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Publié le 13 Novembre 2019

JUSQU'AU DERNIER, interview de Paul Gastine et Jérôme Félix à la l'occasion de la sortie de l'album

Assurément une des grandes révélations de l'année avec un western de bon aloi, tant au scénario qu'au dessin. Il semblait opportun d'interroger les auteurs afin de mieux connaître comment cet album a vu le jour.

Voilà une belle histoire remarquablement mise en dessin, digne d’un bon film.  Est-ce que le choix de parler de la fin des cow-boys a été guidé parce que c’était un sujet rarement traité ?

JJF : Globalement, le western traite rarement des cow-boys.

PPG : Des vrais cow-boys, des vachers

JF : Il y a un film qui s’appelle « Les cow-boys »  avec John Wayne et Montgomery. Il y a beaucoup d’histoires avec les éleveurs mais le métier de cow-boys est rarement traité. Aussi, parce que c’est finalement des moments où il ne se passe pas grand-chose. Le travail de cow-boys est assez répétitif et donc, pas propice à de l’aventure.

PG : Vu les difficultés du métier pourtant, on pourrait un faire un album, rien que sur un convoi parce que, entre les vaches qui se cassent la gueule, les chevaux qui se pètent une jambe.

JF : Et quand j’ai commencé à chercher de la documentation sur les métiers de cow-boys, j’ai eu beaucoup de mal en trouver. En fait, je suis tombé sur un petit article qui disait que le métier de cow-boys n’avait duré qu’une dizaine d’années.

Ce qui parait court…

PG : Il a évolué pour devenir autre chose, sur des distances plus courtes. Les mecs ne trimballaient plus les vaches sur des longs trajets puisque les bêtes étaient transportées par le chemin de fer.

JF : Les cow-boys ont été indispensables à la survie de l’Amérique puisque les colons qui partaient dans l’Ouest, il fallait les nourrir. Les récoltes n’étaient pas assez suffisantes, on n’avait pas encore suffisamment bien travaillé la terre. Il fallait donc nourrir les gens et on les nourrissait avec des vaches. Et ces vaches, il fallait les conduire. Pendant dix ans, il a fallu des hommes expérimentés, capables de conduire des troupeaux de 1000 à 1200 vaches pendant 3 à 4 mois. Avec l’arrivée du train,  les cow-boys se sont rapidement retrouvés sans travail. J’avais dû lire en même temps qu’ils avaient eu extrêmement de mal à se réadapter. La plupart était devenus alcooliques ou pistoléros.

Pour moi, l’arrivée du train, c’est le début de l’air moderne.  Avec le train, arrive la civilisation, la loi. Avec le train, les cow-boys deviennent le symbole de l’archaïsme,  d’un monde ancien que l’on veut oublier et on s’est dit avec Paul que ce serait intéressant de faire l’histoire à partir de là.

Comment appréhendez-vous la réalisation de l’album ? Le scénario évolue-t-il dans le temps, au fur et à mesure de la conception de la bd  et est-ce que vos méthodes de travail ont évolués en 15 ans de collaboration ?

PG : On est à la fois dans la même manière de travailler et puis ça a évolué quand même. Quand on a commencé à bosser ensemble, moi j’apprenais le dessin et Jérôme, par exemple, me storyboardisait tout pour que je n’ai pas à réfléchir à des problèmes de mise en scène et que je m’améliore en dessin. Et , très vite, ça a changé. Sur cet album-là,  Jérôme m’a parlé il y a très longtemps du scénar. On a beaucoup discuté avant de se lancer dedans.

JF : Ce n’est pas un qui écrit et l’autre dessine. J’appelle pendant la réflexion du scénario, notamment quand j’ai des doutes. Paul me dit, par exemple, j’aimerai bien dessiner ça plutôt que ce tu proposes. Pour nous le scénario, c’est vraiment un outil de travail qui va être remanié tout au long de l’album. C’est un outil de communication et pas du tout un objet arrêté.  Nous, ce qui compte, c’est les personnages, donc on les connaît par cœur. L’histoire a un peu bougé mais pas les personnages. Il y a une logique dans le récit. Quelques fois, il y a des scènes qui vont marcher au scénario et pas du tout au dessin. De toutes les façons où Paul ne le sent, on modifie le scénario en cherchant à deux.

C’est un album très rythmé et on le dévore car on a hâte d’en connaître le dénouement sans forcément s’attarder sur le dessin que l’on (re)découvrira à la deuxième lecture.

PG : C’est un beau compliment car c’était l’effet voulu. Je ne cherche jamais à mettre le dessin en avant.  Le dessin doit épouser le scénar, il faut que ça soit agréable à regarder mais il ne faut que ça sorte le lecteur de l’histoire. 

JF : En fait, Paul est extrêmement modeste dans son dessin car à aucun moment, il va profiter du scénario pour se mettre en avant. Là où il va mettre son talent au service de l’album, c’est dans le jeu des acteurs. On s’était quasi interdit les cadrages compliqués dans cet album-là.

Par contre, comme Paul ne montre pas son talent dans les scènes d’effets spéciaux, il va travailler au millimètre les expressions et les jeux d’acteurs des personnages. Je pense que la grande force de ce livre, c’est que les personnages ne sur-jouent jamais !

 

A propos du dessin, quels sont vos techniques de travail ?

PG : Storyboard, crayonné, nettoyage, encrage et couleurs. La formule classique sauf que pour cet album-là, tout a été fait par ordinateur, de A à Z. J’ai particulièrement travaillé de telle manière à ce que l’aspect numérique ne se voit le moins possible ! Je tenais pas à ce que, lorsqu’on ouvre cet album, on dise « ah,  philtre Photoshop ». Cela fait 15 ans que je « tripote » Photoshop et on se connait bien maintenant.

Réaliser des planches sur feuilles de dessin, à l’ancienne ne vous titille pas ?

PG : Je m’y remets au traditionnel sur le prochain album, crayonné, encrage. Par contre, je vais continuer à utiliser l’ordinateur pour les phases préparatoires parce que ce serait bête de s’en passer. Il faut dire que c’est très difficile de se remettre au papier après 3 ans de pur ordinateur passés sur « Jusqu’au dernier ». Il est clair que l’on s’habitue au petit bouton en haut à gauche qui permet d’annuler. Mais, je sais que je suis allé au bout de ce que je pouvais supporter de l’ordinateur. Il a ses avantages mais aussi ses gros inconvénients, c’est  que dès l’instant où l’on veut avoir un rendu que cela que l’on vient de faire, il faut imprimer sur une feuille. Sur écran, on n’a la notion de rien, même au niveau des couleurs ! Les couleurs sont toujours plus vives que ce que l’on va avoir sur du papier. JF : Il ya aussi une raison économique car Paul a passé 3 ans à dessiner l’album. Vous imaginez bien qu’économiquement, c’est catastrophique. Et là finalement, le retour au papier va permettre à Paul de vendre des originaux.  En fait, maintenant c’est juste une manière de se donner du temps pour pouvoir réaliser un album à l’ancienne.

Pour pouvoir vivre un peu correctement…

PG : On ne peut plus faire un tel degré de qualité.

JF : On a tous été marqués par la déclaration de François Schuiten qui a dit qu’il n’avait plus les moyens de faire un album comme il le veut, de prendre son temps. Il faut savoir que Paul est dans cette école-là, il veut prendre du temps pour faire un bel album et si Schuiten n’y arrive pas, vous imaginez bien que nous, nous n’avons pas le lectorat de François Schuiten. Et donc, c’est quasiment impossible aujourd’hui. Il faut absolument générer de nouveaux revenus et c’est vrai que la vente d’originaux ne va pas permettre de devenir riche mais donner du temps. Mais actuellement, y-a-t’il encore un lectorat pour ce genre d’albums et là d’autant plus qu’on les a habitués depuis quelques temps avec un dessin plus rapide, plus jeté. On a fait un album à l’ancienne pour lequel on est très fier, on l’assume.

Les enfants Benett et Tom  sont craquants, chacun à leur manière, les adultes féroces hormis l’institutrice, ces contrastes sont-ils volontairement renforcés tant dans le scénario que dans le dessin ?

PG : Oui, ça été pensé… Tous les contrastes de comportement entre les adultes et les enfants ont vraiment été réfléchis. On en a beaucoup discuté avec Jérôme et au dessin, j’ai voulu faire le contraste : les adultes sont burinés et finalement beaucoup plus faciles à dessiner que les enfants qui ont un visage lisse.

Vous avez réussi un fort bel album assurément promis à un bel avenir, en avez-vous pris conscience ?

On a pris conscience qu’on a fait un bel album longtemps avant sa sortie quand on a éveillé auprès des pros, par nos parutions sur le net, d’un réel engouement, ce qui nous a fait extrêmement plaisir. Le western vit un regain d’intérêt avec des bons trucs, quand on voit Undertaker, le Lucky Luke de Mathieu Bonhomme qui est une tuerie absolue et nous, on arrive, première tentative dans le western et  direct, on est mis en parallèle de ses titres et ça fait super plaisir.

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 11 Novembre 2019

Interview Riff Reb’s à l’occasion de la sortie de  « LE VAGABOND DES ETOILES »

Après une belle trilogie maritime, l'auteur complet Riff Reb's s'attaque avec talent à l'adaptation d'un nouveau chef d’œuvre de Jack London, "Le vagabond des étoiles" qui s'impose à la fois comme un procès contre l'univers carcéral et un hommage à la puissance de l'imaginaire. L’interviewer à l'occasion de la sortie du 1er tome de ce diptyque était l'occasion de découvrir les arcanes de cette belle adaptation.

J’apprécie beaucoup ce que vous faites et ce, depuis fort longtemps et là, j’ai trouvé qu’avec cet album, une rupture avec ce que vous faites habituellement.

