Quelle noce d’émeraude ! Depuis le temps que bon nombre de lecteurs attendaient une intégrale du couple le plus glamour de la bande dessinée, les éditions Fluide Glacial se décident enfin à la sortir ! Quarante ans de chamailleries entre Raymonde et Robert, ça se fête et quoi de mieux que de sortir l’intégrale !
Avec ce premier opus qui comporte les quatre premiers albums de la série, du roman d’amour à la maison, sucrée maison en passantpar en vacances et en habitation à loyer modéré, l’auteur complet fait rapidement apparaitre les Bidochon pour un couple aussi attachant que drôle. L’auteur complet, narrant en images les facéties de ces deux protagonistes qui s’étalent au grand jour, rend le lecteur, spectateur d’une vie pas ordinaire, grossissant les défauts de chacun des deux protagonistes qui suscitent une irrésistible hilarité.
Entre un Robert Bidochon râleur, franchouillard jusqu’au bout des ongles et une Raymonde Galopin qui n’a pas vraiment inventé la poudre, ces deux êtres qui n’ont pas pourtant, a priori, beaucoup de point commun malgré tout, arrivent néanmoins à cohabiter pour le grand plaisir des lecteurs.
Alors, comme toute bonne intégrale qui se respecte, cette dernière ne doit pas se résumer à une compilation brute des opus sans l’accompagner de bonus. Après une préface de Pierre Perret illustrée par Eddy Vaccaro, c’est au tour de Gérard Viry-Babel de présenter un biopic de Christian Binet. Enfin, un dossier additionnel, comportant notamment une interview de l’auteur, complètera cette belle intégrale qui ornera la bibliothèque de l’amateur des Bidochon.
Cette sortie, à quelques jours des fêtes de fin d’année, arrive à point nommé et devraient ravir assurément bon nombre d’aficionados.
Dans le cadre du 36ème festival de la bande dessinée de Blois« bd BOUM », les membres de l’ACBD (Association des Critiques etjournalistes de Bande Dessinée) ont retenu, en 2ème sélection, 5 titrespour la dernière étape du Grand Prix de la Critique ACBD 2020.
Dans un rayon de soleil, de Tillie Walden, éditions Gallimard
Les Deux Vies de Pénélope, de Judith Vanistendael, éditions Le Lombard
Le Rapport W, Infiltré à Auschwitz, de Gaëtan Nocq, éditions Daniel Maghen
Révolution, Tome 1 : Liberté, de Younn Locard et Florent Grouazel, éditions Actes Sud-L’An 2
L'ACBD annoncera, le 5 décembre 2019, l'album lauréat du Grand Prix de la Critique ACBD 2019. LeGrand Prix de la Critique ACBD 2019 a pour but de « soutenir et mettre en valeur, dans un esprit dedécouverte, un livre de bande dessinée, publié en langue française, à forte exigence narrative etgraphique, marquant par sa puissance, son originalité, la nouveauté de son propos ou des moyensque l’auteur y déploie ».
Le bureau de l’ACBD :Fabrice PIAULT (Livres Hebdo), Antoine GUILLOT (France Culture), Laurence LE SAUX (Télérama, bodoi.info), Laurent TURPIN (bdzoom.com), Anne DOUHAIRE (franceinter.fr), Patrick GAUMER (Dictionnaire mondial de la BD “Larousse”), Benoît CASSEL (planetebd.com)
C’est toujours un grand plaisir de participer à cette réunion des membres de l’ACBD dans le cadre prestigieux de la ville de Blois. Les discussions ont été animées mais toujours cordiales, car chacun avait à cœur de défendre ses titres et l’on peut dire que les quinze titres en compétition méritaient tous de figurer dans la short liste.
Je tenais à profiter de cet article pour remercier le festival BD BOUM pour la haute tenue de ce festival ainsi qu’au bel accueil qui a été offert, une fois encore, aux membres de l’ACBD pour leur permettre de réaliser dans les meilleures conditions, cette liste de nominés.
Octobre 36, la guerre civile fait rage et Mattéo et ses hommes, retranchés à Alcetria, se sont installés chez Don Figueras, un petit bourgeois du village qui vieillit mal, condamné à circuler avec sa chaise roulante et son aversion pour les personnes qui n’ont pas de convictions nationalistes. Une drôle de relation s’instaure entre Mattéo et le vieil homme, entre haine et attirance, qui débouchera sur une révélation à laquelle Mattéo est loin de s’attendre. Amélie sera délivré en échange du curé et ce, grâce à l’intervention de Don Figueras.
Alors que les fascistes se font de plus en plus pressants, Mattéo ne cesse de douter sur son devenir mais également sur son entourage, partagé entre la blonde Aneschka et la brune Amélie qu’il affectionne particulièrement toutes les deux.
Que faire, rester cantonné dans ce village de repli ou sortir de la nasse dans laquelle ils sont enfermés, Mattéo et ses compagnons de fortune ?
Avec cet avant-dernier opus de cette remarquable série romanesque, l’auteur complet Jean-Pierre Gibrat alimente le suspens de cette série, tout particulièrement avec ce pauvre Mattéo qui ne cesse et plus que jamais, de se chercher. A la guerre physique s’ajoute une guerre psychologique auquel personne n’est préparée, au point de se demander si la tempête n’est pas plus dévastatrice dans les boites crâniennes des protagonistes.
Avec un dessin dynamique, les personnages hauts en couleurs évoluent dans un décor de carte postale dont le dessinateur Jean-Pierre Gibrat a le secret et ce, pour le plus grand bonheur du lecteur. A l’aube du dernier opus, nul ne doute que beaucoup de lecteurs seront partagés entre le désir de connaître le dénouement et celui de voir prolonger cette belle série.
Depuis 2014, la volonté des associations Bulles de Mantes et Blues sur Seine de mettre en évidence les connexions entre le blues et la bande dessinée se réalise notamment dans la création du Prix de la bande dessinée aux couleurs du blues.
