler avec Bonifay ne me dérangerait absolument pas.

J’ai lu dans un de tes derniers interviews sur LA BÊTE de l’intérêt que vous porter à en faire un objet livre, au demeurant fort réussi. Pourrais-tu revenir sur ce choix et les raisons d’un tel choix?

La BÊTE pour moi, c’est un projet brut, c’est une bestiole sauvage. Et donc tous les choix devaient aller dans ce sens-là. Et, depuis le début, je voyais un pavé… Rugueux. A la limite, s’il avait pu être humide et glissant comme un pavé bruxellois, c’aurait été idéal ! J’étais un peu dans ce sens-là quand on a abordé le sujet avec l’éditeur et où j’avais idée que le pavé pouvait être cisaillé de telle manière à ce qu’il n’y ait pas de rebord entre la couverture et les cahiers. A la limite, il n’y aurait plus de dos et où l’on verrait les fils de couture et on était parti là-dessus. Sauf que, chez Dupuis, ils font des tirages assez conséquents et que l’on ne fait pas du tout le même genre d’objet avec un imprimeur quand on tire à 500 exemplaires que quand on tire à 30 ou 50 000 exemplaires. Le retour de la demande a donc été négatif car cela pose des problèmes techniques avec beaucoup de déchets avec la cisaille entrainant un gaspillage de papier important. J’ai pleuré pendant 3 jours mais il fallait faire quelque chose de plus traditionnel. On s’est donc arrêté sur un papier de qualité dit bouffant, deux fois plus épais, qu’un papier normal. Ce qui fait que l’on a un livre avec sa présence, son poids, et c’est ce que je voulais.

Si la BÊTE a quelques traits communs avec le Marsu, il n’en est pas moins différent et lui confère des stigmates d’un marsupiau des plus réalistes. Comment t’y es-tu pris ?

Eh bien, comme un sioux ! (rires) Dans les crayonnés du tome 1, on voit bien les recherches pour modifier la tête et en faire quasiment un animal qui sortirait du Mussée d’Histoire Naturelle.  On a failli le faire venir au zoo de Vincennes mais bon, finalement pour des raisons très prosaïque, ça ne s’est pas fait ! Mais le projet était là. La science s’est quand même rapprochée de nous. On a fait aussi des conférences avec un paléontologue du Muséum de Paris qui a joué le jeu et à deux sur scène, on attestait la découverte définitive de l’animal en Amérique du sud et lui il amenait des dents qu’il avait trouvé et moi des photos évidemment trafiquées et je t’assure, à la fin de la séance, on a joué le jeu jusqu’au bout et les gens croyaient vraiment que c’était la réalité ! En tant que scientifique, il était balèze et il savait de quoi il parlait. Et on a pu aborder un truc trivial comme le nombril du Marsupilami qui a fait débat, comme tu le sais parce que les gens disent qu’ils sortent de l’œuf et que donc ils ne peuvent pas avoir de nombril ce à quoi je réponds : « Vous avez tout faux monsieur, j’ai eu en main des crocodiles sortant de l’œuf qui avaient un nombril, un cordon qui les rattachait au jaune de l’œuf ». Cette cicatrice se referme assez facilement en une semaine mais elle est bien là. Un nombril chez un animal sorti d’un œuf n’est donc pas du tout une erreur. Franquin avait raison !

Tu as évoqué au début de l’interview que vous aviez demandé à Zidrou de situer l’action dans une période particulière et pourquoi ?

Parce que pour moi, faire la Bête, c’était revenir à mes origines de bd parce que Franquin a été le premier qui m’a le plus marqué au rouge dans mes lectures du magazine Spirou. C’est ce qui m’a le plus touché comme plein de gosses. Par sa générosité, cette chaleur, une magie profonde qui touchait le gamin. Je savais qu’en faisant du Marsu, c’était vers ça que j’allais et donc, aller vers le gamin quand j’étais petit à Bruxelles, avec un retour à mes origines. Mes premières images de Bruxelles, à la limite, quand je suis né ; des images subliminales, vous voyez. Même, à la limite, quand j’étais dans le ventre de ma mère et qu’elle se baladait rue Neuve, il y a certainement quelque chose en moi qui m’a marqué. Je table toujours là-dessus pour transmettre des trucs vrais aux lecteurs en espérant que ça fasse tilt aussi chez eux. Je crois que l’on a toujours à gagner à aller vers ce que l’on connait intimement parce que l’on va être juste. La première chose que je demande à une histoire, c’est d’amener de la vérité, même si la mise en forme d’un roman est du mensonge, une manipulation, autant dans le contenu, il faut une dimension de vérité.

Sinon, il n’y a plus de crédibilité. Voilà, voilà. Et le monde actuelle en a de plus en plus besoin,  puisque de plus en plus, on vit dans un mensonge que ce soit dans la politique, l’économie. Ça nous amène loin, n’est-ce pas ? Et donc, j’ai demandé à Zidrou que l’histoire se passe en 1955, l’année où j’ai été conçu et d’ailleurs, au moment où le Marsu passe devant les vitrines où il va rencontrer Tintin, je montre dans la foule des gens de ma famille, mon père, mon frère et ma mère qui est enceinte de moi. Je suis donc dans l’histoire. C’est pour ça que je termine la fin l’histoire en Palombie que je le date mi-juillet 1956 correspondant à ma date de naissance.

Dans une séquence des plus émotionnelles, le scénariste Zidrou fait rencontrer des personnages de TINTIN, comment as-tu appréhendez cette séquence ?

Alors ça, c’est une idée de Zidrou et de même de faire passer le héros dans le centre belge de la bande dessinée, c’est lui aussi. Après coup, on se dit que c’évident mais ça s’imposait mais moi, je n’y avais pas pensé. Un bon scénariste va chercher en même temps des trucs très originaux et en même temps des évidences et faire passer l’évidence pour un truc très original, en fait. Ça, c’est son métier ! Alors donc, Tintin rue Neuve et maintenant, ce serait rigolo de faire jouer Tintin par une fille. Sans appuyer dessus, ceux qui ne le voit pas, le voit pas. C’est lui qui a orchestré leurs rencontres, ses mains qui se touchent, moi, j’ai orchestré la mise en scène où je me suis dit que la rencontre de ces deux univers doit se faire au milieu de la double page. J’ai fait mon découpage en fonction, la symétrie voilà, c’est comme cela que ça s’articule. C’est renforcer quelques chose… Quand quelque chose arrive et que c’est déjà fort, on se dit que l’on ne peut pas louper le truc. Et il faut donc des moyens forts. Et ça, ce sont des moments délicieux. C’est comme je suppose, pour un chef d’orchestre lorsqu’on a quelques notes de Beethoven « Tatatin », quand ça arrive, il fait de la musique classique à la Philarmonie de Berlin mais ce « Tatatin » de Beethoven, il va le faire avec le brio. Quand le Marsu rencontre Tintin, c’est du Beethoven !  

Tu as des talents d’aquarelliste hors pair. Est-ce pour des raisons de timing que tu as laissé la mise en couleurs, au demeurant fort réussi, à Elvire De Cock ?

Tout à fait ! Je me suis laissé prendre au piège par le récit. C’est-à-dire qu’en avançant les planches, j’avais tellement envie de raconter l’histoire et de rester dedans que j’ai tellement avancé que je n’ai jamais eu le courage de revenir en arrière pour faire la couleur ; c’était de la couleur directe dans le premier tome. Et puis quand j’ai eu clôturer l’album, cela faisait plus de 200 pages à mettre en couleurs, ce qui est un pensum. Cela a correspondu également avec des problèmes de santé, assez importants, qui m’ont fort secoué et je n’avais plus beaucoup d’énergie. Et la seule solution qui s’imposait à moi, alors que c’est plutôt contre nature, c’était de me faire aider. J’ai cherché quelqu’un, j’ai un peu tâtonné et finalement je suis tombé sur Elvire que je ne connaissais pas et qui a fait un essai qui s’est avéré prometteur, on va dire. On a rectifié le tir, on a travaillé ensemble et voilà le résultat. C’est une formidable rencontre parce qu’elle a tout bien compris et elle a ajouté une dimension de réelle coloriste professionnelle.  J’aime les couleurs mais je ne suis pas avec un spectre aussi large qu’elle. Elle a repris tous mes codes de matière que j’avais dans le tome 1 et qui participe à l’exercice de lecture.

Et de continuité Oui, c’était important et si elle ne pouvait pas faire ça, c’était cuit ! Elle a relevé le défi, elle a rajouté quelque chose et jusqu’au bout, elle m’a ébloui. Donc, je suis finalement content d’avoir pu franchir ce cap et d’avoir collaboré. Je me retrouve presque maintenant pour la suite avec une dream team parce que j’ai un scénariste hors pair qui est ravi de travailler avec moi. Il est assez partant sur tous les projets que je lui proposerai. J’ai une coloriste hors pair qui comprend mon univers, qui a des possibilités bien au-delà de ça. J’ai Philippe Poirier qui est le graphiste qui s’occupe de tout et quand on parlait de l’objet, c’est lui qui a été complice de ça et qui m’a aidé à avancer. On s’entend tellement bien, il est génial. On a là trouvé une équipe qui fonctionne bien et j’ai l’impression un peu d’être Clint Eastwood avec sa petite équipe resserré qui lui permet de faire un film.

Donc, tu vas continuer avec eux ? Tout à fait !

Tu as reçu le prix Albert UDERZO 2021 du meilleur dessin. Comment as-tu reçu cette distinction? Comment l’as-tu pris émotionnellement?

J’ai regretté de ne pas avoir pu aller à Paris pour le recevoir parce qu c’est le moment où j’étais malade. C’est l’éditeur qui est donc venu chercher ce prix. Disons que vu que je n’ai aucun retour, aucune justification, aucune raison, le jury ne m’a rien dit. On m’a juste dit, vous avez eu le prix et cela fait dire un chèque de tant. Ah, super ! Donc, la seule chose que j’ai pu faire, c’est de fantasmer sur une sorte de reconnaissance d’Uderzo, d’un niveau Uderzo par rapport à mon travail. C’est une sorte de gratification qui va plus vite et plus fort que lorsqu’un lecteur vous dit qu’il a bien votre bouquin. Là, vous vous dites, j’ai bien fait mon boulot, chouette. Si c’est votre mère qui vous le dis, ça a une autre signification. Mais si c’est Uderzo ou la fille d’Uderzo qui vous le dit, un jury, c’est important. Quand Franquin m’a aussi fait comprendre qu’il aimait bien mon travail, je le dis avec des petits caractères parce qu’humblement, je n’en reviens toujours pas. Là, c’est un plaisir monumental ! Et je crois que s’il vivait toujours, faisons cette hypothèse, je n’aurais jamais osé reprendre le Marsu, je n’aurais pas osé toucher à ça. Ici, je n’ai pas eu de problème parce que je savais que je n’allais pas être comparé à lui, je ne fais pas du Franquin, ni dans le style du dessin ni dans l’esprit de la bd. Je reprends juste une définition d’animal que je rends plus animal que ce qu’il n’a fait, lui. Pour Franquin, c’est plus un personnage pour faire rire, c’est houba houba, quoi. Moi, ce n’est pas ça du tout. Je suis hors Franquin et c’est beaucoup moins difficile. Le Marsu est sauvage ici, il peut même faire peur. Une reconnaissance comme ça, ça a une valeur inouïe, c’est très très puissant. En plus, tout ce que je t’ai dit sur mes lectures de gosse, c’était vraiment Franquin le premier que j’allais déjà observer lors de séances de dédicaces, de le regarder dessiner pour essayer de comprendre comment il faisait. Il était tellement gentil, tellement drôle et ne se prenait vraiment pas au sérieux. Après, j’ai pu comprendre qu’il était très exigeant, qu’il ne faisait pas du tout de l’auto-flagellation comme on a pu le croire. Il avait une vraie exigence qui a pu le mener à ce niveau de dessin. Et il avait cette exigence-là sur ses collègues, sur la bande dessinée en général mais il ne se permettait de l’exprimer qu’envers lui-même. C’était une forme d’élégance chez lui mais il savait très bien là où il réussissait, son niveau par rapport à ses collègues.

Un grand Monsieur. Oui, un grand Monsieur tout en disant toute sa vie, on ne fait pas un travail sérieux, on est resté des gamins et on fait ça pour faire rire, pour faire passer du bon temps, c’est typique de cette génération-là, très particulière. Comme si leur force, il la tirait de leur côté enfantin et ça provient probablement du fait qu’ils venaient de l’après-guerre.

Bernard LAUNOIS

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 27 Février 2023

Rencontre avec Thomas Legrain à l'occasion de la sortie de LATAH aux éditions Le Lombard

Après Le régiment, Bagdad Inc., vous revenez sur le thème de la guerre. Est-ce un sujet de prédilection ?

Non pas spécialement. En fait, la guerre du Vietnam est le contexte dans lequel se déroule l’histoire de Latah mais n’en est pas le thème. Tout comme Bagdad Inc. avait pour sujet l’appropriatio

Comment avez-vous appréhendé le rôle de scénariste et de dessinateur ? 

Ce projet a commencé dans des conditions difficiles. Il faut savoir qu’au départ, j’avais essayé de le développer avec un scénariste, mais celui-ci a abandonné le projet en cours de route.  C’était en 2020, l’année Covid, compliquée pour tout le monde. Mais les bases qui avaient été posées au niveau du scénario étaient bonnes, ça demandait juste encore beaucoup de travail. Cependant, je n’avais pas le temps de recommencer avec un autre scénariste car à l’époque, je n’avais pas d’autres contrats en vue et c’était mon seul projet viable. J’avais l’impression de savoir ce qu’il fallait faire et quelle direction lui donner. Je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Je me suis réapproprié le sujet et je suis donc devenu scénariste un peu par accident et pas du tout de ma volonté.