Alors, à la fois une rupture et une continuité, je veux dire, c’est une adaptation littéraire et pour moi c’était l’essentiel. Sur les 3 albums précédents, c’était du maritime mais pour moi, je n’y vois pas le côté maritime, j’y vois l’aspect…

Ma notion de rupture justement, c’était sur le côté maritime…

Oui, oui, je comprends mais c’est pour ça qu’on en parle. C'est-à-dire qu’en fait, je n’ai pas choisi la mer comme sujet, j’ai choisi un roman de Mac Orlan qui parlait de la mer et je me suis retrouvé en mer, mais je savais très bien que c’était une histoire de pirates. Mais seulement, j’y voyais tellement, pour revenir aux origines, dans le roman de Mac Orlan, la situation d’un marin, à cette époque là, équivaut à celle d’un pauvre gars paumé dans ses tranchées. La mauvaise nourriture, la mort qui peut arriver du dessus, du dessous où ça peut même être un copain qui, comme sur le bateau, qui vient vous trucider, la mauvaise bouffe, le manque de femmes, de sa mère ou de sa fille… C’est cette forme-là qui me plait, la poésie de Mac Orlan. Cette littérature là, elle se passe en mer mais elle pourrait se passer au fond d’une tranchée, ou près d’un feu, peu importe ! Ce qu’il dit de l’homme n’a pas de contexte, c’est de l’humanité. En gros pour résumer un peu pour les gens, le personnage principal enfermé, à cause des supplices, pour des raisons qu’il faudra lire, s’abstrait de son corps et devient pur esprit sans trop savoir ce que sait, ni moi, ni London.

Alors, est-ce que votre choix d’adapter librement « Le vagabond des étoiles » de Jack London, n’a pas été guidé par votre peur d’être classé « peintre de la marine » ?

Il y a de ça ! En vérité, je voulais faire un western mais je n’ai pas eu les droits. Il s’agissait des frères sisters . Un certain Jacques Audiard les as eu après moi enfin, après que moi, on me les ait refusé. Mais je voulais sortir de ces grands espaces maritimes pour de grands espaces terrestres. Ce qu’il faut savoir, c’est que le « vagabond des étoiles », j’ai envie de l’adapter depuis que je l’ai lu. Et je l’ai lu, j’avais 29 ans ! Maintenant, bientôt 59. Donc, cela fait trente ans que cette histoire me poursuis, m’habite ! En tout cas, je vis avec ou au moins à côté. Et au moment où j’ai fait « Le loup des mers », je voulais faire « Le vagabond des étoiles » et devant la complexité du récit, devant la complexité de ce que je vivais personnellement, c’était très difficile. Et puis, très déstructuré,  très complexe, je n’arrivai pas à me concentrer sur ce récit-là, sur le travail en soi. Et, quand je travaille sur un auteur, j’enquête, qu’est-ce qu’il a écrit d’autres. Quelles sont ses influences, enfin, qu’elle était ses goûts, pourquoi cet attirance sur tel philosophe, etc... Et j’ai repris « le vagabond des étoiles, sur lequel j’ai mis des couches, tous les dix ans ou presque, de travail et d’abandon et je m’y suis une dernière fois en me disant là, je vais essayer de l’adapter, vraiment, pousser loin mon travail pour pouvoir le faire lire et qu’on me dise, avant même que le livre existe, la qualité de la chose. Je me suis dit, « je casse la figure à ce truc qui me suit, qui finit par me peser, que je m’en débarrasse. Soit, j’y arrive, dans le sens où l’on m’encourage à le faire en me disant que l’adaptation est bonne. Et dans ce cas là, j’en serai débarrassé ou soit, on me dit non que ce n’est pas bon et là, j’oublie, c’est fini, je range ça dans mes étagères.

Il aurait sûrement été difficile de l’oublier…

Oui, mais bon, je me serai fait une raison officielle. Et donc, j’ai fais l’adaptation en deux volumes, story-board, tous les textes, tout dessiné, assez poussé et j’ai donc pu le faire lire à ma compagne Edith, auteure et ma directrice d’édition, en disant, voilà, vous avez chacune une copie des deux volumes, lisez, dites-moi si ça le fait ou pas. Si ça ne va pas, allumez-moi les filles, je ne vous demande pas de l’amour.

En fait, c’est que l’on attend d’un éditeur…

J’ai eu une jolie exposition à Strasbulles fin mai ou j’ai eu le bonheur de faire la visite de l’expo en compagnie de Jean-Claude Mézières, auteur de Valérian. Et cet homme-là est sans pitié, mais c’est un bonheur puisqu’on était entre deux professionnels et moi je le vois comme un maître, je lisais quand j’avais 8 ans, dans Pilote et là me retrouver à côté de lui, c’était déjà inimaginable dans ma jeunesse. « Riff, si tu veux des compliments, demande à ta grand-mère, moi, je vais te dire que là ton dessin ça ne va pas », très bien ! « Et, je ne te vexe pas », très bien, je suis comme toi, je suis honnête. Des gens me trouvent dur mais on ne peut pas progresser dans les compliments, on ne progresse que dans la difficulté.

Comment avez-vous abordé l’adaptation ? Est-ce que ça été plus difficile de faire des coupes sombres dans le roman tout en gardant la substantifique moelle que pour d’autres adaptations ?

C’est pour cela que j’ai abandonné plein de fois, j’ai évoqué ça depuis un moment… « Le vagabond des étoiles », c’est une histoire à tiroirs ! I y a une vie qui nous en débouche sur une infinité. On en aura que des extraits, mais c’est beaucoup de documentation : quand un gamin embarqué par les vikings dans un décor de vikings, quand ce gamin s’échappe dans une tribu suisse finalement, il se fait embaucher chez les romains, il finit officier de la cavalerie, auxiliaire avec Pilate, au moment de la crucification de Jésus, il faut que je dessine tout ça et un passage à Rome, entre deux, comme si c’était facile. C’est un livre qui occasionne tellement de choses. Évidemment, il est enfermé et il fallait que je trouve le moyen de transposer graphiquement ses élucubrations. Il est ingénieur agronome, il essaie donc de construire la machine idéale pour pomper l’eau. Donc, il cogite ça et il faut que je représente ces choses-là et c’est difficile par la bande dessinée. Il se rappelle sa jeunesse, son crime mais aussi, il y a des autres prisonniers avec qui ils communiquent en espèce de morse. Comme je fais un morse en bande dessinée sans que ce soit comique ? Et d’autre part, j’avais peur que le lecteur se retrouve claustrophobe, à force d’être enfermé. C’est l’histoire d’un homme en camisole de force en cellule d’isolement, on ne peut pas faire moins dynamique et je suis un dessinateur d’énergie et de dynamisme. Et là, je me suis trouvé dans la position contraire à mes facilités.

Du coup, il y a eu ces changements de rythme…

D’où l’enjeu de la narration, de garder le lecteur avec lui, de le tenir, de le secouer, de lui donner du rythme, de le reposer, de l’énerver…

C’est aussi l’importance des couleurs, différentes  pour marquer des périodes

C’est un système que j’ai abordé dans ma trilogie maritime, c’était pour le Mac Orlan dont j’ai parlé au début… La rupture de couleurs permet de se retrouver ailleurs, à un autre temps sans avoir ces petitesses classiques de la bd ancienne qui existe toujours d’ailleurs. Le code couleurs est un soutien absolu à ma narration.

Comment travaillez-vous avec votre éditrice ? Intervient-il dans le processus de création et si oui, à quels stades ?

J’ai la meilleure éditrice du monde ! Je ne connais pas toutes les éditrices du monde mais en tout cas, je n’ai jamais eu dans ma vie une si bonne expérience de travail qu’avec Clotilde Vu, ma directrice d’édition. Elle nous lit, nous donne un retour de sa lecture, pas forcément celui qu’on espère. On est suivis, on sait qu’on existe et qu’on n’est pas juste là pour se faire payer. L’autre chose, c’est qu’elle a une très forte éducation visuelle, elle a un œil très bon pour la maquette, le choix des typos, des couleurs… Elle a de la culture et c’est très agréable d’échanger un certain niveau de qualité. On est défendus auprès du patron, ce qui est extrêmement rare dans la profession…

Le retour de la presse est plutôt dithyrambique sur cet album…

Paradoxalement, je crois que je n’ai jamais été aussi frileux que pour la sortie de ce livre, aussi mal à l’aise pendant la fabrication,  aussi peu sûr de moi car il a fallu que je sorte de ma zone de confort.

Interview réalisé 25 octobre 2019 dans le cadre du festival BD de Saint-Malo, Quai des Bulles.

Bernard Launois

Copyright Soleil Prod.

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 3 Novembre 2019

Interview réalisé au cours du festival Quai des Bulles le 26 octobre 2019.

Bonjour Joël Legars, je suis ravi de vous rencontrer et de discuter avec vous au sujet de votre nouvel album tout fraichement paru, L’écolier en bleu, Chaïm Soutine. Dans la postface de votre album, il est dit que vous appréciez particulièrement Chaïm Soutine. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire un album à son sujet, et en particulier sur son séjour à Champigny-sur-Veude ?

On voulait réaliser quelque chose ensemble Fabien Grolleau et moi, et il m’avait suggéré différents projets. Je lui ai proposé de travailler sur la vie de Soutine : c’était un peintre que j’appréciais beaucoup depuis mon adolescence, et chaque fois que je lisais des écrits sur lui et en voyant des documentaires j’étais toujours épaté par sa vie tumultueuse et par son caractère entier, par l’homme, car c’est quelqu’un qui me touche du fait qu’il a une histoire assez difficile, qu’il vient d’un milieu très pauvre : il a grandi dans un shtetl, une petite communauté juive en Biélorussie, et j’admire tout le parcours qu’il a eu de la fin de son adolescence à ses derniers jours pour s’intégrer et pour se protéger, son parcours très intègre avec sa volonté d’avoir une écriture picturale personnelle.