Pour ce vote, près d’une vingtaine d’albums parus entre juin 2018 et juin 2019 ont été examinés par un comité de lecture de Bulles de Mantes, pour sélectionner cinq titres dans la liste finale. Le jury, composé de représentants des deux associations, ainsi que des représentants des mondes de la lecture, de la musique, et de l’éducation, choisira parmi les cinq albums suivants présélectionnés pour concourir au prix:
- BACKSTAGE, LA GENESE DES ROLLING STONES (James et Boris Mirroir, éditions Fluide Glacial),
Le Prix de la BD aux couleurs du blues récompense le meilleur album illustrant une thématique du blues ou des musiques afro-américaines qui en sont dérivées, ou encore illustrant le contexte social et historique en relation.
Le très réussi album Redbone des auteurs Thibault Balahy, Christian Staebler et Sonia Paoloni paru chez Steinkis, a remporté les suffrages du jury, qui lui a décerné le prix 2019.
La cérémonie de remise du prix a eu lieu au début du concert de Little Bob Blues Bastars, samedi 16 novembre à 21heures, à l’espace Maurice Béjart de Verneuil-sur-Seine. Le dessinateur Thibault Balahy, a fait le déplacement d’Angoulême pour recevoir le prix ainsi qu’un chèque de 500,00 € des mains de madame Chantal Cippelletti, Présidente de Blues s/Seine et de monsieur Bernard LAUNOIS, Président de Bulles de Mantes. L’auteur s’est livré à une séance de dédicaces pendant l’entracte qui a remporté un franc succès.
Une exposition de reproduction des planches de REDBONE a été présentée à l’occasion du festival de bande dessinée de Verneuil-sur-Seine, et sera exposée ensuite à la médiathèque de Verneuil-sur-Seine, du 18 au 29 novembre 2019. Thibault Balahy a également participé à deux séances de dédicaces, respectivement samedi 16 et dimanche 17 novembre sur le festival de Verneuil-sur-Seine
Noël approche et Minnie s’évertue à trouver des idées de cadeaux pour Mickey. Quand une lettre de sa vieille tante Miranda, émérite scientifique, bouleverse tout le programme : voilà qu’après avoir vécu des années dans l’Himalaya, dans le froid et la neige, à démontrer l’existence du Big Foot, elle décide de s’exiler au Mexique. Quelle nouvelle, toutes ses affaires vont être vendues à Yellow Rock, et surtout, se souvient Minnie, un certain calepin noir ! Impossible pour Minnie de voir partir un tel souvenir et la voilà déterminée à retrouver l’objet de sa convoitise. Son amie Clarabelle ne comprend pas son engouement mais reste bien décidée à ne pas la laisser partir seule affronter la neige, le blizzard et qui sait, peut-être Big Foot, l’abominable homme des neiges, et qui d’autres encore ?
Après le superbe hommage au personnage de Mickey avec Une mystérieuse mélodie, l’auteur complet Bernard Cosey enchante à nouveau son lectorat avec une belle aventure dans les neiges, terrain de prédilection de l’auteur avec une intrépide Minnie, prête à tout affronter pour arriver à ses fins. Le scénario, bien construit, s’adresse à tous, petits et grands, où chacun y trouvera son compte, les anciens à qui cet opus rappellera les Silly Symphonies, aux jeunes, la magie Disney auquel s’ajoute le talent de cet auteur. On appréciera tout particulièrement les dialogues vifs mais également l’audace de l’auteur lorsqu’il va jusqu’à faire ronfler la si délicate Minnie.
Le dessin épuré et tout en rondeur, si caractéristique de Bernard Cosey, met remarquablement en valeur cette histoire et si on ne connaissait pas sa biographie, on se demanderait s’il n’avait pas dessiné des aventures de Disney toute sa vie.
MINNIE ET LE SECRET DE TANTE MIRANDA COSEY Collection Disney Editions GLENAT 72 pages, 17,00 €
Assurément une des grandes révélations de l'année avec un western de bon aloi, tant au scénario qu'au dessin. Il semblait opportun d'interroger les auteurs afin de mieux connaître comment cet album a vu le jour.
Voilà une belle histoire remarquablement mise en dessin, digne d’un bon film. Est-ce que le choix de parler de la fin des cow-boys a été guidé parce que c’était un sujet rarement traité ?
JJF : Globalement, le western traite rarement des cow-boys.
PPG : Des vrais cow-boys, des vachers
JF : Il y a un film qui s’appelle « Les cow-boys » avec John Wayne et Montgomery. Il y a beaucoup d’histoires avec les éleveurs mais le métier de cow-boys est rarement traité. Aussi, parce que c’est finalement des moments où il ne se passe pas grand-chose. Le travail de cow-boys est assez répétitif et donc, pas propice à de l’aventure.
PG : Vu les difficultés du métier pourtant, on pourrait un faire un album, rien que sur un convoi parce que, entre les vaches qui se cassent la gueule, les chevaux qui se pètent une jambe.
JF : Et quand j’ai commencé à chercher de la documentation sur les métiers de cow-boys, j’ai eu beaucoup de mal en trouver. En fait, je suis tombé sur un petit article qui disait que le métier de cow-boys n’avait duré qu’une dizaine d’années.
Ce qui parait court…
PG : Il a évolué pour devenir autre chose, sur des distances plus courtes. Les mecs ne trimballaient plus les vaches sur des longs trajets puisque les bêtes étaient transportées par le chemin de fer.