Quelles sont vos influences, en matière de lecture, cinématographiques… ?

Cinéma, complètement ! Je suis plutôt un cinéphile qu"un bédéphile.

On le voit également dans la manière dont vous prenez les angles dans la bande dessinée, on se sent plus dans un film.

C’est effectivement un angle de caméra, pris à hauteur d’homme la plupart du temps. J’ai une approche très cinématographique et je ne m’en cache pas. J’ai même fait des albums presque exclusivement en 16/9ème à l’instar de Bagdad Inc. Mais si mes influences sont complètement cinématographiques, je me considère comme un bédéiste intégral.

Vous avez commencé très jeune dans la bande dessinée. Quel est votre regard aujourd’hui après vingt ans de réalisation de bandes dessinées ?

Voir plus, car j’ai fait de la bande dessinée pour moi bien avant. En fait, c’est ça qui est assez amusant avec Latah, c’est qu’après avoir terminé Sisco, Régiment, etc, j'avais envie de revenir à ce que je faisais avant de passer professionnel. Je faisais alors plutôt du fantastique ou de la SF et d’ailleurs ma prochaine série sera de la science-fiction. En fait, comme j’avais fini mes séries, qui avaient plutôt bien marché et avec lesquelles je me suis bien amusé, je me suis dit que c’était l’occasion de revenir à faire ce que je faisais quand j’étais plus jeune mais avec l’expérience que j’avais acquise depuis.

Quels retours du public avez-vous eus alors que ce sont les premières séances de dédicaces de Latah, sorti en noir et blanc et en avant-première sur le festival d’Angoulême ? Est-ce que les personnes rencontrées l’ont lu ?

Quelques- uns l’ont lu et à chaque fois, j’ai visiblement créé une certaine surprise ! Ceci dit,  c’est le but, je veux emmener le lecteur dans ce qu'il croit être un type de récit et le retourner, le désorienter.

C'est effectivement la sensation que j'ai ressentie à la lecture, m'incitant à revenir en arrière.

Comme si vous aviez oublié quelque chose (rires)

De cet album, on dira qu’il ne laissera pas le lecteur indifférent. Comment avez-vous construit cette dramaturgie ?

Voulant que ce scénario soit très construit et cohérent, je me suis astreint à le rédiger de a jusqu’à z. En fait, comme il y a plusieurs thématiques dans l’album avec un changement de style au milieu, je voulais que l’ensemble soit hyper cohérent, avec en fil rouge une réflexion sur la culpabilité. En fait, le scénario était pensé pour qu’il y ait presque une nécessité de deuxième lecture : avec les éléments donnés à la fin, je pense que l’on relit l’album différemment.

Au niveau dessin, c’est un crayonné puis un encrage ensuite ?

Oui, de manière hyper classique et pour répondre à votre question de tout à l’heure, le fait d’être dessinateur et scénariste, il y a un avantage et un inconvénient. L’avantage c’est la liberté dont on dispose : j’ai pu imprimer mon rythme narratif avec très peu de contraintes. Le désavantage, c’est le manque de retour sur son travail. Comme j’ai toujours travaillé avec des scénaristes jusqu’ici, j’ai toujours eu l’habitude, et ce dès l’étape du crayonné et à chaque page, d’avoir un retour du scénariste. Sauf que là, j'étais mon seul critique et j'étais obligé d'être encore plus exigeant. Surtout que, n’étant pas scénariste, j’avais vraiment peur de merder ce projet. Autant je pense avoir fait plus ou moins mes preuves en tant que dessinateur, autant en tant que scénariste le fait d’être son propre critique m’a amené à dix fois plus d’exigence. Parfois, j’ai jeté deux-trois semaines de travail parce que je n’étais pas content de moi.

Avez-vous travaillé avec votre éditeur, quels ont été vos rapports avec lui ?

Oui, ça s’est plus joué sur la partie scénaristique, car cela fait quinze ans que je travaille avec le même éditeur qui a l’habitude de me faire confiance sur mon dessin. Mais ça s’est aussi bien passé pour le scénario, il m’a fait confiance. Cela été très particulier mais comme je l’ai dit précédemment, il y a quand même un avantage à se retrouver seul aux commandes d’un projet, c’est la liberté. Avec cette pagination, je me suis offert une énorme liberté.

En fait, c’est assez paradoxal, la liberté d’un côté et la rigueur de l’autre, surtout quand on est un scénariste novice entre guillemets. Fatalement, si l’on veut faire les choses bien, il faut être hyper-rigoureux ! D’où, une construction hyper-carrée, que j’ai essayé de rendre la plus irréprochable possible

Allez-vous continuez à endosser, à l’avenir, les deux rôles de scénariste et de dessinateur ?

Non, ce n’est pas prévu dans l’immédiat.  Mon prochain album est aussi une idée personnelle à la base, mais c’est un scénariste qui l’a développée et il a fait un bien meilleur travail que ce que j’aurais fait.

Atmosphère pesante et ce, dès les premières pages, la pression monte continuellement. Le lecteur est rapidement plongé dans une atmosphère délétère. Le dessin est à l’image du scénario dans cet univers luxuriant et angoissant. Comment vous êtes-vous documenté pour rendre ce récit des plus réalistes ?

En dehors des costumes militaires et des quelques armes et avions, ça n’a pas exigé une documentation énorme, et c’est un travail qui avait été déjà fait en partie avec le scénariste avec qui j’avais commencé le développement du projet au départ. Le but était de rendre le contexte suffisamment crédible.

Le Latah fait appel à des croyances ancestrales perpétuées depuis la nuit des temps. Comment avez-vous trouvé cette inspiration ?

C’est à nouveau avec le scénariste que l’idée est venue. Le latah, c'est un concept qui existe, c'est une sorte d'état de transe dans le sud-est asiatique. Mais ce qui en a été fait dans l’album n’a rien à voir avec ça, c’est évidemment une pure fiction que j’ai utilisée pour créer un effet miroir avec les tensions au sein du groupe de soldats »

Il faut dire que le récit se déroule dans un état de guerre, de peur perpétuelle.

Alors, c’est là où je pourrais peut-être répondre à la question Pourquoi la guerre ? peut-être parce que la guerre, plus que toute autre situation, amène les êtres humains dans des positions extrêmes face à des situations extrêmes, avec un danger de mort immédiate. Est-ce dans ces moments-là que l’on se révèle vraiment tel que l’on est ? J'aime bien aller à l'os, au fond des choses et même si l'os n'est pas beau à voir. C’est la raison pour laquelle, j’aime bien le survival parce que cela permet d’aller au plus profond de ses personnages, en bien ou en mal.

Entretien réalisé le 27 janvier 2023 sur le stand Le Lombard au FIBD Angoulême à l’occasion de la sortie, en avant-première, de l’album Latah en version noir & blanc.

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 27 Octobre 2022

Interview de Jim BISHOP « J’aime mes personnages mais je ne suis pas là pour les juger »

Après "Lettres perdues", album qui a rencontré un fort succès, J’ai particulièrement aimé ce nouvel opus chez Glénat, ce qui a justifié de vouloir vous rencontrer pour en parler.

On passe de l’illusion à la désillusion, quelque part, un peu comme dans les contes pour enfants (voir Grim), c’est triste ! Quel message désirez-vous faire passer ?

Oui, mais pour moi le message n’est pas triste. Si je parle de la fin de l’album le message est même très libérateur. Parce qu’au final, c’est un album qui parle d’amour. C’est d’ailleurs plus des relations d’égo que des relations d’amour tout au long de l’album. Et ce que l’on considère aujourd’hui comme des relations d’amour sont des relations énormément de possession. Et pour moi, en réalité, la fin est rude et ça parle pour moi en fait d’un amour en verso. L’album parle en fait, d’avoir assez d’amour en soi et de confiance pour avoir le courage de quitter un endroit confortable pour aller vers son propre chemin. Et ce n’est pas facile, c’est faire prendre des choix, des décisions qui sont rudes pour les autres.

Et comme on dit « choisir, c’est renoncer »

Exactement ! Et renoncer à des choses parfois qui sont un réel sacrifice. Un confort humain, matériel. On doit quitter des gens souvent et en réalité, c’est une thématique du deuil. Et c’est ce qu’il y a aussi dans Lettres perdues. Ce sont des thématiques qui, pour moi, sont très importantes puisqu’elles sont mon vécu aussi. Ou, quand on veut être libre, c’est pour moi un perpétuel choix de sortir d’une condition, qu’importe ce qu’elle est et ce n’est pas du tout facile. C’est souvent dans des endroits conditionnés, soient sociétales, soient des conditions familiales. En fait, quand on fait des choix qui ne sont pas en accord avec ces conditions, on risque d’être jugé. D’être, entre guillemets, brûlé sur le bûcher pour faire référence à la bd. Mais c’est un peu ça qu’exprime cette bd.

Pour moi, la fin est très libératrice ! En plus, elle parle de choses qui sont vraiment très personnelles et qui pour moi sont une lecture différente de ce que j’ai pu vivre. Par exemple, une personne qui s’en va, du point de vue d’un enfant, c’est rude et d’un point de vue adulte, je me dis que j’aurai peut-être fait la même chose.

Voilà, c’est des questions que je me suis posé et du coup ; je voulais créer une vision globale de choses comme ça et pour moi, m’apaiser et puis peut-être que pour d’autres personnes…

C’est donc pour vous une forme de thérapie ?

Exactement, j’écris mes bouquins comme des thérapies et…

Vous n’aurez pas toujours besoin de thérapies et donc, à un moment donné…

Ça, c’est intéressant parce que justement, je sens que j’ai de moins en moins de choses à guérir et du coup, ça me donne envie de…

D’explorer autre chose…

Complètement ! Et des choses beaucoup plus drôles, on va dire et beaucoup plus agréables. En fait, dans ces deux albums comme dans le prochain, je lâche beaucoup de choses très personnelles pour m’apaiser et puis aller vers des projets qui soient, plus tard, d’un autre ordre.

Cet album semble sortir tout droit de l’imagination de Lewis Carroll avez-vous été marquée par ses albums et notamment Alice au pays des merveilles il y a quelques années ?

Oui, j’ai été marqué par Alice même si Alice n’est pas du tout une référence pour ce bouquin. Mais oui, les contes sont des références, la comptine. En réalité Au clair de la lune est une énorme référence, voire la plus importante. Mais Lewis Caroll, c’est une influence comme Peter Pan, comme tous ces contes en réalité que j’ai découvert au travers des Spin off et que j’ai lu. Et que l’autre dimension, beaucoup plus violente et qui parle de manière beaucoup plus juste pour moi de ce qu’est l’humain.

Le passage de l’enfance… À l’âge adulte, c’est des choses dont je parle dans mes bouquins.

Le personnage de Pierrot apparait rapidement dans l’histoire comme un pervers narcissique mais rendu tellement attendrissant dans l’histoire que l’on finirait par s’apitoyer. Était-ce volontaire de le présenter ainsi ?

Ouais, ouais, complètement ! En fait, c’est des relations que je connais même si je n’aime pas trop ce terme de pervers narcissique. Je préfère plus le terme de manipulateur. J’en ai côtoyé qui sont vraiment des gens très cruels pour moi. Et des gens manipulateurs, oui aussi mais dans un moindre degré ce n’est pas très agréable. Pour l’album, on frôle effectivement cette dimension-là. J’écris mes personnages, pas pour les juger mais pour qu’ils soient compris. C’est très important pour moi de ne pas juger mes personnages. Il y a de la morale dans mes histoires mais je n’ai pas la prétention d’être un moralisateur. J’aime mes personnages mais je ne suis pas là pour les juger. En gardant mon amour pour ses personnages je garde une justesse dans l’écriture et dans ce que j’ai envie d’écrire et pas me dire là « ce n’est pas bien ce qu’il fait ce personnage » et du coup, je ne suis plus du tout en accord avec mes personnages. Enfin, si je commence à les juger, ça va fausser mon récit.

"Mon ami Pierrot", voici un titre bien évocateur pour la chanson enfantine Au clair de la lune. Pour rappel, le personnage principal de la comptine, n'ayant plus suffisamment de lumière pour écrire, doit aller demander du feu à son ami Pierrot. Avez-vous voulu faire un parallèle avec votre héroïne Cléa qui est en recherche de lumière sur son avenir ?

Oui en fait c’est très juste c’est tout à fait ça. Il y a aussi tout cette dimension de savoir à qui est adressé cette comptine, aux enfants. C’est le côté magique, on ne comprend pas trop les paroles quand on est enfant. En réalité cette comptine a une double lecture, enfant mais aussi adulte et très grivoise. En fait, cette désillusion dont vous parliez au début, qui pour moi s’invoque. Quand j’ai appris que cette chanson avait un double sens ça m’a créé une sorte de désillusions, pas forcément traumatique mais quand même.

C’est comme la Mère Michel…

Exactement, c’est hyper violent comme histoire. Pour moi ce sont des chansons qui sont importantes parce qu’elle parle de choses crus mais avec beaucoup de légèreté. En fait, en tant qu’enfant, on les entend et seulement après elles prennent du sens.

C’est subliminal…

C’est ça ! Pour moi c’est cohérent par rapport à la magie, par rapport à tout ce que raconte l’album. En fait, c’était une histoire alchimique. C’était un peu les Magiciens de l’époque, les alchimistes qui pouvait transformer le plomb en or. Et je voulais raconter mon histoire de cette manière-là. Passez de la partie magique à un monde réel.

Il y a encore une histoire de tromperie là-dedans ?

Exactement ! Pour moi cette chanson c’est une histoire de tromperie d’un certain point de vue.

On commence à tromper l’enfant, déjà !

Tout à fait, et c’est ça que je trouve super intéressant.