Il n’a jamais voulu se laisser influencer par les courants et par ses confrères artistes…

Oui parce qu’il avait quand même des amis prestigieux : il a partagé l’atelier de Modigliani plusieurs années jusqu’à la mort de celui-ci, il l’a donc beaucoup côtoyé et ils ont beaucoup bu et fait les 400 coups ensemble; il a côtoyé aussi Picasso, enfin beaucoup d’artistes qui ont fait l’histoire de l’art occidental. Cela me questionnait car ce n’est pas le plus connu des peintres dans l’histoire de l’art : même si sa côte atteint aujourd’hui des sommets et qu’il est internationalement connu, il ne touche pas autant de public en France que d’autres courants, impressionnisme, cubisme, surréalisme etc. Cela reste un mystère pour moi, que comparé à ces derniers Soutine reste en France un peu au second plan. C’était donc l’occasion d’aller plus loin, en travaillant avec Fabien sur le scénario, en allant sur place dans le village de Champigny-sur-Veude pour mieux connaitre les détails de sa vie, et c’est une nouvelle personne qui s’est révélée à moi.

A titre personnel, qu’appréciez-vous en lui, en quoi vous a-t-il marqué ?

Ce que j’aime le plus de lui ce sont ses portraits. J’aime aussi certains paysages tourmentés, déformés, dans lesquels il y a une certaine énergie, mais ce sont surtout ses portraits…

Des portraits qui montrent un peu l’âme des personnages…

Oui c’est exactement cela, au point qu’il vieillit les personnages et qu’il lui est arrivé que des jeunes modèles en soient choqués et s’en plaignent, mais on s’aperçoit après que le temps ait passé que ces jeunes personnes une fois devenues plus âgées se mettent à ressembler au portrait qu’il avait fait d’elles naguère : il a réussi à trouver l’essence des personnages, et c’est cela que j’aime dans ses portraits. Et puis graphiquement ou picturalement j’aime son style jeté, un peu expressionniste, et son humour qui finalement transparait dans les portraits, quelque chose de beau et terrible à la fois, de tragique aussi.

Vous avez insisté sur sa maladie, sur son ulcère qui le rongeait et les souffrances qu’il endurait, et d’autre part vous avez décrit ses crises de rage incontrôlées : avez-vous voulu faire un lien entre ces deux facettes de son personnage ?

 

Je pense que c’est peut-être un peu lié, mais qu’en même temps il devait y avoir un terrain favorable, quelque chose venant de plus loin dans son caractère. Reconnaissons que nous-mêmes lorsqu’on est malade on est plus vite irrité, alors lorsque cela s’ajoute à une propension naturelle… Car il souffrait vraiment beaucoup, il avait des crises qui l’anéantissaient et il pouvait rester des mois sans être capable de travailler tant la douleur l’envahissait : il restait à l’ombre, les rideaux fermés, dormant tout habillé… Il devait tout de même avoir un caractère entier à la base et il y avait beaucoup de choses qu’il ne supportait pas, les demi-mesures, il était un peu excessif, un peu caractériel. Il n’a jamais accepté par exemple qu’on le regarde peindre.

 

Tout à fait, et je me demandais aussi justement si vous étiez un peu comme lui sur ce point ?

 

Un petit peu (rire). Bon pas vraiment car je travaille en atelier et on peut me regarder quand même, mais je n’aime pas trop quand on reste derrière moi. Bien sûr je ne vais pas m’énerver, je reste courtois (rire).

Avez-vous essayé de faire ressortir « l’âme » de Soutine, celle qui transparait dans ses tableaux, dans le dessin et dans les couleurs ?

Pas tant que ça, j’ai plutôt voulu me mettre dans la position d’un observateur extérieur qui s’approcherait de lui, pour montrer le côté attachant du personnage. D’un point de vue pictural je n’ai pas du tout voulu rentrer dans sa façon de peindre.

C’est donc ce côté attachant qui est l’éclairage que vous avez voulu donner sur lui ?

Oui il y a beaucoup de légendes sur lui. On a dit bien souvent qu’il était laid, qu’il était grossier, qu’il était inculte. Mais au contraire j’ai lu certains documents qui révèlent qu’il avait du charisme et que non, il n’était pas laid. Il avait un caractère introverti, et comme il venait d’une culture très différente et qu’il avait eu un peu de mal à bien parler le français il pouvait sembler rustre.

La postface de l’album veut en quelque sorte réhabiliter Marie-Berthe Aurenche, est-ce une des intentions premières de l’album ?

Exactement, cela en fait partie, parce qu’il y a eu beaucoup de choses plutôt dures sur elle qui souvent ont été répétées de manière un peu paresseuse par les journalistes et les historiens, qui reprenaient ce que quelqu’un avait déjà dit sans en avoir jamais vérifié la véracité. Nous avons voulu faire notre enquête de façon plus approfondie. C’était vraiment quelqu’un d’intéressant, qui avait été la femme de Max Ernst. Elle était la muse un peu noire, elle avait son petit caractère, elle était fantasque, et très parisienne, coquette, mais je ne pense pas qu’elle ait été puérile

comme on l’a décrite. On la taxe un peu de stupidité ou de légèreté mais je ne le crois pas, je pense qu’elle était sincèrement attachée à Soutine et qu’elle l’aimait, on le voit dans ses lettres. Soutine était vraiment l’homme qu’elle avait aimé dans sa vie. Elle s’est suicidée en 1960, et peut-être était-ce lié à Soutine ? Elle n’était plus la même après les années qu’elle avait partagées avec lui, elle a commencé à décliner après la mort de Soutine. Je crois qu’elle était vraiment attachée à lui et que si elle était maladroite dans sa façon de gérer certaines situations, je ne pense pas que ce soit quelqu’un de foncièrement intéressée, au contraire elle était assez fine et intelligente. Soutine ne serait pas resté avec elle sinon.

Qu’avez-vous voulu montrer dans la relation entre Soutine et le petit Marcel ?

C’est intéressant parce-que on sait que Soutine a de plus en plus voulu au fur et à mesure des années dessiner des êtres vivants alors qu’à ses débuts il représentait plutôt des natures mortes : des carcasses d’animaux comme son Bœuf écorché, des repas, ce qu’il mangeait ou même ce qu’il ne pouvait pas manger tellement il était démuni. C’étaient les débuts de sa vie d’artiste, mais plus tard dans les dernières années de sa vie, peut-être du fait de sa relation avec Marie-Berthe Aurenche, et avant elle avec Garda sa précédente compagne, il en est davantage arrivé à représenter la vie ; et l’enfant, je pense que lorsqu’il l’a peint c’était pour lui une sorte de retour à la vie, même s’il était très malade.

J’ai relevé dans deux vignettes de la page 72 un air de ressemblance entre le petit Marcel et Soutine...

Oui c’est vrai.

Je me suis demandé si inconsciemment vous avez voulu montrer que Soutine se projetait dans le petit garçon ?

Effectivement c’est peut-être lui, Soutine, qui se projetait le plus en fait. Dans l’album l’enfant est en admiration devant Soutine, même s’il le craint un peu, il est attiré par sa vie, par le personnage, par son art. Dans la vie Marcel s’est ensuite marié avec une personne fortunée et il n’a travaillé que deux jours dans son existence, et il est resté toute sa vie à attendre au bord du chemin sans rien faire, vêtu d’un gros pull. J’en ai discuté avec un historien qui l’a connu comme cela, et qui, lorsqu’il est arrivé à Champigny, a loué une des maisons de Marcel. C’est ainsi qu’ils se sont rencontrés et que Marcel lui a raconté plein de petites histoires sur Soutine.

Hasard des calendriers, la romancière et essayiste Géraldine Jeffroy a fait paraitre Soutine et l’écolier bleu au début 2019, l’avez-vous lu y voyez-vous une complémentarité entre votre œuvre et la sienne ?

Elle nous l’a envoyé mais je n’ai pas encore eu le temps de le lire, je vais maintenant pouvoir le faire et j’imagine qu’on va certainement retrouver des points dans nos deux ouvrages, car elle parle vraiment de la même période.

Votre album n’est pas une biographie de Soutine, même si vous évoquez habilement sa vie par l’histoire qu’il raconte lors du repas de Noël et parallèlement par l’enquête menée sur lui par la police de Vichy. Vous avez fait une fiction biographique, en quoi avez-vous pris des libertés avec la réalité ?

Oui mais si nous avons pris des libertés c’est seulement dans les liens entre les situations, car tous les événements que nous avons évoqués se sont réellement produits. Il y a quelques personnages qu’on a pu rajouter, d’autres qu’on n’a pas mis, des petites situations de pique-nique… mais globalement on a gardé une trame assez réelle.

Comment travaillez-vous avec Fabien Grolleau ? Y-a-t-il de nombreux allers-retours ? Intervenez-vous beaucoup ?

On a déjà beaucoup discuté avant, et de mon envie de travailler sur ce thème. Je lui ai confié des livres que j’avais et il a essayé de trouver un angle. Parce-qu’au fond je ne me voyais pas travailler seul sur Soutine, je ne voyais pas trop comment l’aborder et je me suis dit que quelqu’un d’extérieur aurait certainement un autre angle d’approche, et voilà comment tout a commencé. Je connaissais déjà Fabien depuis quelques années et je connaissais aussi son talent de scénariste. Et ce que j’aime le

plus chez lui c’est son talent de dialoguiste, il sait apporter une touche de vrai, de naturel dans l’histoire. Il m’a proposé de travailler sur la période de Champigny-sur-Veude, après avoir vu sur internet que la veuve du petit Marcel, l’écolier en bleu, vendait la palette que Soutine avait léguée à son mari. A partir de là il a vu qu’il y avait toute une histoire dans ce village, que cette palette avait une histoire, les liens avec le petit garçon, et de fil en aiguille le cheminement du récit est venu.

Quelle technique avez-vous utilisée pour réaliser cet album, et en général?

Une technique très traditionnelle, je travaille sur papier avec une sorte de crayon noir épais assez gras Faber et Castel.