JF : Les cow-boys ont été indispensables à la survie de l’Amérique puisque les colons qui partaient dans l’Ouest, il fallait les nourrir. Les récoltes n’étaient pas assez suffisantes, on n’avait pas encore suffisamment bien travaillé la terre. Il fallait donc nourrir les gens et on les nourrissait avec des vaches. Et ces vaches, il fallait les conduire. Pendant dix ans, il a fallu des hommes expérimentés, capables de conduire des troupeaux de 1000 à 1200 vaches pendant 3 à 4 mois. Avec l’arrivée du train, les cow-boys se sont rapidement retrouvés sans travail. J’avais dû lire en même temps qu’ils avaient eu extrêmement de mal à se réadapter. La plupart était devenus alcooliques ou pistoléros.
Pour moi, l’arrivée du train, c’est le début de l’air moderne. Avec le train, arrive la civilisation, la loi. Avec le train, les cow-boys deviennent le symbole de l’archaïsme, d’un monde ancien que l’on veut oublier et on s’est dit avec Paul que ce serait intéressant de faire l’histoire à partir de là.
Comment appréhendez-vous la réalisation de l’album ? Le scénario évolue-t-il dans le temps, au fur et à mesure de la conception de la bd et est-ce que vos méthodes de travail ont évolués en 15 ans de collaboration ?
PG : On est à la fois dans la même manière de travailler et puis ça a évolué quand même. Quand on a commencé à bosser ensemble, moi j’apprenais le dessin et Jérôme, par exemple, me storyboardisait tout pour que je n’ai pas à réfléchir à des problèmes de mise en scène et que je m’améliore en dessin. Et , très vite, ça a changé. Sur cet album-là, Jérôme m’a parlé il y a très longtemps du scénar. On a beaucoup discuté avant de se lancer dedans.
JF : Ce n’est pas un qui écrit et l’autre dessine. J’appelle pendant la réflexion du scénario, notamment quand j’ai des doutes. Paul me dit, par exemple, j’aimerai bien dessiner ça plutôt que ce tu proposes. Pour nous le scénario, c’est vraiment un outil de travail qui va être remanié tout au long de l’album. C’est un outil de communication et pas du tout un objet arrêté. Nous, ce qui compte, c’est les personnages, donc on les connaît par cœur. L’histoire a un peu bougé mais pas les personnages. Il y a une logique dans le récit. Quelques fois, il y a des scènes qui vont marcher au scénario et pas du tout au dessin. De toutes les façons où Paul ne le sent, on modifie le scénario en cherchant à deux.
C’est un album très rythmé et on le dévore car on a hâte d’en connaître le dénouement sans forcément s’attarder sur le dessin que l’on (re)découvrira à la deuxième lecture.
PG : C’est un beau compliment car c’était l’effet voulu. Je ne cherche jamais à mettre le dessin en avant. Le dessin doit épouser le scénar, il faut que ça soit agréable à regarder mais il ne faut que ça sorte le lecteur de l’histoire.
JF : En fait, Paul est extrêmement modeste dans son dessin car à aucun moment, il va profiter du scénario pour se mettre en avant. Là où il va mettre son talent au service de l’album, c’est dans le jeu des acteurs. On s’était quasi interdit les cadrages compliqués dans cet album-là.
Par contre, comme Paul ne montre pas son talent dans les scènes d’effets spéciaux, il va travailler au millimètre les expressions et les jeux d’acteurs des personnages. Je pense que la grande force de ce livre, c’est que les personnages ne sur-jouent jamais !
A propos du dessin, quels sont vos techniques de travail ?
PG : Storyboard, crayonné, nettoyage, encrage et couleurs. La formule classique sauf que pour cet album-là, tout a été fait par ordinateur, de A à Z. J’ai particulièrement travaillé de telle manière à ce que l’aspect numérique ne se voit le moins possible ! Je tenais pas à ce que, lorsqu’on ouvre cet album, on dise « ah, philtre Photoshop ». Cela fait 15 ans que je « tripote » Photoshop et on se connait bien maintenant.
Réaliser des planches sur feuilles de dessin, à l’ancienne ne vous titille pas ?
PG : Je m’y remets au traditionnel sur le prochain album, crayonné, encrage. Par contre, je vais continuer à utiliser l’ordinateur pour les phases préparatoires parce que ce serait bête de s’en passer. Il faut dire que c’est très difficile de se remettre au papier après 3 ans de pur ordinateur passés sur « Jusqu’au dernier ». Il est clair que l’on s’habitue au petit bouton en haut à gauche qui permet d’annuler. Mais, je sais que je suis allé au bout de ce que je pouvais supporter de l’ordinateur. Il a ses avantages mais aussi ses gros inconvénients, c’est que dès l’instant où l’on veut avoir un rendu que cela que l’on vient de faire, il faut imprimer sur une feuille. Sur écran, on n’a la notion de rien, même au niveau des couleurs ! Les couleurs sont toujours plus vives que ce que l’on va avoir sur du papier. JF : Il ya aussi une raison économique car Paul a passé 3 ans à dessiner l’album. Vous imaginez bien qu’économiquement, c’est catastrophique. Et là finalement, le retour au papier va permettre à Paul de vendre des originaux. En fait, maintenant c’est juste une manière de se donner du temps pour pouvoir réaliser un album à l’ancienne.
Pour pouvoir vivre un peu correctement…
PG : On ne peut plus faire un tel degré de qualité.
JF : On a tous été marqués par la déclaration de François Schuiten qui a dit qu’il n’avait plus les moyens de faire un album comme il le veut, de prendre son temps. Il faut savoir que Paul est dans cette école-là, il veut prendre du temps pour faire un bel album et si Schuiten n’y arrive pas, vous imaginez bien que nous, nous n’avons pas le lectorat de François Schuiten. Et donc, c’est quasiment impossible aujourd’hui. Il faut absolument générer de nouveaux revenus et c’est vrai que la vente d’originaux ne va pas permettre de devenir riche mais donner du temps. Mais actuellement, y-a-t’il encore un lectorat pour ce genre d’albums et là d’autant plus qu’on les a habitués depuis quelques temps avec un dessin plus rapide, plus jeté. On a fait un album à l’ancienne pour lequel on est très fier, on l’assume.