Vous avez évoqué dans un précédent interview que vous désiriez faire un parallèle entre votre album précédent et celui-ci pouvez-vous être un peu plus explicite ?

Si on analyse un peu l’album, en réalité, c’est exactement les mêmes thématiques que « Lettres perdues ». Il y a le passage de l’enfance au monde adulte, du refus de grandir et d’accepter le deuil. Or, la mort est présente dans Pierrot. Et le fait que la mort est un problème de non-acceptation en réalité, de déni. Je voulais en parler au travers d’une histoire d’amour et en fait, c’est des sujets qui pour moi sont prégnants, qui font partie de ma vie.

L’intention de l’album, c’est aussi de provoquer une réflexion sur ce que l’on est, comment on a vécu mais sur ses propres choix aussi. Je partage vraiment un moment de ma vie avec toutes mes réflexions et je pense que l’on est tous concerné par ça, en fait.

"Premières Lettres", premier album chez GLENAT, a remporté un vif succès à sa sortie. Aussi, avez-vous ressenti une pression particulière lors de la réalisation de celui-ci ?

Ouais, ouais, j’ai senti une attente. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai été obligé de le sortir vite. Parce que je me suis mis une pression que je me suis mis un peu tout seul. J’ai eu besoin de le sortir vite pour que justement m’autoriser à me dire : « ok, t’as fait deux albums qui pour toi, font sens. Et maintenant tu as le droit de prendre du temps pour la suite ». J’avais envie de montrer que le premier album, ce n’était pas de la chance, que je savais écrire.

Ce n’était pourtant pas le premier ?

Le premier qui se faisait remarquer, oui ! L’attente je la ressentais tellement fort que je me suis dit, je ne vais pas vous faire attendre. L’attente je la ressentais moi-même et c’était fort désagréable.

Je suis assez challengé pour pouvoir sortir cet album très vite. J’aurais aimé prendre plus mon temps mais voilà, c’est comme ça, l’album est sorti et je suis très content qu’il soit sorti comme ça. Maintenant, j’essaye de me détacher de tout ça, de toute cette pression et de repartir de manière plus saine. Et le prochain album aura encore cette dimension qui finira par me libérer de plein de choses. Il y aura encore des réflexions que je n’ai pas poussé dans les deux premiers albums qui pour moi vont conclure, vraiment sur ce que j’avais envie de dire sur la liberté, sur la condition de pourquoi on fait ça et pour quand on choisit telle ou telle mode de vie etc. C’est important pour moi d’en parler. Je pense que dans ma vie, j’ai mis trop longtemps parfois à comprendre, j’ai été pas mal conditionné, j’ai mis du temps à m’extirper de mes propres conditions.

J’en connais beaucoup comme ça.

Mais oui, et il faut forcément du temps. J’ai rencontré un jeune cet après-midi en séance de dédicaces qui m’a dit que le personnage a mis trop de temps à se libérer, ce à quoi j’ai répondu : « Tu verras quand tu seras plus âgé, qu’on ne se libère pas si facilement et rapidement que ça ».

Concernant Mon ami Pierrot, après quelques semaines de parution, quel retour avez-vous eu de la part de votre public mais aussi des critiques ?

J’ai un retour très enthousiaste j’en ai même qui ont préféré cet album-là plutôt que Lettres perdues, ce qui m’étonne.

Et a contrario, il y en a qui font un rejet complet par rapport au premier. J’ai même reçu des messages agressifs vis à vis de Pierrot.

Qu’est-ce qui les a gênés ?

Je ne sais pas, ils ne le disent pas ! Peut-être un sentiment de mal être alors que dans le premier, il y a plutôt un sentiment de bonheur. En fait, je me demande ce qui les touche dans le personnage.

Quelle technique a été utilisée pour réaliser cet album ?

100 % numérique, à la tablette Cintiq et avec le logiciel Photoshop contrairement à Lettres perdues où j’avais un crayonné en tradi. J’ai bien aimé de le réaliser entièrement en numérique parce que j’ai l’impression que j’ai été au bout, pas forcément de la technique numérique mais de moi, de ce que je pouvais ressentir.

Je verrais très bien ce scénario et ce dessin exploité pour faire un dessin animé y avez-vous songé ?

À mon niveau, oui ! En fait, je vois mes bandes dessinées comme des films. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que le cinéma m’influence beaucoup.

Concernant les couleurs, j’ai préféré le traitement de Lettres perdues, seulement là, les palettes que j’ai utilisées font plus sens avec le récit.

Je pense que j’ai vécu plus émotionnellement ce bouquin que le précédent et ça se ressent notamment dans les couleurs. Il y a eu dans celui-là une approche plus mécanique, moins réfléchie sur les couleurs car j’étais plus capté par mes émotions.

Votre dessin oscille régulièrement au fur et à mesure des cases entre le dessin franco-belge et le manga. Pouvez-vous nous éclaircir sur vos influences ?

Oui, c’est vrai ! C’est du à l’émotion ! Je fonctionne bcp dans mon dessin à l’émotion. Quand il y a un moment il se passe quelque chose, mon dessin se transforment un peu. Les visages se déforme. Et pour moi, des fois il va y avoir un visage assez malaisant, ça renforce les émotions. Du coup, les visages sont moins statiques et ça a du sens pour moi.

Vous êtes un lecteur de bandes dessinées ?

J’en lis toujours mais j’ai beaucoup moins de temps qu’avant.

Vos influences, c’est Taniguchi, Moebius ?

Pas trop Taniguchi, énormément Moebius mais aussi Miyasaki, j’ai lu beaucoup de mangas. En franco-belge, en réalité même Tintin, c’est du digéré mais Tintin m’a beaucoup influencé. Il y a énormément de bandes dessinées qui m’ont marqué et en réalité beaucoup plus le manga dans les mangas par exemple, ils n’ont pas peur de déformer les personnages pour aller capter l’émotion très rapidement. Ça permet d’aller à l’essentiel et pour moi c’est ça que j’aime bien, c’est ce que j’ai envie de laisser

Combien de temps faut-il pour réaliser un album pareil ?

Pour cet album, un an bien complet, entre l’écriture et la réalisation. C’est un album qui été beaucoup plus difficile à faire pour moi, du fait qu’il fallait mener de front la promotion de Lettres perdues, beaucoup de sollicitations, un déménagement.

Quelle relation de travail entretenez-vous avec l’éditeur ?

Son rôle a été très important. Ça va souvent un peu dans tous les sens dans ma tête et l’éditeur a su me recadrer.

Cela sous-entend, bon nombre d’aller et retour ?

Je ne fonctionne pas comme ça, j’envoie des pavés. D’abord le script, puis mon storyboard qui est mon crayonné en général et ensuite on débriefe. Ça ne me dérange pas de refaire des planches, d’en rajouter. J’ai besoin d’une vision globale sinon ça me perd dans le fil. J’ai besoin d’être dans mon histoire tout le temps et d’avoir une vraie vision globale sinon je ne pourrai pas maîtriser mon récit.

Interview de Bernard LAUNOIS, réalisée le 8 octobre, à l’occasion de QUAI DES BULLES 2022

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 19 Décembre 2021

Interview de Pascal Rabaté à l'occasion de la sortie de SOUS LES GALETS, LA PLAGE

Un scénario à fleur de peau avec un récit linéaire allant crescendo d’une rencontre entre deux mondes qui n’ont pas de raison de se rencontrer. Pascal Rabaté a répondu à nos questions.

Dès les premières pages, l’on comprend que la petite bourgeoise va être raillée. Avez-vous des comptes à régler avec la petite bourgeoisie ?

Oh, non je n’ai pas de comptes à rendre mais le projet de faire un film était plus sur la fin d’une époque. Une époque qui n’a pas été digéré d’ailleurs. On a un problème de mémoire. Je crois que nous sommes le seul pays où nous avons appelé notre armée, « la grande muette ». Donc, assez lamentable au niveau des cadres en 14-18 avec un Pétain qui a fait fusiller un soldat sur dix dans certains régiments. On finit par donner le pouvoir en 40 et qui a donné, ce qu’on se rappelle. J’ai l’impression qu’il y a une espèce d’entretien de la mémoire où à l’école, l’on n’apprend pas qu’il y a une France de la défaite. On a tout mis sur le troufion en l’appelant l’armée La Doumergue. En 40, c’était d’une incurie complète des cadres de l’armée. Quand je parle des cadres, c’est les grands cadres, ceux qui sont restés à l’arrière en donnant des ordres et il y a eu une espèce de truc comme ça, assez pourri ou De Gaulle a réussi à négocier une entrée dans les villes en 45 avec les forces alliées pour sauver un peu la face, avec des trucs qui sont ignorés d’ailleurs, tels que déshabiller les coloniaux pour donner à des blancs qui étaient là juste pour de la figuration d’ailleurs. La chose est que j’avais envie de parler de cet esprit de révolte où je travaille beaucoup sur des projets sur la métaphore. C’est-à-dire que si j’ai fait La déconfiture, ce n’est pas pour parler de l’époque certes, mais c’était aussi une façon pour moi d’exorciser l’époque présent. Au moment où j’ai commencé à initier le projet, on allait avoir des élections où il se préparait un deuxième tour extrêmement chaud et pour moi, Vie de grains, c’était un peu moi où on allait au fond, sachant qu’on allait perdre ! On n’a pas perdu comme on pensait (rires), on a perdu différemment, c’était moins violent mais il y avait un peu de ça. Et sur ce projet-là (Sous les galets, la plage, ndr), j’avais envie d’en finir avec ces idées moisies de la sagesse que l’on a en vieillissant et de faire confiance aux vieux. Ça me gave ce discours me gêne et je trouve que l’espoir est plus dans la jeune génération. Je ne supporte pas des gens comme BHL, quoiqu’il a toujours été comme ça ou un Glucksmann qui a été dans l’insurrection et qui n’a gardé que le tutoiement et de prendre la parole à tout prix. Ce sont des gens ou leur pensée a été javellisée avec le temps. Je ne vais pas régler mes comptes mais je vais essayer de dire qu’en effet, l’avenir appartient aux jeunes qui vont le vivre et pas à ceux qui vont l’écrire pour les autres. Ça, c’est un peu le nœud du truc et puis après, j’étais en vacances hors saison, en plein montage de mon dernier film, on a fait une pause en allant à Loctudy et lorsque je suis passé devant de belles maisons aux volets fermés, je me suis dit « c’est la saison pour cambrioler ! ». Je me suis donc endormi là-dessus et de là est né l’histoire.

Au début de l’interview, vous faites peut-être un lapsus révélateur en parlant de film alors que la question porte sur la bande dessinée Sous les galets, la plage.  Ah, m… !!!

Alors, avez-vous songé à faire un film de cette bd ? À vrai dire, non ! Je sortais d’un, avec les complications qu’implique un tournage, surtout avec une économie réduite, et où l’on est obligé de tirer sur tout. Alors, c’est un plaisir mais à un moment donné, c’est fatigant et moi, j’ai besoin d’alterner un peu les plaisirs de communion générale, de festivités que sont un tournage avec des engueulades où tout est exacerbé. Et puis, il y a des moments de repos où je conçois plus le livre comme quelque chose de plus intellectuel.

Malgré tout, c’est quelque chose que vous avez déjà fait, une bande dessinée et ensuite un film tiré du scénario ? Oui, effectivement. Maintenant, si l’on me le propose, je ne cracherais pads dedans mais pour moi, le livre se suffisait à lui-même. Après, si plus et affinité, on essaiera de traiter du même sujet mais avec un peu plus d’émotions.

Deux mondes qui se rencontrent, la petite délinquance et la bourgeoisie et qui ne se côtoient pas, du moins en apparence car « chasser le naturel, il revient au galop ». N’est-ce pas ce que vous avez voulu notamment souligner dans cet album ?

Je ne sais pas ce que je voulais vraiment en fait, c’est le nœud de toutes les dramaturgies, de faire rencontrer des mondes qui ne doivent pas se rencontrer. En l’occurrence, ce n’est pas tout à fait vrai, parce que l’on se retrouve avec quelqu’un qui a une éducation classique et qui s’en va faire des études, ainsi que ces deux autres amis d’ailleurs, et les bourgeois sont comme les cochons, ils ont quand même des études, un vernis culturel, ils sont éduqués, classiquement certes. Et la gamine est également éduquée car l’autre lui a fait ses armes sur les arts, sur la manière d’apprécier les choses de valeurs. Aussi des philosophies qui sont plus les miennes que celles de l’autre milieu. Et l’idée était de faire rencontrer ces deux mondes et à un moment, la « sans racine » allait peut-être donner l’envie à un « enraciné » qui traine sa famille comme un boulet, de sortir de ce milieu. Et puis, c’est l’amour pour cette jeune fille qui l’initie à la chair. Et c’est ce truc qui n’est pas définissable, que l’on appelle l’amour. Et donc, c’était vraiment se faire rencontrer des choses et comment l’on pouvait tordre parce que, mine de rien, 68 est né de ça ! Ça été les grands bourgeois qui étaient dans les facs qui ont foutu la merde et à côté, il y avait les katangais qui étaient là pour faire de la guérilla et c’est un peu cette association à laquelle je donne un sentiment de non-retour. J’ai choisi pour Albert, ou en effet il brise les chaînes et il ne pourra retourner dans ce milieu. J’ai choisi pour lui qu’il allait choisir l’inégalisme.   

« La propriété, c’est le vol », une citation de Pierre-Joseph Proudhon, homme politique français considéré comme un précurseur de l’anarchisme, est rappelé en prologue de cet album. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez tenu à mettre cette citation en avant.