Et pour les couleurs, vous avez donné des indications précises à la coloriste?

Oui il y a eu pas mal de va et vient, car en fait c’est assez difficile de mettre des couleurs sur du crayon gras. Je connaissais déjà Anna Conzatti qui avait réalisé les couleurs d’un album précédent que j’avais fait, une adaptation d’Arsène Lupin, c’était donc plus facile. Elle travaille sur photoshop.

De façon humoristique je vous demanderais dans quel état d’esprit êtes-vous quand vous dessinez ? Ecoutez-vous de la musique ? Vous montrez Soutine au travail dans l’album, comme lui vous jetez-vous sur vos planches dans un état d’excitation frénétique?

Je peux être comme cela lorsque je fais l’encrage, il faut être assez concentré et c’est intense. Par contre, quand je suis dans le dessin et dans la construction je suis plus sage (rire). J’essaie de trouver de l’énergie, c’est pour cela qu’on voit dans certaines pages c’est un peu jeté. C’est le lien qui me relie à sa technique, je voulais que ce soit quelque chose de vivant et d’assez instinctif.

Et quelle a été votre relation avec votre éditrice Elisabeth Haroche ? Est-elle beaucoup intervenue ?

Elle intervient oui, mais elle nous laisse quand même une grande latitude. En fait elle a beaucoup travaillé en amont sur la lecture du scénario, et je pense qu’elle s’était déjà fait une idée de ce que cela allait donner. Je lui envoyais par lot de dix pages et nous en parlions à ce moment-là, et il n’y a pas eu vraiment de choses à refaire, tout s’est passé assez naturellement. Elle avait plutôt des questions sur certains détails : à un moment on voit l’étoile de David, et il y a eu un petit blocage car elle ne savait pas si cela s’était vraiment passé, ou si ça pouvait se passer de cette façon à ce moment là et dans un village comme celui-ci. Et est-ce que le garde champêtre pouvait avoir cette autorité là ? Voilà ce sont plutôt les petits détails historiques sur lesquels on a travaillé.

Quels peintres classiques ou modernes aimez-vous, hormis Soutine?

J’aime bien les peintres de cette époque. Je suis assez figuratif, et quitte à ne pas paraitre à la mode j’aime bien la peinture fin 19e et début 20e, impressionnistes et post impressionnistes, fauvistes, on va dire jusqu’aux années 40, après cela m’intéresse moins, à part des plasticiens qui travaillent sur les affiches.

Les biopics et les fictions biographiques sur les peintres ou les écrivains sont assez à la mode depuis quelques années, vous-même voudriez-vous retravailler sur un peintre ? Si vous deviez choisir librement un sujet aujourd’hui, lequel aimeriez-vous faire ?

Plus sur la littérature. Il y a certains classiques que j’aime, comme Dostoïevski, il faudrait que j’en parle à mon éditeur.

Et vos influences en dessin, quels dessinateurs BD vous ont touché ou inspiré ?

Des choses très différentes de ce que je fais, par exemple des choses très simples, presque minimalistes, ou des gens comme Dupuy et Berbérian, comme Chaland, des gens très lisibles. Il y a longtemps je travaillais comme cela.

Et là votre style a évolué ?

Avec cet album mon style a évolué, et je pense qu’en réalité c’est plus mon dessin naturel. Ce que je faisais avant était plus une construction culturelle, une construction de choses que j’aimais bien, que j’avais lues dans mon enfance, peut-être plus confortables pour moi mais qui ne représentent pas forcément qui je suis. Je suis peut-être graphiquement plus comme dans cet album, plus expressionniste, avec un côté plus charbonneux. En fait je me découvre, j’ai encore des choses à apprendre de moi (rire)… Donc pour moi il est réellement important cet album, parce que j’ai fait un pas, j’ai vraiment changé et je pense que je vais continuer dans ce sens là.

Et vous avez commencé un nouveau projet?

Oui j’ai des esquisses de projet, mais il m’est difficile d’en parler tant qu’ils ne sont pas plus avancés. En fait je n’ai pas terminé Soutine depuis longtemps, il n’est sorti qu’il y a trois jours. Je suis donc sur certaines choses mais rien n’est définitif.

Merci Joël Legars pour ce moment passé ensemble et bravo pour votre album très réussi.

Photo : © Bédéthèque.com

Illustrations : Grolleau et Legars © Steinkis 2019

 Jérôme Boutelier

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 29 Octobre 2018

Interview de Dimitri Armand à l’occasion de la sortie de TEXAS JACK aux éditions LE LOMBARD

Après Sykes, le duo Pierre Dubois et Dimitri Armand remet le couvert pour réaliser l’excellent western Texas Jack aux éditions Le Lombard. La venue de Dimitri Armand sur le festival Quai des Bulles était l’occasion de parler de cet album et plus généralement de son regard sur la bande dessinée.

Bonjour Dimitri

Votre première collaboration avec le scénariste Pierre DUBOIS a eu lieu en 2014 avec Sykes, comment ça s'est passé cette fois-ci ?

En fait, ça c'est très bien passé. Au départ, c'est le Lombard qui nous a mis en relation et on s'est tout de suite très bien entendu. Je pense que, du coup, c'était assez astucieux de la part du Lombard, de nous mettre en relation. Je pense que ça a assez surpris les gens qui s'attendait de voir Pierre DUBOIS sur du western alors que l'on l'attend plutôt sur des elfes.

Plutôt de sujets poétiques comme il a l'habitude de le faire.

Là aussi, il y a de la poésie (rires)

Je ne suis pas convaincu qu'ici, ça soit la même !

Comme ça s'était super bien passé avec le premier album, on a remis le couvert pour Texas Jack qui va bientôt sortir.

J'ai eu l'occasion de le lire et de l'apprécier tout particulièrement. Quelles sont les méthodes de travail entre Pierre et vous ?

Avec Pierre, c'est un peu particulier qu'avec les autres scénaristes, car le scénario était écrit comme une nouvelle, donc sans découpage BD, pas de page 1, case 1... C'est donc moi qui aie dû découper l'album. De plus, c'est un scénario manuscrit ! Je dois dire que ça m'a surpris au début, j'ai plutôt trouvé cela plutôt charmant. De voir le scénario écrit et pas du tout découpé, j'ai trouvé ça plutôt intéressant au final.

Une fois le découpage réalisé, lui avez-vous envoyé ? De quelle manière est-il intervenu ou pas ?

En fait, pour ainsi dire jamais ! En gros, ce sont deux choses qui m'ont fait peur au départ : le fait que le scénario ne soit pas découpé et le fait d'être livré un peu à moi-même. Au final, ça été les deux choses les plus enrichissantes sur ces projets-là. Du coup, j'ai dû apprendre à découper un bouquin car normalement c'est un travail de scénariste habituellement. Ça m'a permis de me former là-dessus.

Un gros challenge alors ?

Effectivement et il y a des trucs que je regrette un petit peu au niveau mise en scène. J'aurai aimé après coup, les faire différemment mais malheureusement ou pas, ça fait partie de l'apprentissage. En plus, il m'a fait une confiance aveugle. C'est à dire que lorsque l'on a commencé à travailler ensemble, je faisais livrer les pages imprimées par courrier, 5 à 6 pages dans un premier temps et il a tout adoré. J'ai eu que des retours dithyrambiques et chaque fois, il était ravi. Il n'a jamais eu rien à redire et pourtant au début, j'étais disposé à retoucher si c'était pertinent ou autre à suivre ses remarques mais il a toujours adoré ma façon sur ces bouquins-là de mettre en scène et de faire les pages. J'étais hyper libre et ça c'est vraiment jouissif.

C'est à la fois libre et contraint par un énorme challenge car c'est quand même un album qui fait 120 pages, tant pour le découpage que pour la réalisation ensuite ?

Bah oui, au départ il devait faire la taille de 75 pages mais le problème, c'est que le manuscrit faisait déjà 90 pages et qu'en faisant le story-board, au fur et à mesure, je me rendais compte que j'allais exploser la pagination. Je n'ai pas voulu décaler la date de sortie car on s'est dit avec l'éditeur que ce serait bien de le sortir pas très de loin de Sykes.

Pourquoi pas en deux albums alors ?

Ça été pensé, le souci c'est que c'est vraiment une quête et que dans la première partie, il n'y a vraiment d'événements mais plus la relation entre les personnages qui va se tisser tout le long de l'album et du coup, coupé en deux, s'aurait fait un premier album où il ne s'y passe pas vraiment grand chose. Il aurait alors fallu réécrire la structure.

Je ne suis pas tout à fait d'accord quand vous dites qu'il ne se passe rien dans la première partie.

En fait, je pense que ça aurait un peu cassé la montée en puissance de l'intrigue et des relations entre les personnages et la rencontre finale.

Texas Jack ressemble, par certains côtés, à Buffalo Bill et son côté grand spectacle, comment avez-vous appréhendé le personnage ?

C'est une autre chose qui m'a beaucoup plu dans l'écriture de Pierre, c'est que quand je lis son scénario, j'ai tout de suite des images qui me viennent et en fait, lui je l'ai toute de suite imaginé comme ça. Oui, c'est une forme de Buffalo Bill.

Où tout est dans l'apparat quand même ? Dès les premières pages, il est dans un spectacle, en représentation, tel que je l'ai compris ?

Oui, c'est exactement ça !

Sauf qu'à un moment, il va se retrouver dans la vraie vie.

Et il va vite le regretter !

Il va va se faire piéger ?

C'est ça qui était intéressant, c'est que comme graphiquement, j'avais fait Sykes avec un personnage plus sombre, les yeux fatigués, une moustache noire... J'ai vu cette espèce de petit minet, blondinet, toujours avec le sourire ridicule. Mais, c'est son personnage !

Ce que je trouve important dans cet album, c'est que vous avez dessiné vraiment des "gueules" au sens où nous avons des personnages burinés, des visages et des postures expressifs. Il apparaît très important d'avoir cette densité dans ces personnages qui évoluent dans de superbes paysages. Par contre, beaucoup de violence, ce qui n'est pas dans les habitudes de Pierre DUBOIS, plutôt dans un registre poétique. Est-ce que cela vous a gêné ?