Les enfants Benett et Tom sont craquants, chacun à leur manière, les adultes féroces hormis l’institutrice, ces contrastes sont-ils volontairement renforcés tant dans le scénario que dans le dessin ?
PG : Oui, ça été pensé… Tous les contrastes de comportement entre les adultes et les enfants ont vraiment été réfléchis. On en a beaucoup discuté avec Jérôme et au dessin, j’ai voulu faire le contraste : les adultes sont burinés et finalement beaucoup plus faciles à dessiner que les enfants qui ont un visage lisse.
Vous avez réussi un fort bel album assurément promis à un bel avenir, en avez-vous pris conscience ?
On a pris conscience qu’on a fait un bel album longtemps avant sa sortie quand on a éveillé auprès des pros, par nos parutions sur le net, d’un réel engouement, ce qui nous a fait extrêmement plaisir. Le western vit un regain d’intérêt avec des bons trucs, quand on voit Undertaker, le Lucky Luke de Mathieu Bonhomme qui est une tuerie absolue et nous, on arrive, première tentative dans le western et direct, on est mis en parallèle de ses titres et ça fait super plaisir.
Après une belle trilogie maritime, l'auteur complet Riff Reb's s'attaque avec talent à l'adaptation d'un nouveau chef d’œuvre de Jack London, "Le vagabond des étoiles" qui s'impose à la fois comme un procès contre l'univers carcéral et un hommage à la puissance de l'imaginaire. L’interviewer à l'occasion de la sortie du 1er tome de ce diptyque était l'occasion de découvrir les arcanes de cette belle adaptation.
J’apprécie beaucoup ce que vous faites et ce, depuis fort longtemps et là, j’ai trouvé qu’avec cet album, une rupture avec ce que vous faites habituellement.
Alors, à la fois une rupture et une continuité, je veux dire, c’est une adaptation littéraire et pour moi c’était l’essentiel. Sur les 3 albums précédents, c’était du maritime mais pour moi, je n’y vois pas le côté maritime, j’y vois l’aspect…
Ma notion de rupture justement, c’était sur le côté maritime…
Oui, oui, je comprends mais c’est pour ça qu’on en parle. C'est-à-dire qu’en fait, je n’ai pas choisi la mer comme sujet, j’ai choisi un roman de Mac Orlanqui parlait de la mer et je me suis retrouvé en mer, mais je savais très bien que c’était une histoire de pirates. Mais seulement, j’y voyais tellement, pour revenir aux origines, dans le roman de Mac Orlan, la situation d’un marin, à cette époque là, équivaut à celle d’un pauvre gars paumé dans ses tranchées. La mauvaise nourriture, la mort qui peut arriver du dessus, du dessous où ça peut même être un copain qui, comme sur le bateau, qui vient vous trucider, la mauvaise bouffe, le manque de femmes, de sa mère ou de sa fille… C’est cette forme-là qui me plait, la poésie de Mac Orlan. Cette littérature là, elle se passe en mer mais elle pourrait se passer au fond d’une tranchée, ou près d’un feu, peu importe ! Ce qu’il dit de l’homme n’a pas de contexte, c’est de l’humanité. En gros pour résumer un peu pour les gens, le personnage principal enfermé, à cause des supplices, pour des raisons qu’il faudra lire, s’abstrait de son corps et devient pur esprit sans trop savoir ce que sait, ni moi, ni London.
Alors, est-ce que votre choix d’adapter librement « Le vagabond des étoiles » de Jack London, n’a pas été guidé par votre peur d’être classé « peintre de la marine » ?
Il y a de ça ! En vérité, je voulais faire un western mais je n’ai pas eu les droits. Il s’agissait des frères sisters . Un certain Jacques Audiard les as eu après moi enfin, après que moi, on me les ait refusé. Mais je voulais sortir de ces grands espaces maritimes pour de grands espaces terrestres. Ce qu’il faut savoir, c’est que le « vagabond des étoiles », j’ai envie de l’adapter depuis que je l’ai lu. Et je l’ai lu, j’avais 29 ans ! Maintenant, bientôt 59. Donc, cela fait trente ans que cette histoire me poursuis, m’habite ! En tout cas, je vis avec ou au moins à côté. Et au moment où j’ai fait « Le loup des mers », je voulais faire « Le vagabond des étoiles » et devant la complexité du récit, devant la complexité de ce que je vivais personnellement, c’était très difficile. Et puis, très déstructuré, très complexe, je n’arrivai pas à me concentrer sur ce récit-là, sur le travail en soi. Et, quand je travaille sur un auteur, j’enquête, qu’est-ce qu’il a écrit d’autres. Quelles sont ses influences, enfin, qu’elle était ses goûts, pourquoi cet attirance sur tel philosophe, etc... Et j’ai repris « le vagabond des étoiles, sur lequel j’ai mis des couches, tous les dix ans ou presque, de travail et d’abandon et je m’y suis une dernière fois en me disant là, je vais essayer de l’adapter, vraiment, pousser loin mon travail pour pouvoir le faire lire et qu’on me dise, avant même que le livre existe, la qualité de la chose. Je me suis dit, « je casse la figure à ce truc qui me suit, qui finit par me peser, que je m’en débarrasse. Soit, j’y arrive, dans le sens où l’on m’encourage à le faire en me disant que l’adaptation est bonne. Et dans ce cas là, j’en serai débarrassé ou soit, on me dit non que ce n’est pas bon et là, j’oublie, c’est fini, je range ça dans mes étagères.
Il aurait sûrement été difficile de l’oublier…
Oui, mais bon, je me serai fait une raison officielle. Et donc, j’ai fais l’adaptation en deux volumes, story-board, tous les textes, tout dessiné, assez poussé et j’ai donc pu le faire lire à ma compagne Edith, auteure et ma directrice d’édition, en disant, voilà, vous avez chacune une copie des deux volumes, lisez, dites-moi si ça le fait ou pas. Si ça ne va pas, allumez-moi les filles, je ne vous demande pas de l’amour.