Pour remettre tout dans le contexte, cette phrase de Proudhon concernant ces propriétaires, que l’on appellerait aujourd’hui, des marchands de sommeil, qui exploitaient la misère humaine en louant des taudis à des prix exorbitants. Dans cette formulation, c’était Proudhon et après, en extrapolant, j’ai créé Marius, un personnage où l’inconnu au bataillon, c’est moi qui pour le jeu de mots disait, « la propriété, c’est le viol, la résidence secondaire, c’est du vol aggravé » ! Alors, il y a un personnage qui est en filigrane, c’est Marius Jacob qui est l’inspirateur d’Arsène Lupin et qui était un anarchiste qui avait une communauté, avec une vision de clan, car il ne faut pas oublier qu’il nourrissait bon nombre de personnes avec ses larcins.

Quel titre ! Est-ce un clin d’œil au slogan « Sous les pavés, la plage » écrit au moment de mai 68, soir 6 ans après que vous situiez votre scénario ?

Oui, tout à fait !

Vous n’avez pas connu cette période-là, eu égard à votre statut de bébé en 1962. Pouvez-vous nous dire si vous avez interrogé vos aînés pour réaliser cet album !

Je n’ai aucun souvenir de cette période-là, j’étais totalement extérieur à ça car je vivais en province. Ayant fait les beaux-Arts quasiment dix ans après 68, j’ai eu des professeurs tels que Sauvageot qui avaient été actifs pendant cette période et qui n’ont pas manqué d’en faire état. Mais tout pour vous dire, ils m’ont plutôt fait ch… car ils n’appliquaient plus déjà ce qu’ils avaient revendiqué. L’anarchisme, le gauchisme s’exprimaient dans le vote mais pas forcément dans la vie de tous les jours. Ils ont été chiants comme tout le monde : peu de cours magistraux avec eux mais il y avait des restes, de la bonne bourgeoisie de gauche. Je suis issu de la faucille et du goupillon, d’un côté avec un grand père communiste avec sa femme, bonne du curé et de l’autre côté, c’était la même chose sauf que le grand-père était anarchiste. Je suis donc un peu le fils de ce truc-là. J’avais quand même un respect pour ces gens qui avaient foutu la m…. D’où on avait sorti quelques idées mais après quand on voit après ce qu’ils sont devenus. Je n’aime pas l’idée d’apostat, je n’aime pas les gens qui trahissent leurs trucs. Quand on change, bah au mieux, on ferme sa gueule pour faire oublier les conneries qu’on pense avoir dites ou le con qu’on est devenu.

La dominante de couleurs de cet album est le marron et le violet. Est-ce pour souligner le côté mélancolique, nostalgique du récit ou autre chose ?

La chose est que, redonnons à César ce qui appartient à César ! Il y a quelques années, David Prudhomme était en train de faire Noir et vif  et comme moi, on essaie, on essaie, de construire, de re-construire et il me montre chez Futuro, les planches et la mise en couleurs qu’il est en train de faire et me montre des couleurs que je trouve superbe et puis, il les sature et je lui dit, « mais c’est super, aussi » ! Et à la fin, il me dit « Et j’hésite avec ça » et il désature tout. À ce moment-là, on se retrouve avec des couleurs extrêmement pâles et je lui dis « Putain, mais c’est génial » ! « Mais oui, mais qu’est-ce que je choisis ? » Je l’ai laissé faire et il a finalement choisi des couleurs classiques. Et quand finalement, j’ai démarré ce bouquin, je me suis dit que j’allais essayer le désaturé. Le truc, c’est aussi le dessin qui induit ça enfin, c’est une perception que j’ai de la couleur. Il y a un grand maître qui m’a longtemps influencé, c’est Buzzelli, avec son dessin réaliste, très beau et… Sale ! Il faisait des hachures, il avait un trait de pinceau qui finissait en pinceau sec et quand il passait en couleurs, c’était la catastrophe ! D’abord, il n’était pas coloriste, avec des couleurs que l’on se demandait s’il ne faisait pas ça avec des fonds de pots. Il se trouve que son dessin était sale et que quand on met de la couleur derrière, le gris salit la couleur et j’ai été confronté à ça quand j’ai bossé avec des coloristes où en effet, la couleur fallait qu’elle apporte quelque chose au dessin où j’ai posé mes gris, mes spots pour travailler les zones d’ombre. Il faut donc que la couleur apporte une impression, un sentiment : chaque intérieur a sa propre couleur. Quand on est chez Albert, tout est vert, des maisons visitées, tout est bleu et quand on cambriole, tout est rouge. Je me disais qu’il fallait que je me serve de ces tons-là pour changer d’endroit. Là-dessus, je ne voulais pas surligner les choses et c’est la raison pour laquelle j’ai utilisé, par exemple, des roses pâles. Chaque couleur devait donner une indication de lieu et allait participer à une sorte d’ambiance. Je pense que ça ne va pas plaire à tout le monde mais je n’avais pas envie de faire du beau mais ces couleurs devaient donner une ambiance. Alors, il y a des gens qui me disent que j’ai épuré certains décors mais je n’ai pas l’impression. Je connais la vision globale malgré tout je suis un classique dans la narration, je reste un enfant d’Hergé, je l’assume !

Interview réalisée le 30 octobre 2021 dans le cadre du festival Quai des Bulles

Bernard Launois

 

 

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 11 Décembre 2021

Tout est fort ! Un scénario haletant et angoissant rythmé par un dessin dynamique associé à des couleurs attachées à chaque lieu. On avait quitté Raven s’étant joué de Lady Darksee, prêt à faire cavalier seul pour récupérer le trésor perdu de Chickén Itza sur l’île de Morne au Diable. Le décor est planté et l’aventure peut continuer.

Sans dévoiler le dénouement de cet opus, pouvez-vous en raconter un peu plus ?

Oui, en fait j’ai une thématique que je traine dans cette histoire de Raven, c’est le prix de la liberté. Et donc, j’ai choisi de raconter une histoire de pirates pour expliquer en quoi je pense que la liberté est une belle idée mais qui a un coût très élevé et il faut savoir ce que ça veut dire, il faut savoir quel prix on est prêt à la payer. Je montre un personnage qui va passer par trois stades importants : le premier qui est l’insouciance d’une vie qui lui convient et d’une jeunesse qui lui permet de faire tout ce qu’il souhaite et qui est adapté à son environnement on peut dire mais avec un problème sous-jacent qui est, qu’il n’arrive pas à se faire à son univers. Il aime cet univers mais lui ne l’aime pas et il ne comprend pas pourquoi ! Et, dans le deuxième tome, je montre un affrontement tellurique entre deux pirates que tout oppose, un qui vit au jour le jour et qui n’est que spontanéité et intuition et romanesque et une autre qui est pragmatique, avec un projet clair, un pouvoir de projection évident. Qui sait parfaitement ce qu’elle veut et qui prendra les moyens pour les obtenir. Quelqu’un qui a des encrages et un qui n’en pas et la rencontre entre les deux est insupportable parce que Raven considère que cette femme ne profite pas du tout de la vie de pirate et que c’est une traitresse qui pactise avec les aristocrates et qui a donc des projets contraires même à la nature de la piraterie, qui a dit non à la société pour créer une alternative. Et pour Darksee, Raven est quelqu’un de compétent éventuellement mais qui ne fait rien de sa compétence, qui ne sert à rien à personne et qui n’a aucun intérêt, qui ne devrait pas exister. Or, je m’arrange pour qu’ils soient obligés de se fréquenter et de faire une aventure ensemble. Et pourquoi ? Parce que ça m’intéresse de voir, de faire faire cet itinéraire à Raven pour qu’il comprenne pourquoi ça foire ! Pourquoi, il est toujours celui qui se retrouve seul, rejeté par les autres. Qui, au final commence des aventures, même extraordinaires et qui au final, termine tout seul sur une chaloupe ou sur un radeau selon les circonstances.

Il finit par devenir sympathique, en fait.

Parce qu’il se bat beaucoup ! Il y met de l’énergie et c’est une ode à la vitalité, en fait. C’est-à-dire que toute cette histoire montre qu’est-ce que c’est qu’une vie sans lendemain dans lequel le jour fait l’essentiel du travail. Et donc, on voit les choses de manière très différente et j’aime bien mettre en scène, ça. J’aime bien monter l’agacement des gens qui construisent face à des gens qui sont inconstants et inconséquents parce que c’est infernal et qu’il n’y a rien de pire qu’une compétence mal utilisée et mal employée et j’aime bien cette idée de mouche du coche que Raven fait en permanence pour prouver sans arrêt à Darksee qu’il est capable, qu’il mérite le respect. Et elle n’en a rien à faire de respecter Raven, elle a un projet et juste il l’emmerde ! Ce n’est pas possible, il va falloir qu’il sorte de sa vie et lui reviendra éternellement tant qu’elle n’aura pas reconnu l’intérêt, le respect et l’attention.

Un moment, dans cet opus, on avait l’impression qu’ils allaient faire quelque chose ensemble.

Il y a un vrai moment de complicité parce qu’ils ont un projet et c’est un indice que moi je mets quand je raconte cette histoire qui m’amuse. Et je mets un certain nombre d’indices pour expliquer quel vont être le trajet pour que Raven comprenne pourquoi ça ne marche jamais, pourquoi il n’y arrive pas. Il y a une rivalité directe avec Darksee qui ne va pas forcément mal se passer pour lui dans ce tome 2 mais il n’en tirera pas grand-chose finalement. Et, encore une fois, sa compétence aura été mal employée. Et lui, il ne comprend pas avec pourquoi une telle débauche d’énergie et de capacité ne l’amène absolument pas à voir ce qu’elle a, à savoir un équipage, un navire. J’aime bien cette espèce de proposition de mettre en scène ces gens à la vitalité exacerbée avec un mélange d’idéo et de sur-gourmandise de vie, confronté à la brutalité d’une vie dans laquelle ils ont été projetés car c’est vrai qu’ils ne l’ont pas choisi. Le pirate ne nait pas par choix. Il a été catapulté là parce qu’on l’a vendu, on l’a arrêté, on l’a déporté, il a été enrôlé de force et qu’il s’en est échappé. Enfin bref, ça n’a jamais été simple et quand il sort là, c’est qu’ils ne peuvent pas être ailleurs. Très pragmatiquement, ils ne peuvent retourner nulle part. Donc, il va falloir vivre comme ça et il se réinvente des individualités, des sur-compétences pour avoir mérité de participer à quelque chose, de faire partie d’un groupe. D’ailleurs sur le terrain, c’étaient des gens assez étonnants. Mais pour deux raisons d’abord, ils voulaient mériter le droit de vivre mais de faire partie de quelque chose et ensuite, je pense qu’il y avait un désir de revanche assez marqué contre les sociétés qui les avaient chassées en disant « vous m’avez mal parlé, je ne suis pas le gros nul que vous pensez et maintenant vous allez voir, vous allez comprendre.

On a toujours besoin d’un plus petit que soi. Ne pourrait-elle pas être la devise de Raven au contact d’Arthur, le jeune garçon ?

Oui, oui ! Alors, puisqu’il y a toujours un côté infantile dans les énergies développées par les pirates. Pourquoi ? Parce qu’ils ne vivent que l’instant et la beauté du geste. Ils ne sont pas dans la construction, dans l’épargne ou dans bâtir une maison, bâtir une famille. Ils sont dans l’idée, ensemble on va faire des trucs, vivons des choses et essayons de monter que l’on en ait capable et que l’on n’a pas peur et que l’on mérite d’être respecté et qu’on a sa place dans la famille, quelque part. Et donc, les enfants et les pirates communiquent très bien. Pour moi, c’est quelque chose d’intuitif et ça m’amuse de voir ces espèces de chicaneries entre Raven et Arthur, qui explique à Arthur qu’il faut qu’il arrête de jouer les gros bras parce que dès l’instant où il a un problème, les autres le résolvent pour lui, ce qui fait

partie de la thématique de Raven qui est que, que l’on soit un homme ou une femme, on doit se démerder et ne dépendre de personne et que c’est comme cela que l’on gagne la liberté. Arthur va lui prouver, du coup, que ce n’est pas vrai du tout et qu’il est capable de s’en sortir et donc, il va relever le gant.  Et c’est pour ça qu’il y a une petite histoire qui se passe entre eux et moi, j’assimile le fait que dans le tome 3. Raven va être confronté au fond du fond de sa mythologie en fait et qui est, si je suis mon dogme et si je suis mes idées, je serai forcément en opposition avec le groupe et donc, je devrai sacrifier le groupe à mes idées. Et pour quelqu’un qui en pâtit, et qui estime agir avec une éthique et avec ce qui lui paraît être juste, comme il fait dans la première scène. La première scène du tome 1, il attaque un navire parce que ce sont des vilains espagnols qui ont pillé les richesses d’Amérique du sud sauf qu’il y a une jeune fille là-dedans qui va se faire repasser par l’intégralité de l’équipage pirate et ça, ce n’est pas tolérable. Donc, en une seconde, il protège la fille et se retourne contre tout l’équipage, de ses alliés avec lesquels il avait mené la campagne, ça ce n’est pas tolérable. C’est quelque chose qui est inacceptable par un groupe et donc il va donc se mettre tout le monde à dos alors qu’il a sauvé une jeune fille et que vu de l’extérieur, on va considérer qu’il avait raison de ce qu’il a fait. Et, c’est toujours ma question sous-jacente qui est, quand on fait partie d’un groupe, il faut savoir mettre un petit peu son éthique personnelle de côté parce que celle du groupe passe devant.  Et la fidélité au groupe est une valeur qui est très belle et qui est moins facile à tenir, entre guillemets, du point de vue personnel que de faire toujours tout à sa façon mais si on veut bénéficier du groupe, et si on veut faire partie d’un groupe, c’est quand même quelque chose d’intuitivement puissant et de viscéral chez tout le monde. Eh bien, il y a un prix à payer et il faut le savoir.