Non, je pense même qu'il s'est plutôt amusé de ce côté-là parce qu'il savait qu'au contraire, j'aimais bien dessiner ce genre de scènes.  La violence n'est jamais gratuite parce que même si j'ai tendance à exagérer les impacts de balles ou autres, au final ça met en avance la faiblesse de Texas parce qu'en temps que lecteur, on va s'identifier à Texas Jack qui est en fait en dehors de tout ça car il tire sur des assiettes et c'est tout. On prend presque pitié de lui a un certain moment dans l'album.

Cet album est vif, rythmé et l'on sent que vous avez pris un réel plaisir à le réaliser, je me trompe ?

Non, vous ne vous trompez pas, je me suis clairement éclaté. Il m'aurait fallu clairement six mois de plus pour vraiment le faire comme je voulais.

Près de 125 pages, on ne s'ennuie pas un seul instant. Quel a été la recette pour tenir le lecteur en haleine ?

La grosse qualité de Pierre sur cet album réside dans la multiplicité des personnages qui ont tous des dialogues qui vont les présenter avec toutes leurs personnalités. Ce que j'aime beaucoup dans le travail de Pierre Dubois c'est qu'il n'y a pas dialogue gratuit. Tout ce que les personnages vont dire, ça va les installer, les faire exister vraiment dans l'album.

Y aura-t-il une prochaine collaboration avec Pierre Dubois ?

On aimerait beaucoup en fait, L'idée d'une trilogie, on aimerait beaucoup faire rencontrer Sykes et O'Malley et le problème, c'est que Pierre a de superbes idées. Déjà avec Sykes, je m'étais dit que je ne ferai que cet album mais un jour, il m'a juste envoyé la suite et j'ai pas pu faire autrement que de plonger. Le problème actuellement, c'est qu'il faudra attendre un peu pour une nouvelle collaboration car je viens de commencer une nouvelle série au Lombard.

Vous faites partie des artistes à maîtriser la réalisation d'un western en bande dessinée et s'il fallait citer quelques noms d'auteurs que vous admirez dans cette discipline, ce seraient lesquels ?

Au début, je dirai qu'il y a François Boucq sur le Bouncer qui m'a bien inspiré, Ralph Meyer pour Undertacker avec un dessin très propre. On ne dessine pas du tout pareil tous les deux mais nous partageons un dessin assez lisse, assez propre comparé à Mathieu Lauffray qui va avoir un trait beaucoup plus lâché, beaucoup plus expressif. Il y a également Mathieu Bonhomme que j'ai découvert tard sur Texas Cow-boy. Album que j'ai adoré car il a, par exemple, un don sur les postures des personnages. Bien qu'il y ait très peu de trait, les personnages existent vraiment. Enrico Marini qui a toujours été une grosse influence pour moi. Je ne pense pas que mon dessin ressemble mais c'est dans sa façon de gérer l'efficacité des scènes, en fait. Marini est extrêmement impressionnant graphiquement mais quand on regarde bien, je sais que c'est facile à dire, ce sont des recettes assez simple, il va mettre en avant son personnage qui est au cœur de l'action, il va esquisser un morceau de décor, et tout envoyer à la couleur et ça va être super impressionnant. Il ne va jamais mettre trop d'information et ça c'est vraiment quelque chose que j'aime bien !

Je ne suis pas doué pour faire, comme par exemple, comme Otomo dans Akira où il y a là une débauche visuelle et malgré tout, ça reste d'une grande lisibilité et je trouve ça hallucinant. Pour ma part, si je commence à faire des traits partout, ça faire un truc illisible.

Là, justement, le trait est clair, c'est fluide

Merci ! J'ai essayé du coup de le rendre le plus lisible possible.

Et vous ne citez pas Jean Giraud, il ne fait pas partie des auteurs qui vous ont influencé ?

Bah non, je l'ai lu et c'est un passage obligé, j'adore son travail, je l'ai regardé régulièrement.

Lui aussi va avoir un dessin extrêmement fouillé  et malgré tout assez lisible et puis il ne faut pas oublier que c'est un pilier de la bande dessinée franco-belge. C'est vrai qu'au départ, il ne fait pas vraiment partie de ma culture et quand vous m'avez posé la question, ce n'est pas un nom qui m'est sorti spontanément.

Propos recueillis par Bernard LAUNOIS dans le cadre du festival Quai des Bulles St Malo le 13 octobre 2018

 

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Publié le 24 Octobre 2018

Interview de Fred Vignaux à l’occasion de la sortie de Kriss de Valnor T8

Entre la sortie du très attendu tome 8 du spin-off « Kriss de Valnor », dessinée par Fred Vignaux, qui clôturera la série et l’information comme quoi c’est Fred Vignaux qui reprend la série Thorgal, l’interview de ce dernier, dans le cadre du festival Quai des Bulles à St Malo, tombait à point nommé.

Pour ce dernier opus, Kriss de Valnor a désormais un seul but : retrouver son fils Aniel. Pour le rejoindre au plus vite, elle a choisi d'escalader la Montagne du Temps. Mais l'épreuve s'avère bien plus cruelle qu'elle ne l'avait imaginé... Entre temps, Jolan poursuit son duel sans merci contre l'empereur Magnus.

Vous venez de terminer le tome 8 du spin-off « Kriss de Valnor » qui sera le dernier, comment l’avez-vous Vécu ?

Paradoxalement, la fin de cette série est un commencement pour moi  et on en va en reparler plus tard dans l’interview, ça été un vrai plaisir et ce deuxième album clôt un beau diptyque qui forme une belle histoire très cinématographique, avec Mathieu Mariolle et Xavier Dorison, ça ne pouvait être qu’ainsi. Je m’en suis vraiment rendu compte à la fin car il y a eu des choses de semé dans le 1er tome qui se résolvent dans le second. Au final, ça se rapproche pas mal  du tome les Archers qui est un petit film en soi. Comme cela va s’inscrire dans la continuité, cet album n’est en fait pas vraiment une fin.

Si  cet album est très fluide dans la narration, il n’en est pas moins dense, avec beaucoup de cases mais aussi beaucoup de bulles, est-ce que cela t’a posé des problèmes particuliers ?

Il y a effectivement à certains moments beaucoup de dialogues notamment pour placer la psychologie des personnages  mais ça alterne avec des pages beaucoup moins dense. Je ne le ressens pas comme ça, quand tu vois le nombre de cases dans « Neige », c’était beaucoup plus contraignant. Je pouvais néanmoins utiliser les fonds perdus, il y avait des panoramiques, là, la charte Thorgal est plus contraignante mais néanmoins créative. Ce qui est intéressant, c’est que ce soit un challenge et je n’ai pas vraiment rencontré de difficulté.

Quant à la  densité, je trouve ça plutôt intéressant dans la bande dessinée car il ne faut que la bd soit lue en 20 minutes. Finalement, la densité pour moi, c’est important. Alors après, j’en avais discuté avec Rosinski, quand on regarde les Thorgal, ce que disait Van Hamme, il y a des albums de scénariste et des albums de dessinateurs. Donc, quand il lui présentait un album, il lui disait « Tu vois Grzegorz, celui-ci sera un album de scénariste, ce qui veut dire qu’il y aura plus de cases mais la prochaine fois, je te ferai plaisir en te faisant un album de dessinateur ».

Pour le prochain Thorgal, y a-t-il déjà des orientations ?

On va plutôt être dans le classique, avec une histoire complète.

Alors, si mes comptes sont bons, tu es le petit dernier arrivé dans l’équipe Thorgal et c’est toi qui a la charge et l’honneur de reprendre la série.

Surtout le poids…

Est-ce que tu ressens un gros poids, une grande pression à reprendre les albums de Thorgal ?

J’ai déjà deux tomes avec le spin-off, même si ça ne fait pas beaucoup, néanmoins, ça s’inscrit dans la continuité. Alors, c’est amusant parce que le poids, la bande dessinée est un métier solitaire, on est chez soi, on se bat contre soi, ses propres réflexions et le poids, on le rencontre lors de séances de dédicaces avec les lecteurs et là on se dit,  que peut-être effectivement avec Thorgal, il faut se mettre un petit peu la pression.

Alors, c’est venu comment avec Rosinski pour que finalement, ce soit vous qui repreniez le personnage ?

C’est un peu une énigme, comme il l’a expliqué en conférence de presse lors de la passation, il retrouvait un peu de lui dans mon dessin. Je pense que c’est surtout cette énergie, le foisonnement. C’est vrai que j’aime bien, même dans les paysages, que ça vive et je sais que lui avec ses personnages, quand on lit un Thorgal, c’est le reflet de ses émotions tout au long d’une année, tout au long de la création. Le personnage bouge beaucoup et n’est pas forcément constant, c’est ça qui est intéressant. C’est vrai, je pense qu’en bande dessinée, on ne fait pas d’illustration, pas du dessin animée. En dessin animée, le personnage est toujours au modèle, il ne bouge jamais, tout le temps parfait. Moi, j’estime mais c’est ce qu’ils font en manga, toute proportion gardée, que le personnage doit vivre en fonction des cases, en fonction de ce qui se passe. Il n’est pas obligé qu’il soit toujours pareil, bien constant : le dessin des personnages, c’est le reflet de notre humeur du moment, sachant qu’il ne faut quand même pas que ça varie trop non plus.

Alors, tu parlais d’illustrations, j’ai cru comprendre que les albums Kriss de Valnor étaient réalisés de manière numérique.

C’est ça, tout à fait !

Du coup, ça fait une sacrée différence même si je trouve le dessin tellement dynamique que ça ne pose pas de problème. Maintenant quand on voit les dessins de Rosinski qui ressemble plus à des peintures. Pourquoi avoir choisi de se tourner vers des procédés électroniques, est-ce que Rosinski a-t-il vu cela d’un bon oeil ?