En fait, c’est que l’on attend d’un éditeur…
J’ai eu une jolie exposition à Strasbulles fin mai ou j’ai eu le bonheur de faire la visite de l’expo en compagnie de Jean-Claude Mézières, auteur de Valérian. Et cet homme-là est sans pitié, mais c’est un bonheur puisqu’on était entre deux professionnels et moi je le vois comme un maître, je lisais quand j’avais 8 ans, dans Pilote et là me retrouver à côté de lui, c’était déjà inimaginable dans ma jeunesse. « Riff, si tu veux des compliments, demande à ta grand-mère, moi, je vais te dire que là ton dessin ça ne va pas », très bien ! « Et, je ne te vexe pas », très bien, je suis comme toi, je suis honnête. Des gens me trouvent dur mais on ne peut pas progresser dans les compliments, on ne progresse que dans la difficulté.
Comment avez-vous abordé l’adaptation ? Est-ce que ça été plus difficile de faire des coupes sombres dans le roman tout en gardant la substantifique moelle que pour d’autres adaptations ?
C’est pour cela que j’ai abandonné plein de fois, j’ai évoqué ça depuis un moment… « Le vagabond des étoiles », c’est une histoire à tiroirs ! I y a une vie qui nous en débouche sur une infinité. On en aura que des extraits, mais c’est beaucoup de documentation : quand un gamin embarqué par les vikings dans un décor de vikings, quand ce gamin s’échappe dans une tribu suisse finalement, il se fait embaucher chez les romains, il finit officier de la cavalerie, auxiliaire avec Pilate, au moment de la crucification de Jésus, il faut que je dessine tout ça et un passage à Rome, entre deux, comme si c’était facile. C’est un livre qui occasionne tellement de choses. Évidemment, il est enfermé et il fallait que je trouve le moyen de transposer graphiquement ses élucubrations. Il est ingénieur agronome, il essaie donc de construire la machine idéale pour pomper l’eau. Donc, il cogite ça et il faut que je représente ces choses-là et c’est difficile par la bande dessinée. Il se rappelle sa jeunesse, son crime mais aussi, il y a des autres prisonniers avec qui ils communiquent en espèce de morse. Comme je fais un morse en bande dessinée sans que ce soit comique ? Et d’autre part, j’avais peur que le lecteur se retrouve claustrophobe, à force d’être enfermé. C’est l’histoire d’un homme en camisole de force en cellule d’isolement, on ne peut pas faire moins dynamique et je suis un dessinateur d’énergie et de dynamisme. Et là, je me suis trouvé dans la position contraire à mes facilités.
Du coup, il y a eu ces changements de rythme…
D’où l’enjeu de la narration, de garder le lecteur avec lui, de le tenir, de le secouer, de lui donner du rythme, de le reposer, de l’énerver…
C’est aussi l’importance des couleurs, différentes pour marquer des périodes
C’est un système que j’ai abordé dans ma trilogie maritime, c’était pour le Mac Orlan dont j’ai parlé au début… La rupture de couleurs permet de se retrouver ailleurs, à un autre temps sans avoir ces petitesses classiques de la bd ancienne qui existe toujours d’ailleurs. Le code couleurs est un soutien absolu à ma narration.
Comment travaillez-vous avec votre éditrice ? Intervient-il dans le processus de création et si oui, à quels stades ?
J’ai la meilleure éditrice du monde ! Je ne connais pas toutes les éditrices du monde mais en tout cas, je n’ai jamais eu dans ma vie une si bonne expérience de travail qu’avec Clotilde Vu, ma directrice d’édition. Elle nous lit, nous donne un retour de sa lecture, pas forcément celui qu’on espère. On est suivis, on sait qu’on existe et qu’on n’est pas juste là pour se faire payer. L’autre chose, c’est qu’elle a une très forte éducation visuelle, elle a un œil très bon pour la maquette, le choix des typos, des couleurs… Elle a de la culture et c’est très agréable d’échanger un certain niveau de qualité. On est défendus auprès du patron, ce qui est extrêmement rare dans la profession…
Le retour de la presse est plutôt dithyrambique sur cet album…
Paradoxalement, je crois que je n’ai jamais été aussi frileux que pour la sortie de ce livre, aussi mal à l’aise pendant la fabrication, aussi peu sûr de moi car il a fallu que je sorte de ma zone de confort.
Interview réalisé 25 octobre 2019 dans le cadre du festival BD de Saint-Malo, Quai des Bulles.
Dans le cadre du festival Blues sur Seine, l'association Bulles de Mantes, avec la collaboration des éditions SHOGAKURAN et GLENAT est heureuse de présenter une exposition consacrée au manga BLUE GIANT, nominé pour le prix de la bande dessinée aux couleurs du blues 2019.
Cette exposition présente une vingtaine de reproductions du BLUE GIANT T1, série consacrée au jazz et plus particulièrement au saxophone.
Dai est un jeune adolescent qui vit avec son père et sa sœur, partageant sa vie entre ses cours de terminale et deux passions, le basket et le jazz, avec une prédilection toute particulière pour le saxophone.
Petit à petit le saxo va envahir sa vie, au point de l'entraîner tous les jours dans la nature. Car qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il fasse chaud, au risque d'abîmer son instrument, Dai n’a plus qu’un objectif dans la vie, celui de devenir un grand saxophoniste. Admiratif des grands du jazz, c’est décidé, c’est à eux qu’il ressemblera et il sera même plus fort !
Seulement Dai ne sait pas lire une partition et c’est à l’oreille qu’il entreprend de reproduire tous les standards du jazz des années 50, en s'entraînant dur tous les soirs. A cela s’ajoute le fait que personne ne l’a encore écouté jouer, et le doute commence à s’installer gentiment : saura-t-il réussir ?