On est toujours plus fort lorsqu’on est en groupe

Bien sûr, et on le sait tous, c’est une condition de survie. Et j’aime ce moment où les idéologies des individus se fracassent contre la réalité communautaire. Une communauté qui va construire ensemble et il va falloir accepter que l’intérêt commun passe devant l’intérêt individuel et donc, même chez les pirates, c’est quelque chose qui fait sens. Et j’aime bien parler de ça !

Pouvez-vous nous décrire vos méthodes de travail, tout d’abord au niveau du scénario, storyboard, que du dessin crayonnés, encrage mais aussi mise en couleurs ?

C’est construit comme une fable, je raconte vraiment une petite parabole sur des comportements humains et c’est pour ça que je suis retourné vers les pirates parce que je voulais parler du prix de la liberté. J’ai construit mon histoire en 3 volets : l’état des lieux, où en est ce personnage, qu’est-ce qui marche chez lui ce qui ne marche pas. J’ai créé ma dramaturgie là-dessus. J’avais besoin de mes 3 pôles : du personnage protagoniste, sa Némésis qui est en fait, tout ce qu’il n’est pas et une reconstitution d’une société organisée et donc, qui a tout sacrifié au collectif. J’ai donc mis ces 3 pôles dans un lieu qui ne leur est familier à aucun et je vois comment chacun de ces systèmes peut cohabiter, s’affronter ou affronter un problème commun qui est la survie dans ce lieu et le fait qu’ils sont des envahisseurs dans une ile qui ne veut pas d’eux.

J’ai donc créé ma fable n°1 en présentant les protagonistes, la mission. Pour le 2, j’avais besoin d’avoir un duel entre Némésis et Raven pour savoir s’ils arrivaient à se supporter devant l’adversité. Le fait qu’il y est un objectif commun rend naturel que la collaboration va donner davantage de chance de succès et c’est la beauté de l’affaire. J’assimile progressivement le fait que Raven va devoir accepter l’idée que le groupe a raison sur lui. Et donc, je vais le mener très loin dans le 3 puisqu’il va falloir qu’il choisisse de faire seul ou avec les autres et qu’il aille au bout de sa logique.

Choisir, c’est renoncer ! J’aime l’idée que l’on a nos programmes pour réagir, ce qui nous paraît bien, logique… Mais l’apprentissage ne s’arrête jamais ! Nous sommes des paresseux et il faut être confronté à des situations inhabituelles pour que l’énergie à se sortir de l’inconfort soit légitime à ce moment-là et, tout d’un coup, faire le saut que l’on n’aurait fait en terrain habituel.

Sortir de sa zone de confort ? Exactement et là, il va le faire !

Et pour le dessin ?  Pour les couvertures, je vais avoir une tonalité différente par rapport à l’intensité du chapitre, c’est quelque chose qui est important pour moi. Je commence dans les froids, je continue dans les chauds et je vais carrément terminer dans le tumulte dans le 3ème tome qui va s’appeler Furie parce que là, c’est toutes les personnes qui vont aller au bout d’elle-même, etc. Il y a un code chromatique qui va avec la nature de l’émotion traitée. J’accorde aussi de plus en plus de l’importance à ce que j’appelle l’incarnation : aller de moins en moins dans l’ellipse pour aller de plus en plus dans la scène, ce que provoque la scène, le conflit de la scène et il y a la conséquence de la scène, ce que j’appelle la question de sortie qui est le moment où on avait un état de départ, un conflit interne de milieu de scène, faut faire un choix. Ce choix vous amène vers une nouvelle conséquence qui pose une nouvelle question en fin de scène.

J’aime ce moment où l’on traite de la conséquence humaine et là, je suis obligé d’aller très vite dans mon format parce que j’ai 54 pages, énormément d’action et je trouve qu’en développement interpersonnel, j’ai la substance et je veux la montrer. Je suis maintenant en train de travailler, c’est vraiment de la tuyauterie, de telle manière à montrer ce rapport interpersonnel où le personnage va réagir émotionnellement à la conséquence de ses choix mais pas uniquement factuellement. Ça prend un peu de place mais c’est chouette, c’est là je pense que le lecteur ou spectateur, je suis comme ça, ont créé le lien magique. C’est là où l’attachement au personnage devient très fort. C’est pour ça que dans la bd, on appelle nouvelle bd ou plus contemporaine, on minimise l’action au profit de la réaction interpersonnelle. Parce que, du coup, on créer un attachement viscéral à la psyché du personnage et l’action est moins efficace pour créer le lien que la réaction émotionnelle ou affective à l’action elle-même, même si elle est traitée. Voilà, moi j’ai besoin de cette action, j’ai besoin de confronter mes personnages aux périls pour qu’ils se transfigurent mais je ne veux pas faire l’impasse complète sur l’interpersonnel et sa conséquence.

Quand on lit cette série, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle va servir de support à la réalisation d’un film, qu’en pensez-vous ?

Ah, disons que je n’ai jamais pu faire vraiment la différence entre les médias, sachant que et c’est ça que j’aime, que ce soit ce que je lis, j’écoute, je regarde un film ou une bande dessinée, ça finit par faire une espèce d’image dans ma tête, de sensation globale et chacun a ses moyens. Et oui, il y aurait moyen à faire du cinéma avec Raven parce que la nature des émotions est très cinématographique mais je sais aussi que la logistique du cinéma demande à ce que l’on soit à l’aise en communauté et il faut savoir gérer les affaires de groupe : les affaires de politique, de financement, de séduction et c’est dur ! J’ai côtoyé ce milieu, il faut être armé pour ça et ce n’est pas quelque chose dans lequel je suis… Je trouve les couleuvres assez rudes, je trouve cette guerre assez féroce et c’est la force du projet qui rend l’affaire légitime. Toujours est-il que je n’irai pas la fleur au fusil dans cette expérience.

Interview réalisée le 30 octobre 2021 dans le cadre du festival Quai des Bulles

Bernard Launois

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Interviews

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Publié le 4 Décembre 2021

Interview Thierry Martin, un forçat du dessin !

Quai des bulles fait partie des festivals où les toutes les conditions sont réunies pour s’adonner aux interviews. Cette année, j’ai eu plaisir notamment à rencontrer Thierry Martin pour son album Mickey et les mille Pat, réalisé avec le scénariste Jean-Luc Cornette et plus généralement revenir sur ses méthodes de travail.

Comment avez-vous été approché pour intégrer cette belle série Disney by Glénat ?

C’est nous qui avons fait la démarche. On est allé voir GLENAT mais ça été un peu alambiqué comme parcours. Quand la série a commencé, je n’étais pas dans l’idée de vouloir absolument faire un Mickey. D’abord, je ne m’en sentais pas forcément légitime. Je ne suis pas forcément un auteur très connu, qui vend beaucoup. Ceux qui étaient déjà sorties, il y avait déjà un nom et je me disais, je ne vais pas préparer un dossier si ça se trouve, pour rien. Et puis, un soir au festival d’Angoulême, un auteur me dit que j’en ferais un bien, de Mickey. Ça m’a trotté dans la tête et et j’ai commencé à en dessiner et je me suis aperçu que ça venait plutôt facilement. Je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire et sauf, que si je faisais un Mickey, il devait impérativement se situer au Moyen-âge. Le travail sur le Roman de Renart que j’avais fait, je voulais aller plus loin dans cette démarche et aussi l’occasion de faire pleinement un hommage à ce qui m’a donné envie de faire de la bd, en l’occurrence les Johan et Pirlouit.  J’ai posé quelques dessins sur le net et ça a bien réagi. Entre temps, on est allé à un super festival en Guyane notamment avec Keramidas et Jean-Luc Cornette avec lesquels j’ai bien sympathisé. En rentrant, Jean-Luc me contacte pour me dire qu’il avait dormi chez l’éditeur qui s’occupe de la collection et Jean-Luc voulait en faire un. L’éditeur lui a dit que s’il trouvait un dessinateur pour en faire un qui soit à la hauteur, pourquoi pas ? On a donc décidé de tenter le truc à deux. J’ai indiqué à Jean-Luc mon souhait de faire un album qui se situerait dans le Moyen-Âge. Ça a mis un petit bout de temps à se débloquer et pour le faire court, tout le monde était au courant que j’allais en faire un sauf moi ! Puis, une fois partie, planche d’essai, présentation de projet !

 C’est bien quand même, quand on voit cette belle pléiade d’auteurs qui ont déjà participé à l’aventure.

J’en suis très content ! En même temps, c’était l’occasion d’avoir un coup de projecteur sur mon travail car il y a quand même 5 à 7 000 albums par an et les chances sont assez minces d’être un petit peu vu. On fait aussi un peu ça pour ça. Là, il y avait le deux en un, le plaisir d’en faire un, de plus un Moyen-Âge et puis un coup de projecteur sur mon travail.

Disney est quand même emblématique et je suppose qu’autour de vous, on a été plutôt content ?

Tout à fait, d’autant plus que j’avais déjà fait un Batman. Sauf que là, ce n’était pas calculé !

Quel est votre rapport avec Mickey et plus généralement avec l’œuvre de Disney ?

En fait, je n’ai pas un grand grand rapport avec Mickey, dans le sens où je ne lisais pas forcément Mickey magazine quand j’étais petit. Je connaissais Mickey, j’en feuilletais mais c’était plus Spirou ou Tintin. Mais par contre, c’est peut-être plus dans l’animation. Ayant travaillé dans l’animation, je suis plus le travail de Disney dans l’animation et notamment un épisode de Mickey qu’on peut voir sur le net, Mickey, le brave petit tailleur. 15’ d’animation hyper joyeuse et visuellement, je ne peux que faire encore le lien avec Johan et Pirlouit, en fait j’aime bien le Moyen-Âge. Tout simplement ça ! C’est plus donc un rapport avec l’animation qu’avec la bande dessinée.

Il y a un petit côté Fantasia dans cette bd, avez-vous le sentiment d’avoir été influencé ?

Oui, oui !

Ces multiplications des balais que l’on pourrait rapprocher de la multiplication des Pat Hibulaire, des Minnie…

C’est aussi un clin d’œil aux Schtroumpfs et on revient à Johan et Pirlouit. Je retourne toujours sur mes pattes, sur mes mille pattes (rires). Une fois que nous avons mis en place notre synopsis, j’ai peut-être été un peu chiant au départ car je voulais le faire un peu pour me faire plaisir aussi et Jean-Luc a été très à l’écoute. Donc, on a eu beaucoup d’échanges sur quoi faire, ce qu’il se passe dans l’aventure, etc. Puis, une fois que tout a été établi, après plusieurs synopsis, il a fait son histoire. J’ai découvert la multiplication des Minnie, clin d’œil à Fantasia. Même le début de l’histoire est un clin d’œil à Blanche Neige. Ça, c’est le seul petit retour que nous avons eu de Disney : Minnie qui arrive dans une maison et qui décide de faire ménage en cette période Metoo, c’est pas terrible ! En même temps, c’est juste un clin d’œil à Blanche neige. Mais bon, on a dû modifier quelques passages, au niveau du scénario. Donc, ce n’est pas dans la maison d’un inconnu et pour le coup, ça passe mieux.

Ça ne vous pas inquiéter, lorsque vous avez reçu le scénario, d’avoir à dessiner un nombre incommensurable de Minnie ?

Non, au contraire, il faut que ça bouge, que ça fourmille. Et j’ai dit à l’éditeur que je n’en ferai qu’un, car je crois que je vais sortir épuisé du truc. Bon, j’ai mis un peu de temps quand même. En fait, je voulais faire quelque chose de très généreux. Je ne sais pas si j’aurai l’occasion d’en faire un deuxième. Je ne voulais pas faire 46 pages, tant que l’histoire me permet de développer et bien je vais développer. Et puis je voulais, là pour le coup, je n’ai plus la mémoire si les Johan et Pirlouit étaient sur douze cases comme ça, mais là les Mickey, les premiers de Gottfredson, c’est plusieurs cases par pages. Je voulais rentrer dans ce côté un peu « Old school » de la bd et jouer avec cette dynamique-là. Développer des scènes, se rapprocher de l’animation. Il y a des scènes là-dedans où le personnage, on le voit rarement bouger, presque. Après qu’il y ait un maximum de personnages, j’aurai plus en mettre plus mais à un moment donné, je me suis dit qu’il fallait peut-être un peu se calmer.

Avez-vous beaucoup d’aller-retour entre vous deux ?

En fait, avec Jean-Luc, ça c’est super bien passé, un vrai plaisir ! Comme je papillonnais sur d’autres projets aussi en même temps, j’ai pris un peu de retard et quand je faisais mon story-board, parce que j’avais discuté avec l’éditeur de mon intention de le réaliser mon story-board d’une seule traite avant de me lancer. Il se trouve qu’il y avait quatre chapitres et j’ai donc réalisé pour chaque chapitre, un story-board complet. Et comme j’avais mis du temps entre le moment où il avait écrit son histoire et ma réalisation que je lui envoyais, il avait presque oublié ce qu’il avait écrit et il découvrait en story-board. Et du coup, il était content de ses vannes, parce que ça marchait bien et effectivement, s’il y avait eu des choses qui l’auraient dérangé, je n’ai pas souvenir que l’on ait changé grand-chose.

Alors, est-ce que cela correspond avec la période du dernier souffle, est-ce la période où vous faisiez, journellement, un dessin publié sur Instagram ?

Eh oui ! Le dernier souffle est né d’une frustration de faire Mickey, en fait dans la façon de travailler Mickey. Il se trouve que parce que l’on pouvait avoir quand même des contraintes avec Disney, nous avions convenu avec l’éditeur, d’envoyer une bonne partie crayonnée pendant que eux, dans l’attente de leurs réponses, je pouvais avancer sur autre chose. Il se trouve que je suis un dessinateur qui aime bien dessiner et encrer tout de suite, ne serait-ce que pour ne pas avoir de routine. Comme c’était difficile pour moi, de cette frustration-là, je me suis dit qu’après avoir fait du crayonné toute la journée, je vais faire un truc où j’encre de suite.