En fait, Rosinski est sensible à la nouveauté, il faut voir qu’il s’est toujours renouvelé dans sa carrière et là, je pense qu’il est intrigué par cette technique. On ne parle pas trop avec Rosinski  de technique, traditionnelle ou numérique. Par contre, les originaux revêtent une grande importance car pour ma part, j’ai appris la bande dessinée en allant voir des originaux, en regardant comment les coups de pinceaux ont été mis. Avec quels outils, le dessin a-t-il été réalisé. A l’époque de mes débuts, il n’y avait pas Internet et je pense que c’est très important de faire des originaux car sinon les générations futures n’auront rien à regarder. Le traditionnel, le numérique, ce sont des techniques et quelles qu’elles soient, on fait toujours de la bande dessinée.  Je ne pense pas qu’aujourd’hui, on voit quelles techniques sont utilisées mais je pense par contre qu’il est important pour Thorgal, c’est qu’il y ait des originaux.

Je vais sur le prochain album faire en sorte petit à petit à me remettre à faire des originaux.

C’est une très bonne idée, d’autant plus qu’aujourd’hui, il devient de plus en plus prégnant de ne pas se passer des revenus de la vente d’originaux.

Effectivement, ça peut être une part non négligeable dans la rémunération mais au-delà de ça, il y a aussi l’aspect retraite qui permettra peut-être de l’assurer un peu mieux.

C’est important également de posséder des originaux pour l’organisation d’exposition ?

 Effectivement, après avec quelques auteurs qui travaillent en numérique, on se pose la question de créer des sortes d’originaux à partir de numériques en faisant réaliser un tirage papier de qualité, labellisé, signé et qui serait en quelque sorte le seul et unique original.

Je ne suis pas convaincu que ça rencontrerait un vif succès.

Cela pourrait marcher à la condition que beaucoup d’auteurs le font. EN fait, la question se pose vraiment, c’est vrai que l’on nous demande de faire de plus en plus vite des albums et que se pose le moment de laisser une trace.

Ne pourrait-on pas alors, alterner les pages numériques et traditionnelles dans un album ?

C’est une solution envisageable d’autant plus quand on sait que l’on va faire une illustration pleine page.

Concernant les originaux, j’ai lu dans l’interview d’un confrère, que Rosinski continuera à dessiner les couvertures. Est-ce qu’il est prévu que tu les réalises également un peu plus tard ?

En fait, ça me fait extrêmement plaisir que ce soit Grzegorz qui les réalise. Thorgal, c’est la bande dessinée de mon enfance et j’ai toujours vu Rosinski les faire et également, comme j’ai la casquette « cover artist » de la collection Mythologie (éditions GLENAT), cela ne me gêne pas que quelqu’un d’autre fasse la couverture à ma place, je trouve important qu’il y ait une homogénéisation des couvertures pour une série. De plus, c’est quand même Rosinski qui fait les couvertures dont quelques unes sont quand même mythiques. C’est pour moi un énorme cadeau, ça me fait extrêmement plaisir.

Par ailleurs, je sais que s'il arrête la bande dessinée, c’est qu’il a envie de se faire plaisir en  faisant de la peinture.

Revenons à Kriss de Valnor, est-ce que Rosinski est intervenu sur ton dessin ?

Il est intervenu sur le premier album, alors que je lui avais envoyé les dix premières pages, en redessinant certaines cases en me montrant les émotions, les intentions, qu’il fallait faire passer.  C’était plus un côté didactique qu’autre chose. Les modifications ont porté principalement sur le visage de Kriss, afin de transmettre une certaine émotion. Après, il m’a laissé  réaliser l’album.

Quand je fais une planche, tout est transparent, je l’envoie à Rosinski, aux scénaristes et à l’éditeur, je montre à tout le monde.

Alors comment fonctionnez-vous avec le scénariste  Mathieu Mariolle, comment recevez-vous le synopsis ?

Sur le premier diptyque, je suis arrivé alors tout était déjà a peu près bouclé. Par contre, pour le second, Mathieu a fait un synopsis qu’il nous a soumis (le dessinateur et Gauthier Van Meerbeeck, directeur éditorial des Éditions du Lombard) et après quelques petits ajustements, Mathieu a fait le découpage. De toutes les façons, que ce soit au story-board, au niveau du scénario ou quand je fais mes encrages, il y a la possibilité d’intervenir à tout moment, de modifier. La planche faite, je la scanne et l’envoie au scénariste et à l’éditeur. En début de mois, j’envoie six à sept planches de story-board qui correspondra aux planches encrées réalisées en fin de mois.

Tu as une puissance de travail, c’est dix à douze heures par jour ?

Oui, c’est ça et d’autant plus cette année que j’avais un « Neige » à faire ! Je m’étais engagé auprès des deux éditeurs, Glénat pour Neige et Le Lombard pour Kriss de Valnor, à respecter les délais de chacun et ça été complètement transparent pour eux. Maintenant, le challenge est de ne faire que Thorgal pour les deux à trois années à venir et les couvertures de Mythologie car c’est un vrai plaisir de les dessiner. L’objectif étant de faire un album de Thorgal par an, sachant que je ne ferai pas les couleurs.

Ne ressent-tu pas alors une frustration à ne pas faire les couleurs ?

 Non, les couleurs de Thorgal, ce n’est pas celles que je ferai.

Donc, du coup, si tu fais des originaux de Thorgal, il faudra que tu t’adaptes à ces couleurs ?

Non, on va revenir sur du noir & blanc. Je ne vais pas faire de la couleur directe sur les planches de Thorgal. Pourquoi aussi, parce que sa couleur, c’est une patte qui lui est propre ; sa façon de faire les couleurs est hyper personnelle. Honnêtement je peux plus refaire ses encrages que sa couleur. Même si sur Neige, je m’approchais un petit peu de ce côté pictural. En fait, c’est un travail de lumière, c’est très structuré. Comme je travaille en numérique, c’est possible mais ce n’est pas l’intérêt de faire ça. Je pense que beaucoup de lecteurs sont sensibles à l’encrage. Je ne sais pas si c’est mieux ou moins bien mais moi, j’ai envie de revenir à de l’encrage classique comme j’ai fais sur Kriss. Donc, pas de frustration sur la couleur et après, j’ai une approche couleur dans le sens où quand je fais mes encrages, je pense au sens des lumières et à ce que va faire le coloriste après. Pour Gaëtan, j’essaie de lui offrir le maximum de documentation, de lui décrire le maximum de mes intentions afin qu’il puisse bien travailler.

Revenons à  Thorgal, de qui sera le scénario du prochain ?

De Yann, je suis actuellement sur les premières planches. Avec Yann, c’est un bon dialogue qui s’instaure entre nous et il y a un truc très marrant, c’est qu’il propose sur son synopsis  des versions alternatives et que je suis allé souvent sur ses versions alternatives ! Il fait en sorte ensuite de réajuster. Ce que je ne sais pas, c’est si c’était des perches qu’il me tendait pour voir un peu comment je réagirai. Une fois les ajustements, il a fait entièrement tout le découpage de l’album, ce que j’aime particulièrement car ça permet à chacun de tenir sa place.

Propos recueillis par Bernard LAUNOIS dans le cadre du festival Quai des Bulles St Malo le 13 octobre 2018

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Publié le 24 Novembre 2017

Entretien avec Théo Caneschi, à l'occasion de la sortie de MURENA T10

Après le Pape Terrible, le trône d’argile, le tome 10 de Murena, pourquoi votre registre bd s’inscrit plutôt dans la bd historique, y-a-t-il une préférence de faire de la bd historique ?

C’était un peu mon destin, je crois ! C’est vrai que je suis un grand passionné d’histoire mais c’est vrai aussi, que j’ai commencé un peu par hasard par faire le trône d’argile puisqu’on me l’a proposé de le faire. Puis mon nom a commencé à être connu comme dessinateur de bd, peut-être un bon dessinateur. Puis, ensuite, tout s’est enchaîné, le pape terrible avec Jodorowski où j’ai pu à chaque fois, développer mon style. Ce sont les 2 séries qui m’ont permis de faire connaître mon talent, même à Philippe Delaby qui en avait parlé à Jean Dufaux et donc voilà, c’est un fil rouge qui a relié tout ça.

C’est comme ça que vous avez été approché par Jean Dufaux ?

C’est Dargaud, en accord avec Jean Dufaux, avec Yves Schirlf, éditeur de Dargaud Bénélux, éditeur de la série. En fait, les deux grands amis qui ont créé avec Philippe Delaby, le grand succès qu’est Murena. Ils m’ont appelé et ont complètement bouleversé ma vie, ma carrière, mon planning…

Je suppose que ce doit être important dans une vie d’auteur d’avoir une telle proposition, une série phare orchestré par des maîtres de la bd ?

C’est ça, l’annonce de la mort de Philippe Delaby m’avait choqué parce que c’était quelqu’un que je n’avais, hélas, jamais eu la chance de le rencontrer physiquement. Pour moi, il était là depuis toujours, en grand dessinateur. Pour moi, avant de commencer ma carrière de dessinateur, alors que j’étais illustrateur à l’atelier à Florence, nous avions déjà tous les albums de Philippe comme référence en matière de décors, de personnages. J’ai travaillé pour les musées, notamment pour des reconstructions historiques, on avait besoin de quelques références romantiques, Philippe était déjà là !

Il avait déjà parlé de mon talent à Jean Dufaux et malheureusement quand ils ont eu besoin de trouver un autre dessinateur pour continuer la série, la phrase de Philippe sur moi était déjà dans les souvenirs de Jean Dufaux.

Alors, je suppose que vous avez senti une grande pression, une grand responsabilité ?