Vernissage-concert avec Xavier SAUPIN le vendredi 8 novembre 2019 à 19h30, 18 rue Gassicourt à Mantes-la-Jolie
Exposition du 8 au 24 novembre 2019
Du lundi au vendredi de 8h45 à 22h30 et le samedi 9h30 à 12h30
En 1941, le peintre Chaïm Soutine et sa compagne Marie-Berthe Aurenche fuient Paris et les rafles de Juifs pour se cacher dans le village de Champigny-sur-Veude. Durant les deux années de ce séjour assez productif pour Soutine, l’artiste un peu misanthrope et un jeune gamin du village s’apprivoisent mutuellement, et leur rencontre donne naissance à un tableau. Mais l’état de santé du peintre décline.
Le scénariste Fabien Grolleau a pris le contrepied de l’image qui est souvent restée de Soutine, celle d’un rustre plutôt introverti et caractériel, en faisant découvrir au lecteur un personnage plus complexe qu’il n’y parait. Le récit brosse habilement le portrait d’un homme qui s’isole, terrassé par les douleurs dues à sa maladie, habité par le doute, alternant périodes de ferveur créatrice et épisodes de crise, entouré par les quelques proches dont il consent à s’entourer. Avec habileté Fabien Grolleau replace les événements racontés dans leur contexte historique et dans celui de la vie de Soutine.
Au dessin exécuté d’un trait un peu charbonneux, Joël Legars s’est emparé du personnage avec une tendresse certaine qui transparait dans son style un peu jeté, évoquant la fugacité des instants ou la discrétion de l’homme, tout en lui donnant une vraie consistance. Il apporte avec talent une grande fluidité au récit.
L’ensemble est parfaitement cohérent et permet au lecteur de découvrir, avec un intérêt qui ne faiblit à aucun moment, les facettes ignorées d’un artiste tout aussi attachant que pas assez connu.
Un roman graphique très réussi, à lire sans attendre.
Interview réalisé au cours du festival Quai des Bulles le 26 octobre 2019.
Bonjour Joël Legars, je suis ravi de vous rencontrer et de discuter avec vous au sujet de votre nouvel album tout fraichement paru, L’écolier en bleu, Chaïm Soutine. Dans la postface de votre album, il est dit que vous appréciez particulièrement Chaïm Soutine. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire un album à son sujet, et en particulier sur son séjour à Champigny-sur-Veude ?
On voulait réaliser quelque chose ensemble Fabien Grolleau et moi, et il m’avait suggéré différents projets. Je lui ai proposé de travailler sur la vie de Soutine : c’était un peintre que j’appréciais beaucoup depuis mon adolescence, et chaque fois que je lisais des écrits sur lui et en voyant des documentaires j’étais toujours épaté par sa vie tumultueuse et par son caractère entier, par l’homme, car c’est quelqu’un qui me touche du fait qu’il a une histoire assez difficile, qu’il vient d’un milieu très pauvre : il a grandi dans un shtetl, une petite communauté juive en Biélorussie, et j’admire tout le parcours qu’il a eu de la fin de son adolescence à ses derniers jours pour s’intégrer et pour se protéger, son parcours très intègre avec sa volonté d’avoir une écriture picturale personnelle.
Il n’a jamais voulu se laisser influencer par les courants et par ses confrères artistes…
Oui parce qu’il avait quand même des amis prestigieux : il a partagé l’atelier de Modigliani plusieurs années jusqu’à la mort de celui-ci, il l’a donc beaucoup côtoyé et ils ont beaucoup bu et fait les 400 coups ensemble; il a côtoyé aussi Picasso, enfin beaucoup d’artistes qui ont fait l’histoire de l’art occidental. Cela me questionnait car ce n’est pas le plus connu des peintres dans l’histoire de l’art : même si sa côte atteint aujourd’hui des sommets et qu’il est internationalement connu, il ne touche pas autant de public en France que d’autres courants, impressionnisme, cubisme, surréalisme etc. Cela reste un mystère pour moi, que comparé à ces derniers Soutine reste en France un peu au second plan. C’était donc l’occasion d’aller plus loin, en travaillant avec Fabien sur le scénario, en allant sur place dans le village de Champigny-sur-Veude pour mieux connaitre les détails de sa vie, et c’est une nouvelle personne qui s’est révélée à moi.
A titre personnel, qu’appréciez-vous en lui, en quoi vous a-t-il marqué ?
Ce que j’aime le plus de lui ce sont ses portraits. J’aime aussi certains paysages tourmentés, déformés, dans lesquels il y a une certaine énergie, mais ce sont surtout ses portraits…
Des portraits qui montrent un peu l’âme des personnages…
Oui c’est exactement cela, au point qu’il vieillit les personnages et qu’il lui est arrivé que des jeunes modèles en soient choqués et s’en plaignent, mais on s’aperçoit après que le temps ait passé que ces jeunes personnes une fois devenues plus âgées se mettent à ressembler au portrait qu’il avait fait d’elles naguère : il a réussi à trouver l’essence des personnages, et c’est cela que j’aime dans ses portraits. Et puis graphiquement ou picturalement j’aime son style jeté, un peu expressionniste, et son humour qui finalement transparait dans les portraits, quelque chose de beau et terrible à la fois, de tragique aussi.
Vous avez insisté sur sa maladie, sur son ulcère qui le rongeait et les souffrances qu’il endurait, et d’autre part vous avez décrit ses crises de rage incontrôlées : avez-vous voulu faire un lien entre ces deux facettes de son personnage ?