C’est un truc de fou, ça aussi ?

Non, je dis toujours qu’il y a deux sortes de dessinateur : celui qui fait son travail jusqu’à dix-huit heures puis, il oublie totalement ce qu’il a fait et il passe autre chose et puis, il y a le dessinateur compulsif qui n’arrête jamais. Pour moi, je crois que c’est le deuxième cas. En fait, j’avais besoin de me lâcher dans une exigence graphique et narrative et donc avec les contraintes que je me suis fixé.

Je suis toujours admiratif devant la capacité de certains dessinateurs de changer radicalement de style comme de passer de l’univers de Mickey à celui du Dernier souffle.

Ce qui m’a servi pendant pas mal d’années, c’est le travail dans l’animation où l’on faisait des story-boards et où l’on apprend à travailler dans différents styles. Après, ce n’est que des volumes. Mickey, ça m’est venu assez naturellement. Le dernier souffle, c’est un défi, je vais voir où ça va m’amener mais, il y a un point commun entre tout ce que je fais dans tous ces différents styles, là où j’attache beaucoup d’importance, c’est la narration en fait. Quand je parlais de Peyo tout à l’heure, ce j’ai appris dans son univers, quand j’étais enfant, je ne lisais pas les bd de Johan et Pirlouit, je les regardais et c’est comme ça que je rentrai dans l’histoire.  C’est quelque chose qui m’a énormément marqué. Je regardais également les films de Chaplin, j’ai connu les films noir et blanc, les films muets et j’aimais ça. Buster Keaton après, le rapport à l’image sans dialogue ou sans texte est quelque chose qui me passionne vraiment parce que c’est la première approche visuellement d’une histoire. Après tout le reste, le texte, le dialogue sont des informations supplémentaires qui enrichissent l’histoire, lui donne du fond. Mon travail dans l’animation a aussi permis ça, quand on fait des story-boards pour les enfants, on apprend à être très clair parce que l’enfant voit l’image en une seconde. Il faut qu’en une seconde, il faut qu’il ait capté qui est qui et qui va où. Pour le coup, quand j’étais sur ces deux projets, cela ne m’a pas posé d’effort particulier. Si j’ai un talent, c’est celui-là, celui de visualiser rapidement une scène pour la mettre en image. Après, effectivement le dessin, c’est du travail : on fait, on refait, on recommence. Et là, sur Le dernier souffle, je me suis dit, je ne le refais pas ! C’est un premier jet et un jet unique. En acceptant cette idée-là, c’est-à-dire que j’ai tendance à refaire mes planches et là, ça a duré plus de deux cents jours. Aujourd’hui, sur une telle expérience comme ça, je ne le referai pas parce qu’en fait, ça m’a fait un choix de travail, de projet pour le futur. Au niveau médium bd, je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à explorer.

S’il fallait choisir parmi les dessinateurs emblématiques de chez Disney, tels que Floyd Gottfredson, Romano Scarpa, Carl Barks ou que sais-je encore ?

Le premier, Floyd Gottfredson, dont je me sens le plus proche.

Après Mickey, Batman, the world collectif, vos collaborations sur des personnages emblématiques en verront-ils d’autres ?

Je ne peux rien dire, (rires) ! Sinon, j’ai actuellement un projet pour Fluide Glacial autour d’un cow-boy qui s’appelle Jerry Alone qui est un peu mon alter égo et où je raconte mon rapport à la paternité, de façon plus ou moins humoristique.

J’aurai voulu revenir sur vos diversions sur les enveloppes qui ont donné lieu à de forts belles expos, à commencer par celles de Quai des Bulles en 2019, qui a remporté un franc succès. Continuez-vous toujours à vous adonner à cette activité ?

C’est Vince qui a commencé à faire des pin-ups sur des enveloppes et j’ai trouvé ça trop génial ! La première fois que j’ai rencontré Vince dans un festival, j’étais venu avec une enveloppe pour qu’il m’en fasse une et de là, je me suis amusé à en faire comme ça. J’ai trouvé que c’était intéressant de travailler sur des objets que l’on jette à la poubelle et là, tu lui donnes une sorte de valeurs en la dessinant. A force d’en faire et toujours avec mon rapport avec la narration, je me suis dit qu’avec les enveloppes qui avait une fenêtre, ce serait intéressant de jouer avec. De là, j’ai commencé à partir en vrille. Je faisais ça aussi le soir quand j’étais un peu fatigué de ma journée, je me disais : « tiens, je vais me défouler avec une petite pin-up ». Alors des fois, c’est inspiré par le style d’enveloppe, des fois, c’est totalement gratuit, simplement un désir de dessin. C’est au festival d’Amiens que l’on a organisé une exposition où une vingtaine d’auteurs devaient raconter une histoire sur trois enveloppes et de là, a germé l’idée d’aller plus loin avec ça.

Mais avec tout ça, vous arrivez à avoir une vie de famille ?

Bah oui, ce qui est rassurant pour mes enfants, c’est qu’ils savent toujours où je suis ! Ils rentrent dans mon bureau, je suis là ! C’est vrai que des fois, j’ai un peu pourri des vacances mais, je m’en occupe, j’ai pris le temps de jouer avec eux, les emmener à l’école. J’ai fait ça aussi, de travailler à la maison, car quand j’étais en studio, je n’ai pas vu grandir mon ainé et j’ai décidé pour les jumeaux, de travailler à la maison pour en profiter. On n’est pas parti souvent ensemble en vacances mais on a été quand même souvent ensemble !

Interview réalisé par Bernard Launois à l’occasion de Quai des Bulles 2021

Bernard Launois

 

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Publié le 4 Mars 2020

FIBD 2020 : Entretien avec Fred Vignaux, le nouveau dessinateur de THORGAL

Retrouver Fred Vignaux, après la réalisation du tome 37 de Thorgal, L’ermite de Skellingar, son premier album de cette série mythique et alors qu’il travaille sur le tome 38, était l’occasion de faire le point, de recueillir ses impressions sur cette collaboration à 4, tout d’abord Grzegorz Rosinski le créateur, Yann le nouveau scénariste et le coloriste Gaétan Georges.

Alors, selon vous, avec L’ermite de Skellingar, le scénariste Yann vous a-t-il proposé un album de scénariste, avec beaucoup de cases ou un album, laissant la part belle au dessin ? En fait, c’est un petit peu les deux choses. La première partie est un peu plus dense, et la seconde partie, au moment où Thorgal commence à aborder les rivages de Skellingar, c’est beaucoup plus des paysages, c’est beaucoup plus lent, plus contemplatif. Comme disait Van Hamme à Rosinski, « cet album c’est un album de scénariste, cet album c’est un album de dessinateur », Là, il m’a fait quelque chose, justement, qui est pas mal, qui propose les deux choses. Le début est un petit peu plus verbeux parce qu’il faut présenter l’histoire.

Je l’ai vu également dans d’autres articles, que le scénariste Yann t’avais un peu testé dans le Kriss de Valnor en te présentant plusieurs scénarios, plusieurs pistes et que tu avais choisi des pistes, qui du coup pour cet album, lui ont permis d’aller dans ce qui te ressemble le plus. Oui, c’est exactement ça, Parce que c’était une première collaboration, il est assez malin, c’était une façon habile de tester mes goûts pour l’avenir de notre collaboration. Il a fait une trame principale et un certain moment il a proposé des scènes alternatives et Moi, je ne sais pas pourquoi, j’ai choisi plutôt ces scènes alternatives. Il a remodelé le scénario, et c’est quelque chose au final qui me ravit. Du coup, sur celui qu’on est en train de faire, il a fait mouche tout de suite. C’est une façon très, très maline de cerner un petit peu ses collaborateurs.

Les allers et retours s’effectuent de quelle manière ? Il t’envoie plusieurs pages, comment ça se passe ? Pas beaucoup d’allers et retours, mais un gros aller au restaurant. On parle de ce que l’on veut raconter, de nos différentes envies et lui ensuite, il rédige un gros chemin de fer. Et à partir de là, on voit si c’est vraiment ce que l’on peut raconter. Il y a encore un petit aller retour de remarque, et une fois qu’on est d’accord sur ce chemin de faire, il fait toute la partie technique du synopsis et du découpage, en cases, page, dialogue.

Est-ce qu’il y a une intervention de l’éditeur ? L’éditeur intervient à deux moments : au niveau du chemin de fer pour voir s’il y a une cohérence, c’est du Thorgal et c’est une chose qui est attendue par les lecteurs. Il y a donc un véritable enjeu et c’est normal que l’éditeur ait son mot à dire. Et après, une fois que l’on a fait le story board.

À l’étape du découpage, pas forcément trop mais c’est vraiment au niveau du story board que je donne une 1ère fois à Yann pour s’assurer que l’on va bien raconter la même chose, si nous sommes bien raccord, lui avec le scénario, moi avec le dessin. À partir de ce moment-là, je la diffuse à tout le monde à Grzegorz,  Piotr et à l’éditeur. Et là, si quelqu’un a quelque chose à dire à ce moment-là, on rectifie, on réajuste. Mais après, je me lance dans la partie dessin.

Est-ce que là, tu as été obligé de réajuster ? Là, j’en suis encore à cette partie-là j’ai fait une dizaine de planches et je viens de boucler intégralement le story board, pour le prochain tome.

Et pour ce tome déjà paru ? Pour le précédent, on n’a pas eu trop de soucis, on s’est aventuré et on a fait mouche d’entrée, on n’a pas eu trop de remarques.

Et pour le dessin ? Alors, le dessin puisqu’on aborde cette partie-là, j’ai fait ça en deux parties, j’ai fait d’abord une vingtaine de planches. Je suis allé chez Grzegorz, en Suisse. Il m’a fait part de ses remarques, il a redessiné dessus sur certains endroits. Et moi, je suis revenu chez moi, j’ai modifié en fonction de la manière dont j’ai interprété ses remarques afin que je le fasse à ma façon. Pour la deuxième partie, j’y suis allé en mai juin où on a mis le point final à l’album, tout en discutant, en corrigeant.

Finalement, y a-t-il beaucoup d’appréhension dans le train lorsqu’on rend chez Rosinski ? Je pense que pour un dessinateur, on met un an pour faire un album pareil, on ne peut pas vivre tous les jours avec de l’appréhension. Donc je pense que, rétrospectivement, il y a un peu d’appréhension sur les premières pages pour savoir si j’étais bien dans le ton. Je sortais de Kris de Valnor et il fallait que je réajuste un petit peu le trait, mais pas tant que ça. Pour les premières planches, il y a eu un petit flottement mais ça été très passager.

Alors, j’ai fait un petit sondage auprès des gens que je connais qui sont amoureux de la série Thorgal et franchement ils ont trouvé que cette album était excellent tant au niveau scénario que du dessin. Ah bah, c’est super !

Le scénario est fluide, il y a, à la fois une continuité dans la série et à la fois, un style nouveau. Pout les lecteurs de la 1ère génération, ils se retrouvent assurément plus dans celui-ci plutôt que dans les cinq, six derniers albums. Alors, la petite anecdote amusante, c’est quand je faisais le Thorgal et que j’étais encore sur les dédicaces de Kris de Valnor, justement par rapport à cette appréhension, je sentais que les gens avaient envie de me demander quelque chose. Alors, je levais mon regard et immanquablement, les gens me demandaient : « alors, qu’est-ce que ça fait de reprendre un Thorgal, vous n’avez pas d’appréhension ? ». Je répondais alors que quand je suis chez moi, tout va très bien mais c’est quand je vous rencontre que je me demande s’il ne faudrait pas que j’ai un petit peu d’appréhension.

Je suppose que bon nombre de journalistes t’ont posé le même genre de question. Maintenant, ce qui est rassurant, c’est que l’on soit venu te chercher. Psychologiquement, il y a une certaine légitimité. Logiquement, c’est plus facile à appréhender même si jamais rien n’est acquis ! Il faut gagner ses galons ! J’ai un dessin, comme celui de Grzegorz, qui est tributaire de mes états d’âme, de mon humeur. J’ai un dessin qui n’est pas figé et qui peut donc fluctuer en fonction de la journée, de ce qui passé. Comme lui, au cours de sa vie, son (Grzegorz) style a totalement évolué.

Avez-vous délaissé le numérique au profit des crayons et des encrages pour cet album, come vous l’aviez envisagé l’année dernière ? Au final, oui ! Je ne sais pas ce que j’avais dit lors de notre dernier entretien. J’avais dit que j’allais essayer de revenir au traditionnel, j’ai commencé les premières planches en traditionnel et après, j’ai été rattrapé par le cours du temps et je me suis dit, si on veut faire un bel album, je ne change pas tout de suite mes habitudes. Je vais me conforter un peu dans le dessin en essayant de me stabiliser dans le dessin du Thorgal qui est finalement une nouvelle chose par rapport à celui de Kris de Valnor. Sur Thorgal, il fallait un peu plus serrer les vis.

N’y a-t-il pas eu non plus, une histoire de timing ? Ce sont des bd qui sont très riches graphiquement. C’est un dessin assez fouillé. Moi, j’appelle ça, un dessin touffu, avec plein de petits traits. Et au final, une année pour sortir un album, c’est un travail assez dur, assez long. C’est chronophage et du coup, c’est vrai que l’outil numérique facilite grandement les choses en termes de rapidité. Après, ça ne m’empêche pas, certaines parties de les faire en traditionnel mais le reste, c’est en numérique. De plus, il ne faut pas oublier que je fais les couvertures de La sagesse des mythes chez Glénat, sans parler de quelques petits trucs en parallèle. En fait, c’est des journées vraiment complètes.

Au delà de ça, repasser au traditionnel, ce serait modifier ses habitudes de travail. Il y aura donc forcément un petit temps d’adaptation et clairement, je ne l’ai pas actuellement.