Oui, oui, ce n’était pas facile du tout d’accepter ces changements dans ma vie, dans ma carrière parce que j’avais envie de terminer les autres séries commencées. J’ai demandé du temps qu’ils m’ont donné le temps nécessaire. De plus, reprendre le travail d’un autre dessinateur, c’est plonger dans son univers. C’était vraiment dans ma tête un conflit, un chaos intérieur. Le matin, c’était ok, tout bon tu vas faire ça sans problème, c’est facile. L’après-midi, c’était non, je n’aime pas faire ça, c’est trop difficile !

Qu’est-ce qui est le plus contraignant en fait, de reprendre les personnages, de s’approprier l’histoire et à la fois, garder son style ? C’était un challenge ?

C’était plus compliqué que ça, je vais t’expliquer que c’était mon identité qui était en danger. Pas seulement au niveau artistique, c’était un moment dans ma vie, un grand changement général et l’arrivée de Murena a marqué ce moment, voire 3 ans de travail sur l’album, des changements complets. Je dirai, sans exagérer, que j’avais peur de perdre mon identité et j’avais raison. J’ai dû arriver à voir et travailler sur cette peur et transformer cette peur en une énergie positive et créative.

Là, ça se voit dans l’album, vous gardez votre identité et vous êtes rentrés pleinement dans l’histoire...

Merci,  c’était un voyage, un apprentissage même en étudiant le style de Philippe, j’ai eu besoin de temps pour faire des tests, des croquis naturellement et donc, au début j’étais très concentré sur le souci de donner au lecteur quelque chose de déjà connu…

Une certaine continuité...

Voilà, mais après heureusement je ne suis pas capable de faire des copies. Donc, de façon naturelle, mon style poussait pour retourner sur la page mais c’était mon nouveau style parce que moi aussi avec les rencontres avec Philippe, j’essayai la plume, les pinceaux, au niveau technique, il m’a inspiré. Mon style même a beaucoup changé.

Avez-vous eu des contacts avec Philippe Petitqueux qui avait terminé l’opus 9 ?

Oui, Jérémy m’a écrit, c’était une grande gentillesse de sa part de me conseiller tout doucement, de reprendre la série. Il a terminé l’album des complaintes des landes perdues. J’imagine que c’était trop difficile émotivement de reprendre Murena. C’était aussi le moment de se détacher un petit peu du maître. Pour moi, c’était différent au niveau psychologique, c’était pas facile mais différent. Tout doucement, j’ai pu rencontrer une première fois la famille de Philippe, la famille Dargaud aussi. Yves Shrilf et tout le monde chez Dargaud qui ont beaucoup souffert de la perte d’un ami, pas seulement d’un acteur du catalogue.

 Après Jodorowsky, les méthodes de travail de Jean Dufaux sont-elles différentes ?

Pas trop, car tous les deux me laissent une grande liberté !

Comment ça se passe, vous recevez une partie du scénario ?

Jean avait envoyé les douze premières pages pour commencer. Après, il m’a écrit et c’était une très bonne nouvelle, j’ai retrouvé le plaisir de raconter des histoires de notre personnages lucius et les autres. Et ce n’était pas vraiment automatique après l’arrêt si tragique de la série et après nous n’avons plus parler des scènes, des expressions des personnages, du défi que représentait l’album pour nous deux. C’était donc un échange très riche.

Avec cet album, c’est quelque part la renaissance de Murena puisqu’il est reconnu par l’empereur.

Est-ce que vous avez prévu de réaliser d’autres opus ensemble ?

Oui, le projet était prévu en 16 tomes avec 4 cycles de 4 albums. Il a très clairement en tête la suite et ce qui me plait, il est en train de changer le récit du prochain album. Je ne sais pas s’il a des idées précises déjà pour le prochain album. Apparemment, il ya des personnages qui vont prendre plus d’importance, notamment les personnages féminins comme les Muria que j’ai dû créer. Il m’a dit quand j’ai parlé avec toi, partager des expériences parce que c’est toujours un jeu de miroir de projection, de transfert de la hauteur dans les personnages. Je me suis dit, que certains personnages me ressemblent un peu au niveau physique. Et les Muria représentent quelque chose de plus  qu’un personnage de fiction. C’est très intéressant de voir comme dans la tête de ce grand auteur qu’est Jean Dufaux, toute sa réalité, il aide à créer des situations, il développe les personnages et c’est très intéressant.

Est-ce vous qui faites le découpage ? Quel rapport avez-vous avec le scénariste par rapport à la construction de l’album ?

En fait, une fois le scénario en main, Je savais qu’il était  là,  mais il ne m’a pas suivi trop présent.

C’est une marque de confiance.

Avec Jodorowsky, c’est la même chose ! Ils me font confiance ! Je fais des scènes que j’envoie à Dargaud, ils en discutent ensemble. Ils ne m’ont presque rien dit, seulement au début où on a parlé un peu. Je crois qu’il avait envie de découvrir le Murena de Théo et c’est tout. Même avec mes problème de langue, je suis arrivé à bien représenter le scénario.

Est-ce qu’au niveau dessin, couleurs, il y a eu un traitement différent par rapport à vos autres séries ?

 

Oui, bien sûr c’est une grande nouveauté ! Notre énorme défi que j’ai choisi de relever, c'est-à-dire, la couleur directe sur mes originaux, sur mes encrages. C’est Lorenzo Pieri, le maître de l’aquarelle et mon ami, à l’atelier de Florence. C’était une des clés les plus importantes afin d’accepter de faire le projet.

J’ai envie de prendre le projet mais est-ce que tu accepterai de reprendre les pinceaux, les aquarelles, les beaux papiers que nous avons choisi à Florence et c’était à la fois un défi, de faire une collaboration très stricte avec un ami, ce n’est pas toujours facile parce qu’on ose pas toujours faire des remarques. Il est aussi le coloriste du tronc d’argile qu’il fait à l’ordinateur et c’était du coup, complètement différent. Nous avons eu plusieurs fois du mal à parler d’une façon ouverte. Maintenant avec la pression de tout le monde qui attendait les pages, nous avons travaillé finalement de manière facile, sans pression. Je lui ai laissé une confiance totale. Nous travaillons ensemble dans le même atelier, dans un tout petit atelier florentin.

Je lui ai laissé tout sa place, avec un travail pour moi à la plume, plus clair, dans le style de Philippe Delaby contrairement à mes albums précédents qui demandaient un encrage plus important.

C’est un crayonné jeté ou plutôt poussé avant l’encrage ?

J’ai fais comme vous allez le découvrir dans l’édition noir & blanc de l’album, c’est des crayonnés au petit format, celui de la création. J’ai besoin de travailler la page en petit format, c’est mieux pour moi pour trouver l’équilibre.

C’est un report ensuit à la table lumineuse ?

C’est une impression de gris, à peu près la même chose. Après, encore du crayon  car j’ai besoin d’élargir les crayonnés et rajouter des détails et après c’est l’encrage à la plume, un peu de pinceaux, du crayonné couleurs aussi même après l’aquarelle. En fait, c’est un mixte des techniques que j’ai appliqué pour cet album. Ce sera à vous de juger.

Pensez-vous que cet album a été plus difficile à réaliser que les autres ? 

Chaque album est un voyage dans nous-mêmes, une remise en question. La naïveté, ça m’a aidé beaucoup à me rapprocher de la bande dessinée franco-belge sans en imaginer les difficultés, les problèmes, la surproduction. Après, j’ai eu envie de faire quelque chose de plus. Chaque album, c’est plus difficile que le précédent. Pour Murena, c’était incroyable, une vraie crise générale dans ma vie, pas de la faute des Murena, Jean Dufaux, Dargaud et autres mais j’avais besoin de vivre ça, une métamorphose qui m’attendait. Le prochain sera le pape terrible, le suivant le onzième album de Murena. Je suis très content de l’équilibre que m’aura donné cet album, m’aura forcé à trouver, entre la vie, famille, boulot.

Comment de temps a-t-il fallu pour réaliser cet album ?

Presque deux années de travail, le temps de trouver mes marques. Ce sera certainement plus facile pour le prochain mais on verra, chaque suffit sa peine.

La couverture qui représente une tête de cochon interpelle, c’est votre idée ?

C’est effectivement moi qui ai pris le cochon comme élément déjà présent dans les pages de Jean parce que dans le style de Philippe, j’avais besoin  d’un gros détail à montrer sur la couverture. Si on regarde mes touts petits croquis, tests pour la couverture, la tête de cochon était la toute première. J’aimai tellement, ainsi que mon ami Lorenzo Pieri mais Jean Dufaux a tellement l’idée qu’il a modifié le titre de l’album nouveaux horizons pour le rebaptiser le banquet. L’équipe artistique était prête à proposer ce projet à l’équipe éditoriale. Au début, ils ont eu quelques soucis au niveau de la communication de cette image mais lors du festival d’Angoulême 2017, j’ai envie de faire une reprise forte, pas une reprise timide, tendre. Alors, je comprends votre peur que j’ai eu également quand j’ai accepté le défi. Il faut que l’on transforme notre peur en envie de communiquer. Si on a une image un peu choquante pour communiquer, il faut encore plus la pousser. Le directeur marketing a compris rapidement mes attentes et voilà, la tête de cochon, elle fait parler tout le monde, les amis italiens, la presse, le public…

Propos recueillis par Bernard Launois le 28 octobre 2017 Quai des bulles 2017

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 14 Novembre 2017

Interview de Benoît Sokal et François Schuiten à l'occasion de la sortie d'AQUARICA t1

A l’occasion de la sortie du premier tome du diptyque « AQUARICA » aux éditions RUE DE SEVRES, François Schuiten et Benoit Sokal ont répondu à ces quelques questions.

Comment est né ce projet, comment avez-vous décidé de vous lancer dans cette aventure ?

François Schuiten : Je ne sais pas si on a vraiment décidé ce projet par certain côté, on passe

souvent une partie de nos vacances ensemble dans le Sud de la France et comme on dessine ensemble, on continue nos récits, on est quand même attaché à nos tables de dessin, c’est notre destin,  très vite, on évoque des histoires, des scénarios. Benoit a évoqué un petit pitch, une petite ligne narrative avec une idée que j’ai tout de suite trouvée emballante et puis j’ai l’impression que c’était parti.