Je pense que c’est peut-être un peu lié, mais qu’en même temps il devait y avoir un terrain favorable, quelque chose venant de plus loin dans son caractère. Reconnaissons que nous-mêmes lorsqu’on est malade on est plus vite irrité, alors lorsque cela s’ajoute à une propension naturelle… Car il souffrait vraiment beaucoup, il avait des crises qui l’anéantissaient et il pouvait rester des mois sans être capable de travailler tant la douleur l’envahissait : il restait à l’ombre, les rideaux fermés, dormant tout habillé… Il devait tout de même avoir un caractère entier à la base et il y avait beaucoup de choses qu’il ne supportait pas, les demi-mesures, il était un peu excessif, un peu caractériel. Il n’a jamais accepté par exemple qu’on le regarde peindre.
Tout à fait, et je me demandais aussi justement si vous étiez un peu comme lui sur ce point ?
Un petit peu (rire). Bon pas vraiment car je travaille en atelier et on peut me regarder quand même, mais je n’aime pas trop quand on reste derrière moi. Bien sûr je ne vais pas m’énerver, je reste courtois (rire).
Avez-vous essayé de faire ressortir « l’âme » de Soutine, celle qui transparait dans ses tableaux, dans le dessin et dans les couleurs ?
Pas tant que ça, j’ai plutôt voulu me mettre dans la position d’un observateur extérieur qui s’approcherait de lui, pour montrer le côté attachant du personnage. D’un point de vue pictural je n’ai pas du tout voulu rentrer dans sa façon de peindre.
C’est donc ce côté attachant qui est l’éclairage que vous avez voulu donner sur lui ?
Oui il y a beaucoup de légendes sur lui. On a dit bien souvent qu’il était laid, qu’il était grossier, qu’il était inculte. Mais au contraire j’ai lu certains documents qui révèlent qu’il avait du charisme et que non, il n’était pas laid. Il avait un caractère introverti, et comme il venait d’une culture très différente et qu’il avait eu un peu de mal à bien parler le français il pouvait sembler rustre.
La postface de l’album veut en quelque sorte réhabiliter Marie-Berthe Aurenche, est-ce une des intentions premières de l’album ?
Exactement, cela en fait partie, parce qu’il y a eu beaucoup de choses plutôt dures sur elle qui souvent ont été répétées de manière un peu paresseuse par les journalistes et les historiens, qui reprenaient ce que quelqu’un avait déjà dit sans en avoir jamais vérifié la véracité. Nous avons voulu faire notre enquête de façon plus approfondie. C’était vraiment quelqu’un d’intéressant, qui avait été la femme de Max Ernst. Elle était la muse un peu noire, elle avait son petit caractère, elle était fantasque, et très parisienne, coquette, mais je ne pense pas qu’elle ait été puérile
comme on l’a décrite. On la taxe un peu de stupidité ou de légèreté mais je ne le crois pas, je pense qu’elle était sincèrement attachée à Soutine et qu’elle l’aimait, on le voit dans ses lettres. Soutine était vraiment l’homme qu’elle avait aimé dans sa vie. Elle s’est suicidée en 1960, et peut-être était-ce lié à Soutine ? Elle n’était plus la même après les années qu’elle avait partagées avec lui, elle a commencé à décliner après la mort de Soutine. Je crois qu’elle était vraiment attachée à lui et que si elle était maladroite dans sa façon de gérer certaines situations, je ne pense pas que ce soit quelqu’un de foncièrement intéressée, au contraire elle était assez fine et intelligente. Soutine ne serait pas resté avec elle sinon.
Qu’avez-vous voulu montrer dans la relation entre Soutine et le petit Marcel ?
C’est intéressant parce-que on sait que Soutine a de plus en plus voulu au fur et à mesure des années dessiner des êtres vivants alors qu’à ses débuts il représentait plutôt des natures mortes : des carcasses d’animaux comme son Bœuf écorché, des repas, ce qu’il mangeait ou même ce qu’il ne pouvait pas manger tellement il était démuni. C’étaient les débuts de sa vie d’artiste, mais plus tard dans les dernières années de sa vie, peut-être du fait de sa relation avec Marie-Berthe Aurenche, et avant elle avec Garda sa précédente compagne, il en est davantage arrivé à représenter la vie ; et l’enfant, je pense que lorsqu’il l’a peint c’était pour lui une sorte de retour à la vie, même s’il était très malade.
J’ai relevé dans deux vignettes de la page 72 un air de ressemblance entre le petit Marcel et Soutine...
Oui c’est vrai.
Je me suis demandé si inconsciemment vous avez voulu montrer que Soutine se projetait dans le petit garçon ?
Effectivement c’est peut-être lui, Soutine, qui se projetait le plus en fait. Dans l’album l’enfant est en admiration devant Soutine, même s’il le craint un peu, il est attiré par sa vie, par le personnage, par son art. Dans la vie Marcel s’est ensuite marié avec une personne fortunée et il n’a travaillé que deux jours dans son existence, et il est resté toute sa vie à attendre au bord du chemin sans rien faire, vêtu d’un gros pull. J’en ai discuté avec un historien qui l’a connu comme cela, et qui, lorsqu’il est arrivé à Champigny, a loué une des maisons de Marcel. C’est ainsi qu’ils se sont rencontrés et que Marcel lui a raconté plein de petites histoires sur Soutine.
Hasard des calendriers, la romancière et essayiste Géraldine Jeffroy a fait paraitre Soutine et l’écolier bleu au début 2019, l’avez-vous lu y voyez-vous une complémentarité entre votre œuvre et la sienne ?
Elle nous l’a envoyé mais je n’ai pas encore eu le temps de le lire, je vais maintenant pouvoir le faire et j’imagine qu’on va certainement retrouver des points dans nos deux ouvrages, car elle parle vraiment de la même période.
Votre album n’est pas une biographie de Soutine, même si vous évoquez habilement sa vie par l’histoire qu’il raconte lors du repas de Noël et parallèlement par l’enquête menée sur lui par la police de Vichy. Vous avez fait une fiction biographique, en quoi avez-vous pris des libertés avec la réalité ?