Peut-être, comme nous l’avions déjà évoqué, la possibilité d’avoir du matériel pour être exposé en musée, en galerie, de vendre des originaux... Alors après, il y a une grande question dans le milieu des auteurs qui émerge, c’est qu’il y en a énormément qui sont en numérique et se pose alors la légitimité d’essayer d’instaurer un statut pour l’original numérique. Ça va peut-être se faire petit à petit puisque qu’il y a de plus en plus d’autre qui bossent en numérique.

Il n’empêche que se pose le problème de s’assurer que ce tirage est vraiment unique. Il y aura peut-être quelque chose de contractuel à faire, c’est à fouiller.

Ne pas s’occuper des couleurs de cet album n’a-t-il pas été une frustration pour vous ? Oui et non. Oui, parce que, lorsque je pense un dessin, je le pense en couleurs et du coup, je pose mes noirs en pensant aux couleurs. D’ailleurs, une fois que j’ai terminé mes planches, je fais un petit document que j’appelle la bible graphique que je donne à Gaëtan (le coloriste). Après, il en fait ce qu’il veut, compte tenu de sa propre sensibilité, il voit si ça lui sert ou pas. Donc, petite frustration mais en contrepartie, sur les couvertures de La sagesse des mythes où je peux m’exprimer sur de la peinture, de la couleur, etc. Oui, mais en même temps, je ne pourrais pas le faire en terme de temps. Enfin, pour être honnête, Gaëtan fait un superbe boulot.

Finalement, entre Yann, Grzegorz, Gaëtan et l’éditeur, tu te retrouves au centre, à gérer tout le monde. Quelle responsabilité ! On en revient toujours à la responsabilité ! On n’est pas totalement l’homme-orchestre, il y’a Yann qui fait plein de choses mais effectivement, la partie graphique m’incombe, c’est de ma responsabilité. Et puis, il y a un lourd héritage en terme de couleurs, au niveau du Thorgal. Quand on passe après les couleurs directes de Grzegorz...

Justement, on est revenu aux couleurs des premiers albums... Alors, pas totalement ! Parce qu’il y a un petit modelé. On a fait en sorte de faire quelque chose entre les deux parce que le lecteur de Thorgal s’habitue à avoir une certaine richesse et un foisonnement dans les couleurs. Même, au niveau des textures, de pleins de choses, ce que je n’aurai pas pu faire si on avait adopté les couleurs des premiers tomes.

Bien sûr, mais la technique des premiers albums reposaient sur les aplats. Nous avons donc essayé de faire quelque chose, entre les deux.

Ma question concernait plus les teintes car j’ai le sentiment que l’on est plus proche des premiers. Exactement !

Effectivement, avec la richesse à la fois, du numérique qui permet d’avoir une densité dans la couleur... C’est tout à fait ça ! Les couleurs de Gaëtan ont vraiment une vibration très particulière. C’est, en même temps, un travail qui lui est très personnel mais également qui s’inscrit dans la lignée de couleurs qu’ont été faites par le passé. C’est vrai que l’outil numérique permet une plus grande variété au niveau des teintes même, si on reste dans l’ambiance des débuts, on a quand même de la richesse. Et cette richesse, c’est ce qui permet de faire l’analogie avec les dernières couleurs de Grzegorz, sur les précédents albums.

Il y a effectivement de la cohérence. Si on le ressent, alors c’est très bien, c’est ce que l’on a voulu faire !

As-tu un ordre d’idée du lectorat de Thorgal, peut-être au travers des dédicaces ? Les dédicaces, c’est biaisé. Pour moi, ce n’est pas le reflet des lecteurs. Pour moi, le public est assez large, il va de l’ado qui le pique dans la bibliothèque de ses parents, et comme ça lui plait, il lit toute la série. Après, ça va jusqu’au fan de la première heure, la petite madeleine de Proust. Que j’étais moi aussi, en lisant le magazine de Tintin. Je pense que c’est un public assez large et avec une particularité, c’est qu’il est assez féminin. J’ai beaucoup de public féminin en dédicaces qui aime beaucoup Thorgal.

Effectivement, les personnages féminins sont attachants. Et puis, Thorgal n’est pas une sombre brute. Il a des valeurs, il est droit, il prend soin de sa famille, de sa femme, de ses enfants. Il y a vraiment des valeurs familiales et je pense que le lectorat féminin y est assez sensible, n’est pas juste un héros, vecteur d’actions.

On sait que vous êtes en train déjà de réaliser le tome 38 de Thorgal avec toujours Yann au scénario, pouvez-vous nous en parler un peu ? Ce sera une aventure un petit peu particulière. On va essayer, en restant vraiment très très modeste et respectueux, faire une sorte d’Alinoë. Donc, un récit un petit peu particulier dans le monde de Thorgal. On va essayer de s’aventurer et puis on verra, si on réussit ou pas. C’est un petit pari et on espère qu’on va le réussir.

Dans une interview donnée à Planète Bd en octobre dernier, tu précises que tu ne reviendras pas sur le passé de Thorgal mais que tu iras de l’avant, en prolongeant sa vie ? Est-ce à dire que les personnages sont susceptibles de vieillir ?  Alors, oui. La question se posait pour Louve. On ne savait pas trop si on la faisait vieillir ou pas. En même temps, dans cette famille, c’est la partie enfant. Et comme la série Louve est terminée, on s’est longtemps posé la question de savoir si on la faisait grandir ou la garder telle quelle. Et justement, le nouveau récit qu’on est en train de faire tourne autour d’elle. Je ne peux pas t’en dire plus. Thorgal a déjà bien vieilli. A la fin du précédent tome, il prend un petit coup de jeune en se rasant. Les personnages, Kris de Valnor, Aaricia ont également vieillis. Alors après, comme ce sont des personnages féminins, il ne faut pas trop les vieillir. En terme de graphisme, si on commence à mettre trop de traits sur les visages, ça les vieillis drastiquement. On ne peut pas vieillir un petit peu, c’est totalement ou pas. Sur un personnage masculin, c’est plus facile, on rajoute une barbe, on peut les vieillir progressivement. La question du vieillissement de Louve se pose encore aujourd’hui, on va la garder un petit peu comme ça et on verra après.

Le héros, selon moi, doit rester intemporel… Intemporel, c’est exactement ça ! Moi, j’ai rajouté quelques petits cheveux blancs, quand même. Mais, il les avait déjà ; quand on regarde le bateau sabre, il commençait à devenir grisonnant et puis il l’était un petit peu moins après. Dans le bateau sabre, j’ai trouvé qu’il était vraiment beau et c’est comme ça que j’ai voulu le dessiner.

Entretien réalisé par Bernard Launois, le 1er février dans le cadre du Festival international de la Bande Dessinée d'Angoulême.

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Publié le 8 Février 2020

FIBD 2020 : Interview de Kan Takahama pour l'adaptation de "l'amant"

Tout d’abord, je voulais vous féliciter pour cette excellente adaptation que vous avez réalisée avec le roman L’amant de Marguerite Duras. L’adaptation d’un roman reste un exercice très difficile et ce, d’autant plus, quand il s’agit de mettre en dialogue et en image un tel roman, qui plus est, porté au cinéma quelques années plus tôt. Cette adaptation donne une furieuse envie de se replonger dans le roman et rien que pour ça, il était important de le faire.

A ce propos, est-ce que c’était votre intention première et en avez-vous eu d’autres ?

L’objectif, c’était effectivement de donner envie de relire le roman.

C’est réussi !

C’était aussi pour moi, personnellement, l’occasion de relire le roman. Et, parce que je l’ai lu quand j’étais très jeune, je l’ai lu d’une traite et j’avais encore peu d’expérience. 23 ans plus tard, retravailler, relire, le roman avec une expérience différente était important. Moi aussi, j’ai eu différents expériences difficiles dans ma vie, avec un moment de dépendance à l’alcool, avec aussi un moment « teenagers ». Avoir envie de créer quelque chose mais ne pas pouvoir y arriver, ne pas savoir dans quel sens aller.

Petit à petit, je suis arrivée à être reconnue et notamment, obtenir des prix au Japon, avec des moments où les gens se sont intéressés un peu plus à moi. Et donc, des moments difficiles, entre la personne que je suis et l’auteur. Je pense que pendant ces 23 ans, je me suis rapproché, j’ai fait des expériences personnelles qui m’ont permis de mieux comprendre ce que disait Marguerite Duras.

Comment avez-vous appréhendé son écriture ?

Il y a un peu d’une vision de l’intérieur. Elle dit « elle » mais c’est « je ». C’est donc une autobiographie, en tout cas, basée sur son expérience, avec beaucoup d’éléments personnels qu’elle injecte dans ce « elle » qui est « je ». Et si j’avais conçu le livre en incluant trop de passage écrit du livre, ça aurait été trop écrit. Et j’ai essayé, par le dessin, de faire sentir ce qu’il se passait mais en ne mettant pas de mot.

Dans le scénario, on sent une certaine fluidité dans le phrasé qui fait, que ça coule.

Parce que j’ai eu envie de travailler beaucoup sur l’environnement, le paysage. Et tout ce qu’elle voit, de dessiner tout ce qui entoure le personnage.

La particularité de cet album est de comporter peu de cases par page (5 maxi.) mais malgré tout, vous réussissez le tour de force d’en tirer toute la quintessence : pourquoi avoir fait ce choix ?

Alors, quand j’ai commencé à dessiner, j’adorais dessiner vite et ça, ça me plaisait. Et souvent, je dessinais sans effacer le crayonné. Et petit à petit, mon dessin a évolué. J’ai vu aussi comment les auteurs de bandes dessinées s’attardaient à dessiner plus précisément chaque case et je m’en suis inspiré aussi.

J’aimerai connaitre la relation que vous avez entretenue avec votre éditrice, Nadia Gibert,  pour la réalisation de cet album ? Comme avez-vous travaillé avec elle ?

C’est une éditrice qui s’intéresse à la littérature, et donc de travailler sur la présentation de l’œuvre littéraire a été très agréable.

Avec Nadia Gilbert, mon éditrice, nous avons une longue histoire ensemble puisqu’elle a été la première à m’éditer, à mes débuts, chez Casterman. Et quand on échange, quand on parle de nos goûts littéraires, on parle des mêmes ouvrages. On a des points communs : elle aime bien Bukowski par exemple, et moi aussi.

Si vous aviez pu rencontrer Marguerite Duras, quelle aurait été la première question que vous lui auriez posée ?

Tout d’abord, le style de Duras, c’est d’inclure des éléments autobiographiques à une fiction. Et donc, quand on dit Duras dans le livre, en fait, elle nous a eu avec ça parce que il y a du Duras mais aussi de la fiction ! C’était sans doute quelque chose dont elle plaisir. Et en même temps c’était pour sûrement compliqué pour elle. J’aurais aimé lui demander quel était la part de plaisir et la part de difficultés dans ce qu’elle faisait en mélangeant la belle là l’autobiographie la fiction.

Enfin, j’ai eu, moi aussi, une période assez longue de dépendance à l’alcool que j’ai pu arrêter totalement. Il y a, après le sevrage, cette période de sérénité, dont on parle, quand on a été alcoolique. Marguerite Duras avait du mal à arrêter l’alcool mais comme elle a eu un accident et qu’elle a été dans le coma et qu’après, elle s’est mis à écrire le roman, j’aurai voulu lui demander, même si ce temps a été court, comment elle a vécu ce temps de sérénité.

Avez-vous l’intention de vous lancer, à nouveau, dans l’adaptation d’un roman, peut-être celui de l’amant de la Chine du Nord ?

Pas L’amant de la Chine du Nord, en tout cas. Fondamentalement, je préfère créer mes propres histoires. Mais, par exemple, j’ai un ami qui m’a conseillé d’adapter Houellebecq. J’ai fais des études d’art, mais il y a un roman (la carte et le territoire) sur lequel Houellebecq traite cette question de l’art. Cet ami me dit que ça l’intéresserait beaucoup de voir ce que je ferai avec ce roman mais ce n’est pas un projet actuellement.

Que la notoriété et le succès vous soient venus plutôt de l’Europe dans un premier temps que de votre pays, le Japon, vous ont-ils interpellé, voire peiné ?

Tout simplement peut-être, de la reconnaissance que ce soit passé comme ça. Mais il y a aussi des livres qui se sont mieux vendus au Japon.

Je parlai simplement de votre début de carrière.

Alors que je n’avais qu’un seul livre publié au Japon j’ai pu travailler en France avec un grand éditeur, Casterman pour lequel j’ai accepté ce projet, sans mesurer l’ampleur que cela pourrait prendre, et pendant un certain temps, je me suis posée des questions là-dessus. Ensuite, il y a eu un moment où je n’arrivais plus vraiment à dessiner et c’est la période où j’ai réfléchi au scénario. Finalement, j’ai continué à réfléchir à travailler à ce que je pourrais créer.

A la lumière de vos réponses dans cette interview, On sent bien que cette période de dépendance a été particulièrement traumatique pour vous.

Avec l’alcool, et pas seulement l’alcool, aussi une dépendance psychologique qui a entraîné une période difficile, oui psychologiquement.

On en ressort, paraît-il plus fort

Oui, tout à fait !

Propos recueillis le 1er février 2020 auprès de Kan Takahama en salle de presse des éditions RUE DE SEVRES à l'occasion de la sortie de l'album L'AMANT.

Je remercie sa traductrice sans qui l'interview n'aurait pu se faire.

Bernard Launois

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 7 Février 2020

FIBD 2020 Interview Miguelanxo Prado à l'occasion de la sortie de l'album « Le triskel volé »

Tout d’abord, je tenais à vous féliciter pour ce conte qui mêle la mythologie, le fantastique dans le quotidien galicien.