Benoit Sokal :  Au début, on ne savait pas trop où on allait, écrire une histoire et comme on avait tous les deux un lourd passé dans la bande dessinée, on s’est dit, on va essayé de trouver un terrain neutre comme par exemple le cinéma pour raconter ce genre d’histoire ; On a commencé avec une sorte de brainstorming dessiné car nous ne sommes pas des purs littéraires, des purs scénaristes. On n’est pas non plus des dessinateurs monomaniaques. L’histoire, la construction de mondes imaginaires, le scénario nous tient à cœur aussi. On a fait ça comme des scénaristes graphiques et un petit dessin vaut mieux qu’un long discours.

Au niveau du storyboard, vous avez travaillé à 4 mains ?

François Schuiten : Au départ un projet de film, donc beaucoup de dessin, beaucoup d’esquisses, d’études de personnages, de costumes, de situation, on a un nombre de dessin invraisemblables, on aurait de quoi faire 3 art book.

C’est donc un projet qui a mûri longuement ?

François Schuiten : Oui, ’est très intéressant les projets qui maturent car du coup, quand on y revient, on regarde un peu d’un autre œil, beaucoup d’acteurs sont intervenus qui ont bousculé le système. Ce qui reste, c’est l’os. A travers le temps, à travers 10 ans de pérégrinations, de script doctor (note de la rédaction : dans le milieu audiovisuel, une personne à laquelle on fait appel pour améliorer un scénario). Ce qui reste, ça c’est décanté  et ce qu’il reste, c’est solide, c’est la moelle.

Les univers de François sont plutôt concentrés sur les villes, qu’est-ce qui vous a donné envie de situer votre récit sur le monde maritime ?

François Schuiten : c’est effectivement une image que je véhicule mais je ne fais pas que ça, je dessine plein d’autres choses, je travaille actuellement sur le nouveau blake et Mortimer. Les villes, c’est peu une étiquette mais ce n’est pas ça qui m’anime, c’est plutôt l’étrangeté, le fantastique et c’est ce qu’il y a au cœur d’Aquarica.

Benoit Sokal : En fait, on est surtout des topographes imaginaires quelque part. Je parle sous le contrôle de François mais je pense surtout que c’est de rendre crédible de nouveaux territoires.

Je vous sais sensible à la nature, avez-vous l’intention de laisser un message dans cette série ?

Benoit : Non, le principe de base pour nous, c’est de dire dans la bande dessinée, dans tous les récits populaires, on délivre plus facilement des princesses que des messages. Le plaisir pour nous, c’est l’aventure.

Si je comprends bien, le storyboard, vous l’avez fait de concert ?

Benoit Sokal  : on a été approchés par des producteurs, très vite travaillé avec des script doctor pour l’aspect cinématographique des choses qui nous ont parfois été d’un grand secours ou parce qu’ils nous ont fait travaillé. Dans le meilleur des cas, on peut les assimiler à des accoucheurs qui nous forçaient à nous dépasser.

François Schuiten : c’est un très très bon exercice, je trouve que l’on aurait tous à gagner d’avoir dans les maisons d’édition des coachs de scénarios, des script doctor , ce que l’on appelle au Japon, des Tentochas pour un peu bousculer un certain nombre de facilité, de confort scénaristique. Quand Benoit a entamé le récit, la difficulté c’est que je ne savais plus où on en était, tellement il y avait eu de couches de scénarios ; je ne savais plus lire le scénario tellement ça se mélangeait à toutes les arborescences qui avaient été développées mais enfin, comme il connait son métier, il avait au moins, des potentiels exprimés qui allaient lui permettre de tracer plus facilement.

Benoit Sokal  : Une partie des raisons qui m’ont poussé à faire cette bande dessinée plutôt que d’écrire un autre scénario, c’est que la matière était là et il suffisait de faire le ménage dans les différentes couches accumulées, ce que j’ai fais.

Au niveau du dessin, c’est vous Benoit qui avait réalisé l’album, vous avez évoqué au début de l’interview que vous aviez fait des dessins chacun de votre côté…

François Schuiten  : Nous avons beaucoup fait de dessins ensemble qui ont été des éléments qui ont servis pour nourrir la préparation de l’album.

Benoit Sokal  : l’idée en fait c’est que je pense qu’il est très facile de faire une illustration à deux, on en a fait, la page de garde a été faite à quatre mains. Par contre, la bande dessinée répétitive, c’est un autre dessin. D’ailleurs c’est pour ça que souvent, il y a des très grands illustrateurs mais dès qu’ils doivent se coltiner à la bande dessinée, ils s’effondrent parce que c’est vraiment un autre exercice. C’est quand même un dessin très particulier, beaucoup de répétitions, ces descriptions très exigeantes. On n’a pas toujours le choix du cadrage, faut que ça suive l’histoire.

On veut toujours un peu creuser les choses derrière pour être sûr que l’on ne fabule pas totalement, qu’on ne parte pas en vrille totalement.

Oui, il y a un côté fantasmagorique, néanmoins, il y a une base solide…

Benoit Sokal  : Ce qui nous intéresse, c’est plus le fantastique littéral, dans son acception la plus littérale, c'est-à-dire, une espèce de glissement très ténu mais d’autant plus inquiétant par rapport à la réalité. C’est un peu notre religion.

Quelle technique a été utilisée pour la réalisation d’AQUARICA ?

Benoit Sokal  : Tout, en fait, c’est des aquarelles, des encres, des crayons.

Comme vous avez réalisé des jeux vidéo qui supposent un traitement numérique…

Je considère l’ordinateur comme un crayon de plus. Je scanne toutes les cases que je fais, directement et à peine sèches et je les remodifie encore, la tonalité, les contrastes, la luminosité.

Interview réalisé par Bernard LAUNOIS le 4 octobre 2017 à la maison d'édition RUE DE SEVRES

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 7 Novembre 2012

Nous avions beaucoup aimé le premier tome de KARMA SALSA (cf. chronique), et nous attendons la suite  de cette série plutôt prometteuse. La venue du dessinateur palois Frédéric CAMPOY à Quai des bulles nous a donné l'occasion d'une rencontre décalée.

L'histoire se déroule dans les Caraïbes, pourquoi aussi loin ?

fred_Campoy.jpg« Au départ, j'étais à l'initiative de ce projet et dans mon idée, le personnage principal devait être "black" style Mike TYSON, épris de bagarre. Pour les besoins de l'ambiance, il fallait que l'action se situe dans un environnement plus exotique aux couleurs chaudes incitant au rêve, et les Caraïbes conjuguaient la proximité des Amériques et les paysages colorés que je recherchais.

Mais finalement, un tel homme aurait été trop stéréotypé et avec les scénaristes Joël CALLEDE et Philippe CHARLOT, il a été décidé de mettre plutôt en scène des personnages de type européen. C'est ainsi qu'apparaît Lars, le maître spirituel d'Ange, qui a beaucoup bourlingué de par le monde et qui s'est fait sa propre philosophie : Tibet, bouddhisme, Himalaya ... »

 

 Finalement, vous n'avez pas écrit vous-même le scénario, quelle en est la raison ?

« Menant une autre activité professionnelle (je donne des cours de bande dessinée à l'Ecole supérieure d'art des Pyrénées), je ne me sentais pas tout mener de front. Et puis, c'est tellement rassurant d'avoir des partenaires pour réaliser un tel projet. De plus, Joël CALLEDE pratique la méditation, et c'est un ami. Lui-même, travaillant sur plusieurs scénarios,  a fait appel pour les dialogues à Philippe CHARLOT, un autre régional. »

« J'aime garder une part d'improvisation »

Pouvez-vous nous préciser vos méthodes de travail avec vos deux scénaristes ?

« Les deux scénaristes se voient toutes les trois semaines et proposent un synopsis sur lequel je fais un story board de cinq pages. S'ensuivent plusieurs allers et retours entre les scénaristes et moi : validation du story board,  réalisation du crayonné en A3, re-soumission et enfin, encrage. Pour cet encrage effectué à la plume calligraphique et au stylo feutre noir, j'aime garder une part d'improvisation qui donne plus de dynamisme au dessin.

Je réfléchis aujourd'hui à la possibilité de concevoir mon travail entièrement à la palette graphique et garder le plaisir de l'original pour notamment des ex-libris. »

 

Et le travail avec votre coloriste ?

« J'ai tendance à donner des indications concernant les couleurs de jour et de nuit, et de laisser par ailleurs beaucoup de liberté ; elle connait bien son métier ! »

Vous avez parlé de vos cours à l'école d'art, quelles sont les raisons de cet engagement, est-ce seulement alimentaire ?

« J'aime la pédagogie, la transmission du savoir. Etant autodidacte, j'ai dû travailler pour acquérir toutes les bases et je suis fier de pouvoir aider mes élèves à se les approprier. »

La musique est assez présente dans ce premier tome, quelle place tient-elle dans votre vie ?

« En fait, c'est surtout Philippe CHARLOT qui est musicien et c'est lui qui a eu l'idée du rappeur. Ce flic devait rêver être américain. »

« Il faut savoir équilibrer dans la vie »

Au final, vous êtes vous-même plutôt Karma ou plutôt Salsa ?

« Le Karma, c'est pour moi la somme des actes positifs et négatifs, et qui amène à plus de sérénité. Ces temps-ci, je suis plutôt Karma ! Mais il faut savoir équilibrer dans la vie et je reviens doucement vers la Salsa. D'ailleurs, je me suis mis au théâtre, et cette expression aide à diminuer le stress. »

Propos recueillis le 27 octobre 2012 par Bernard LAUNOIS et Jérôme BOUTELIER à l'occasion du festival BD de St Malo

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Rédigé par Bulles de Mantes

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