Oui mais si nous avons pris des libertés c’est seulement dans les liens entre les situations, car tous les événements que nous avons évoqués se sont réellement produits. Il y a quelques personnages qu’on a pu rajouter, d’autres qu’on n’a pas mis, des petites situations de pique-nique… mais globalement on a gardé une trame assez réelle.
Comment travaillez-vous avec Fabien Grolleau ? Y-a-t-il de nombreux allers-retours ? Intervenez-vous beaucoup ?
On a déjà beaucoup discuté avant, et de mon envie de travailler sur ce thème. Je lui ai confié des livres que j’avais et il a essayé de trouver un angle. Parce-qu’au fond je ne me voyais pas travailler seul sur Soutine, je ne voyais pas trop comment l’aborder et je me suis dit que quelqu’un d’extérieur aurait certainement un autre angle d’approche, et voilà comment tout a commencé. Je connaissais déjà Fabien depuis quelques années et je connaissais aussi son talent de scénariste. Et ce que j’aime le
plus chez lui c’est son talent de dialoguiste, il sait apporter une touche de vrai, de naturel dans l’histoire. Il m’a proposé de travailler sur la période de Champigny-sur-Veude, après avoir vu sur internet que la veuve du petit Marcel, l’écolier en bleu, vendait la palette que Soutine avait léguée à son mari. A partir de là il a vu qu’il y avait toute une histoire dans ce village, que cette palette avait une histoire, les liens avec le petit garçon, et de fil en aiguille le cheminement du récit est venu.
Quelle technique avez-vous utilisée pour réaliser cet album, et en général?
Une technique très traditionnelle, je travaille sur papier avec une sorte de crayon noir épais assez gras Faber et Castel.
Et pour les couleurs, vous avez donné des indications précises à la coloriste?
Oui il y a eu pas mal de va et vient, car en fait c’est assez difficile de mettre des couleurs sur du crayon gras. Je connaissais déjà Anna Conzatti qui avait réalisé les couleurs d’un album précédent que j’avais fait, une adaptation d’Arsène Lupin, c’était donc plus facile. Elle travaille sur photoshop.
De façon humoristique je vous demanderais dans quel état d’esprit êtes-vous quand vous dessinez ? Ecoutez-vous de la musique ? Vous montrez Soutine au travail dans l’album, comme lui vous jetez-vous sur vos planches dans un état d’excitation frénétique?
Je peux être comme cela lorsque je fais l’encrage, il faut être assez concentré et c’est intense. Par contre, quand je suis dans le dessin et dans la construction je suis plus sage (rire). J’essaie de trouver de l’énergie, c’est pour cela qu’on voit dans certaines pages c’est un peu jeté. C’est le lien qui me relie à sa technique, je voulais que ce soit quelque chose de vivant et d’assez instinctif.
Et quelle a été votre relation avec votre éditrice Elisabeth Haroche ? Est-elle beaucoup intervenue ?
Elle intervient oui, mais elle nous laisse quand même une grande latitude. En fait elle a beaucoup travaillé en amont sur la lecture du scénario, et je pense qu’elle s’était déjà fait une idée de ce que cela allait donner. Je lui envoyais par lot de dix pages et nous en parlions à ce moment-là, et il n’y a pas eu vraiment de choses à refaire, tout s’est passé assez naturellement. Elle avait plutôt des questions sur certains détails : à un moment on voit l’étoile de David, et il y a eu un petit blocage car elle ne savait pas si cela s’était vraiment passé, ou si ça pouvait se passer de cette façon à ce moment là et dans un village comme celui-ci. Et est-ce que le garde champêtre pouvait avoir cette autorité là ? Voilà ce sont plutôt les petits détails historiques sur lesquels on a travaillé.
Quels peintres classiques ou modernes aimez-vous, hormis Soutine?
J’aime bien les peintres de cette époque. Je suis assez figuratif, et quitte à ne pas paraitre à la mode j’aime bien la peinture fin 19e et début 20e, impressionnistes et post impressionnistes, fauvistes, on va dire jusqu’aux années 40, après cela m’intéresse moins, à part des plasticiens qui travaillent sur les affiches.
Les biopics et les fictions biographiques sur les peintres ou les écrivains sont assez à la mode depuis quelques années, vous-même voudriez-vous retravailler sur un peintre ? Si vous deviez choisir librement un sujet aujourd’hui, lequel aimeriez-vous faire ?
Plus sur la littérature. Il y a certains classiques que j’aime, comme Dostoïevski, il faudrait que j’en parle à mon éditeur.
Et vos influences en dessin, quels dessinateurs BD vous ont touché ou inspiré ?
Des choses très différentes de ce que je fais, par exemple des choses très simples, presque minimalistes, ou des gens comme Dupuy et Berbérian, comme Chaland, des gens très lisibles. Il y a longtemps je travaillais comme cela.
Et là votre style a évolué ?
Avec cet album mon style a évolué, et je pense qu’en réalité c’est plus mon dessin naturel. Ce que je faisais avant était plus une construction culturelle, une construction de choses que j’aimais bien, que j’avais lues dans mon enfance, peut-être plus confortables pour moi mais qui ne représentent pas forcément qui je suis. Je suis peut-être graphiquement plus comme dans cet album, plus expressionniste, avec un côté plus charbonneux. En fait je me découvre, j’ai encore des choses à apprendre de moi (rire)… Donc pour moi il est réellement important cet album, parce que j’ai fait un pas, j’ai vraiment changé et je pense que je vais continuer dans ce sens là.
Et vous avez commencé un nouveau projet?
Oui j’ai des esquisses de projet, mais il m’est difficile d’en parler tant qu’ils ne sont pas plus avancés. En fait je n’ai pas terminé Soutine depuis longtemps, il n’est sorti qu’il y a trois jours. Je suis donc sur certaines choses mais rien n’est définitif.
Merci Joël Legars pour ce moment passé ensemble et bravo pour votre album très réussi.