Comment cette histoire vous est venue ? Je suppose qu’il a un rapport évident  avec la manière dont les humains martyrisent la terre.

Oui il y avait deux questions, deux points que j’essayai de combiner d’un côté, c’est ça. C’est l’évidence que nous avons un gros problème avec le rapport avec la terre c’est même un problème d’autodestruction. Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une sensibilité écologique pour comprendre, simplement l’intention de survivre, de permettre à notre fils à nos petits-fils de continuer. Et de l’autre, l’idée que, et tu la connais bien, cette position que oui, il y a des problèmes, des mea culpa mais que ce n’est jamais notre faute, ce n’est jamais soit, mais plutôt l’autre. Il y a aussi une question de responsabilité, de culpabilité pourquoi pas ? C’est la psychologie moderne de ne pas parler de culpabilité, je pense que oui c’est absolument nécessaire le sentiment de culpabilité pour vraiment essayer de changer les choses. C’était vraiment parti de là pour cette histoire.

 

Le scénario, fort bien construit au demeurant, montre une angoisse crescendo au fur et à mesure que l’on avance dans l’album. Pouvez-vous expliquer cette technique narrative ?

Oui, oui mais c’est une structure de thriller assez classique je veux dire. En fait, c’est une façon, de comprendre les événements. Je pense que notre cerveau, c’est sa façon habituelle de le faire. Avec cette histoire, comme tu l’as dit, c’est une structure très différente d’Ardalen, Parce que, dans ses autres histoires, j’avais tenté avec le lecteur de prioriser les sentiments. Mais dans ce cas, J’avais besoin d’une narration plus côté thriller, aventure. Parce que, en même temps, c’est une histoire en trois albums avec des histoires indépendantes Mais, avec un fil conducteur, mais avec une différence temporelle énorme. Il y aura trois pactes, entre le monde de la magie et le monde des humains. Alors là ici ce sont les pactes de la léthargie, et pour faire cette liaison, avec les trois histoires et pour avoir la possibilité de développer les personnages, j’avais besoin d’une structure qui monte pour le lecteur afin que cela finisse pour le troisième, en apothéose. Le deuxième livre raconte chronologiquement comment nous sommes arrivés à ce point. Et le troisième c’est la conclusion....

Que je crains !!!

 

Rires de Miguelanxo.

 

Je suppose que le côté Triskell et Celtiques vous a été inspiré par votre région d’Espagne, la Galice. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Bien sûr, oui, la culture celtique est pour moi, celle qui s’est emparé de la culture européenne. Nous avons pas mal de connaissances par beaucoup de restes, notamment de dolmens. Mais comme elle est une culture quasiment sans écriture, il reste le problème de l’interprétation.

Nous avons trouvé des choses qui sont arrivés à nous, au travers de la tradition. Nous connaissons les druides et ce rapport religieux lié tout particulièrement avec la nature ; l’idée étant de déifier la nature et je trouvais que ça collait parfaitement pour mon histoire.

 

Votre opus finit plutôt par une note optimiste avec l’espoir que les humains vont se réveiller à temps pour sauver la terre et que la fin du monde n’est pas encore d’actualité. Etes-vous finalement si optimiste que cela ?

Je suis convaincu que je suis très optimiste. Je crois que je suis très réaliste ! Au moment d’analyser, je préfère continuer vivant plutôt qu’à me suicider. Je ne suis pas pessimiste, j’ai toujours l’espoir d’arriver à une petite solution. Mais en même temps il faut quand même reconnaître le problème. L’optimiste qui élimine le problème comme ça. Fermer les yeux comme le font certains hommes politiques est absurde et cette négation est un vrai suicide.

 

Quelques humains de cet album s’apparentent à des « magiques », êtres surnaturels, et l’on se surprend à trouver ses transformations particulièrement réussis. Comment avez-vous trouvé ces métamorphoses diaboliques ?

Mon rapport avec le dessin, avec la peinture est bien plus naturel que l’on peut penser et ce n’est pas une question intellectuelle. J’ai commencé à dessiner en ayant l’intention de trouver le personnage humain et c’est tout naturellement qu’en déformant ses traits qu’il s’est métamorphosé en démon. En fait, je ne suis pas capable de rester à faire la même chose longtemps et de la même manière.

 

Je trouve que c’est plutôt bien de se renouveler.

 

Peut-être pour toi c’est très bien mais les éditeurs n’aiment pas que l’on change de style. Quand j’ai commencé à créer l’histoire, j’ai compris immédiatement que je ne pourrai pas le faire graphiquement de la même manière qu’Ardalen ou que Proies faciles. Alors, j’avais besoin de trouver une autre manière, un autre style de raconter.

 

Le titre Le pacte de la léthargie, en espagnol est devenu Le triskell volé en France, savez-vous pourquoi le titre a été changé ?

 

Bon, tu sais le monde de l’édition a bien changé. Maintenant c’est nécessaire de se poser beaucoup de questions concernant le marketing. Alors, c’est vrai si je ne connais pas vraiment bien le français je ne sais pas si un titre est plus marquant plus qu’un autre. Le titre en portugais c’est le même, le titre en espagnol c’est aussi le même le titre en galicien également. Toute l’équipe de Casterman a dit au non le titre n’est pas assez parlant, Avec le mot léthargie il y a une idée, de très passive. Je comprends que l’éditeur soit décisionnaire sur le choix de l’album et je préfère en discuter et que l’on décide ensemble plutôt que je le découvre en recevant l’album comme Venin de femmes qui était tangent. L’éditeur Album Michel avait changé le titre sans me consulter. Ici, j’ai été consulté et le Triskell volé faisait partie des options que j’avais proposé.

 

Depuis quelques albums, vous dénoncez les dérives que peuvent engendrer le pouvoir et

l’argent comme par exemple Proies faciles : est-ce que c’est pour vous la gangrène de notre monde moderne et celui qui risque de nous mener à notre perte ?

 

Nous avons un problème, et ça c’est déjà une réflexion, politique, historique, le XXe siècle apparaissait idyllique, après avoir combattu le féodalisme. Nous avons réussi, après la révolution française, la révolution rouge à instituer que l’État moderne prenne la responsabilité de la protection du citoyen et nous avons perdu la bataille parce que le pouvoir est devenu celui de l’économie et de la spéculation. Aujourd’hui, nous avons un pouvoir sans contrôle : nous pouvons changer de gouvernement mais nous ne pouvons rien faire pour contrôler les milliardaires et là, je ne suis pas optimiste.

Propos recueillis le 30 janvier 2020 à la salle de presse Casterman à Angoulême.

Bernard Launois

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Publié le 6 Février 2020

FIBD 2020 Interview CHINA LI T2 Maryse & Jean-François CHARLES

Vous retrouver est toujours un plaisir sans cesse renouvelé. Nous n’avions pas eu l’opportunité de nous rencontrer à la sortie du premier album China LI. Aussi, il me semblait important de le faire avec ce 2ème opus, tout aussi réussi que le premier.

 

Si l’histoire s’est installée dans le 1er opus, le deuxième commence très fort et sans dévoiler le dénouement, il apparait beaucoup de chamboulement dans les vies de LI et de l’honorable Monsieur Chang. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

 

M : Li, l’album commence quand elle arrive en Europe, à Paris. Pourquoi Paris, parce que son professeur était français. Elle quitte Shanghai compte-tenu des événements, son protecteur a envie de la savoir en sécurité en l’envoyant loin de la Chine. En outre, les Chinois comme les chinoises des grandes familles, on les envoie en Europe pour faire leurs études.

 

Votre amour pour l’histoire avec un grand H est indéniable et cette fois encore, le lecteur prend plaisir à trouver une belle intrigue dans un décor et ce, dans un contexte historique des plus fouillés. J’aimerai que vous reveniez sur votre amour de l’histoire et sur les techniques scénaristiques que vous utilisez pour arriver à vos fins, de mêler ainsi la fiction à l’Histoire au point de se demander si l’ensemble n’a pas existé ?

 

M : Jean-François a quand même un sixième sens, car quand on commence une histoire, on connaît l’histoire avec un grand H, la géographie en 20 ou 30 mots, on en connaît pas plus et on se documente. Ça s’étoffe et puis les personnages se détachent et au bout d’un moment, ils ont une vie à eux. On a bientôt l’impression qu’on a plus qu’à les suivre, il existe déjà. Et je sais que Jean-François voulais parler d’un eunuque assez tôt chef de mafia et qui aurait été lettré. C’est vrai qu’en lisant, en se documentant, on a appris qu’à la Cité Interdite, les eunuques volaient les œuvres d’art. Qu’à un moment même, ils ont été expulsés. Afin que l’on ne connaisse pas leurs rapines ils ont même été jusqu’à mettre le feu à la pièce qui contenait les œuvres d’art afin de ne pas montrer qu’ils en manquaient.

Donc, souvent Jean-François pressent une certaine vérité, c’est vrai ?

 

JF : oui, Je pense quand même temps, on dit toujours, la fiction dépasse toujours la réalité ou plutôt le contraire. Mais il me semble que les choses vont de soi. On rentre dans une période historique et si on laisse aller les personnages, quelque part, il me semble qu’il y a une certaine logique. Ils s’agissent comme ça. C’est souvent que les choses se regroupent, se rejoignent, un peu comme dans un film. C’est aussi un peu comme si, nous, nous vivions l’événement. Ça va de soi quelque part, les choses se font naturellement il n’y a pas de plan particulier.

 

Eu égard à la période où se déroule le récit dans une Chine déjà devenue très secrète, avez-vous des difficultés à trouver de la matière, tant pour le scénario que pour le dessin ?

JF : Au départ, quand on commence une histoire, et j’aime bien le dire, on regarde ce que l’on a à la maison. On a, parfois, acheté des livres sur la période avec de très belles photos sur la Chine. En 1930, la photo est en plein essor. Et puis, bon, il y a les témoignages des coloniaux qui sont allés en Chine., qui photographiaient, qui filmaient. Il y a de très beaux films muets sur cette période et tout ça est passionnant. C’est vrai qu’au début, on n’y comprend rien il y a tellement de nom que l’on ne connaît pas et puis, on finit par s’imprégner du sujet. Petit à petit, les personnages qui ont existé deviennent familiers. C’est une période passionnante et puis la documentation elle vient au fur et à mesure. Pour le tome trois, dont le scénario est terminé, on a trouvé beaucoup de documentation. Mais au départ, il faut se lancer. Au tout début de l’aventure des journalistes nous vous avaient dit : il vous faut rencontrer untel ou untel qui va répondre à toutes vos questions. Mais ce n’est pas vrai ! Le problème, c’est que les gens nous demandent ce que l’on veut savoir. Mais nous, on ne sait pas encore ce que l’on veut savoir et c’est un peu, du coup, un dialogue de sourds. Sur la période de Mao, on a lu beaucoup de choses mais après, il faut s’en faire son idée. En plus, ce n’est pas un bouquin d’histoire, on est dans un contexte historique. Il faut aborder le sujet avec humilité.

 

A ce stade, alors que je suppose que vous avez déjà entamé la conception du tome 3, possédez-vous le dénouement de l’histoire ou celui-ci est-il susceptible d’être encore modifié ? Je viens d’apprendre, en lisant des interviews de mes confrères, que la série ne s’arrêterait pas au 3ème tome.

JF : Au bout du premier album, on s’est dit, on raconte l’histoire de Li, elle couvre le siècle chinois et la raconter en 3 albums nous auraient obligé à faire des ellipses énormes même si, dans une vie, tout ne marque pas. Nos parents, ils ont été marqués par la guerre et ça a duré cinq ans. Après, il y a une période de 20 30 ans où il ne s’est pas passé grand chose de marquant. La vie de Li, c’est la même chose. Mais, ç’aurait été dommage de la compresser d’autant plus que nous savons très bien que l’on ne reviendra pas sur la Chine.On a décidé, en accord avec l’éditeur, de réaliser cette série en quatre ou cinq albums. Et je pense, que c’est une installation une respiration aussi. Et en plus, j’aime bien dire, qu’il y a eu cette période où les séries bd ont été décriées et ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et aussi, maintenant je m’aperçois que notamment avec les séries télé, dont on est très, très, adeptes tous les deux, permettent d’installer les personnages qui deviennent familiers. si j’avais fait cette série en trois albums, je n’aurais pas pu faire ses grandes pages que j’affectionne tout particulièrement. On se plaît beaucoup dans cette histoire, et c’est l’occasion y a tellement de choses à raconter sur la période de Mao.

 

Entre des décors somptueux et la sublimation de la femme, toutes les cases (421 en tout et 62 planches) sont des œuvres d’art. Comment réussissez-vous le tour de force de réaliser avec talent un album chaque année ?

JF: C’est du boulot, en moyenne 10 heures par jour, Week-end compris. En même temps, c’est une passion que nous avons tous les deux et on a la chance de pouvoir la vivre à deux. Il n’y a qu’une chose qui est dommage, c’est que l’on ne voit pas le temps passer !

 

Depuis Sagamore, en 1988, vous travaillez main dans la main, tous les deux depuis plus de 30 ans. Est-ce que votre manière d’aborder la création d’un album à tous les deux a changé en 30 ans ? Si oui, de quelles manières ?

JF : Le fait de travailler ensemble avec Maryse, a féminisé mon dessin. Elle donne toute cette part féminine Il y a dans le dessin et dans l’histoire. La manière d’aborder  la condition féminine, ne serait pas la même si Maryse n’était pas là.

Maryse : je trouve que ça se fait inconsciemment, évidemment. On a chacun sa personnalité et c’est une fusion de nos deux personnalités.

Propos recueillis le 31 janvier 2020 dans la salle de presse CASTERMAN à l'occasion du Festival International de Bande Dessinée d'Angoulême.

Bernard Launois

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Rédigé par Bulles de Mantes

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