Difficile depuis mardi 24 mars 2020, alors que le papa d’Astérix vient de nous quitter, d’exprimer mes pensées sur cet immense dessinateur qui aura marqué internationalement le monde de la bande dessinée.
Néanmoins, je vais surmonter mon chagrin et mon émotion pour apporter ma contribution aux nombreux témoignages que suscite cette triste disparition.
Tant de souvenirs se bousculent dans ma tête, à commencer par mon apprentissage de la lecture dans les premières aventures d’Astérix… Cependant, ce qui restera gravé dans la mémoire de l’équipe de Bulles de Mantes, ce sont les deux grands moments vécus à ses côtés : d’abord le baptême à Mantes-la-Jolie du groupe scolaire élémentaire Uderzo en décembre 2006, première école à porter son nom en France, ce dont l’association Bulles de Mantes n’est pas peu fière ; puis, en décembre 2011, la pose de plexiglas à l’effigie de ses personnages sur les portes des classes lors du cinquième anniversaire de ce groupe scolaire.
Si vous le permettez, je vais vous faire partager quelques anecdotes qui ont ponctué ces événements majeurs pour la jeune (à cette époque) association Bulles de Mantes.
Cette idée folle a germé dans nos têtes à l’initiative de Philippe Guillaume, alors président de l’association, et des membres de son bureau. Il nous a fallu remuer ciel (avant qu’il ne nous tombe sur la tête, par Toutatis !) et terre pour que le projet se concrétise. Des nombreux échanges téléphoniques pris auprès de l’attachée de presse des éditions Albert René à l’acceptation du Maître Albert, en passant par les contacts très amicaux avec sa fille Sylvie, les négociations furent difficiles. Dans un premier temps, Albert Uderzo pensa qu’on le croyait mort pour avoir pris une telle initiative.
Une fois rassuré sur la légalité de ce baptême, c’est avec émotion et grand plaisir qu’Albert Uderzo accepta.
C’est ainsi que, sur proposition de Bulles de Mantes le conseil municipal de Mantes-la-Jolie, vota à l’unanimité la décision de baptiser au nom d’Albert Uderzo le tout nouveau groupe scolaire élémentaire du quartier des Bords de Seine.
L’inauguration et le baptême du groupe scolaire élémentaire eurent lieu le samedi 2 décembre 2006 (plus d’info sur le site internet de Bulles de Mantes), en sa présence et celle d’Ada, son épouse, ainsi que sa fille Sylvie, son gendre et son petit-fils. Après la découverte de la plaque inaugurale et une visite de l’établissement, c’est très ému et heureux qu’Albert Uderzo a pris la parole en rappelant notamment son attachement à son frère de cœur, René Goscinny.
Il aura fallu l’intervention du gendre d’Uderzo pour me demander si je connaissais un restaurant où il
pourrait, selon ses propos « déjeuner tranquillement, en famille » : j’ai suggéré le restaurant du Domaine de la Corniche de Rolleboise, sans songer un seul instant qu’Albert Uderzo nous demanderait à Philippe et moi-même de les guider jusqu’au restaurant. Alors que nous nous apprêtions à repartir, Albert nous dit : « vous n’allez pas partir comme ça, venez prendre une coupe de champagne avec nous ». Ce moment de convivialité, que je n’aurai jamais imaginé dans mes rêves les plus fous, s’est réalisé : converser avec ce grand Monsieur, monument de la bande dessinée, qui respirait la simplicité. Nous garderons un souvenir ému de cette discussion à bâtons rompus, en compagnie de son épouse, nous racontant leurs débuts difficiles, puis la déferlante du succès du petit Gaulois qui ne s’est jamais démentie. Nous avons découvert un homme humble, discret, avec ce petit œil rieur, pétillant et malicieux qui a enchanté ce moment privilégié dont nous aurions aimé qu’il durât encore et encore, tellement nous étions tombés sous le charme.
Très attaché à ce groupe scolaire qui porte son nom, Albert Uderzo a régulièrement doté la bibliothèque de l’établissement de nombreux albums, et offert aux élèves des différentes classes des billets pour le Parc Astérix.
Samedi 10 décembre 2011, cinq ans quasiment jour pour jour après le baptême du groupe scolaire, nous avons eu le plaisir de revoir le papa d’Astérix pour lui faire découvrir cette fois les onze portes ornées chacune d’un plexiglas à l’effigie de ses héros, d’Astérix à Oumpah-Pah en passant par César…
Et là encore, bien que sa main douloureuse lui rappelait les années qui passent, Albert Uderzo s’est bien volontiers prêté, à quelques signatures sur des albums d’enfants présents. Surtout, il a esquissé sur un tableau de conférence six têtes de ses célèbres personnages, d’Astérix à Idéfix en passant par Obélix, Assurancetourix, César et Panoramix.
En octobre 2018, Albert Uderzo ne pourra malheureusement pas assister pour des raisons de santé à l’inauguration de l’extension du groupe scolaire.
Depuis ces moments magiques, la fidélité du grand homme ne s’est jamais démentie et, en recevant sa carte de vœux annuelle à la mi-janvier 2020, j’étais loin de penser qu’elle serait la dernière…
Au nom de l’association Bulles de Mantes, toutes nos pensées attristées se tournent vers sa famille et ceux qui lui étaient chers.
Dans un futur plus ou moins proche, un virus s’apparentant à une grippe estivale sévit aux les Etats-Unis et n’en finit pas de faire des ravages dans la population. C’en est au point que le gouvernement finit par instaurer une loi martiale, afin de juguler des conflits qui finissent par ressembler à un état de guerre civile. Liam, un jeune papa, finit par s’angoisser car Marie son épouse ne répond pas aux appels, alors qu’elle aurait dû terminer son service aux soins intensifs depuis longtemps. Que se passe-t-il, Marie serait-elle en danger ?
Et comme si cela ne suffisait pas, Liam vient de perdre son travail et c’est un combat de tous les jours que de trouver de la nourriture et des produits de nécessité : les magasins ont été dévalisés par une population repliée sur elle-même et terrorisée par la progression fulgurante du mystérieux virus, et qui malgré les vaccinations n’arrive pas à être endiguée.
A l’heure de la pandémie alarmante du COVID-19, ce premier album d’une série annoncée de six tomes, réalisé par le scénariste et dessinateur Jared Muralt, sort à point nommé en fournissant un récit des plus anxiogènes. Entre les cadavres qui jonchent les rues de son quartier et la charge de la l’armée pour empêcher les pillards de dévaliser le peu de magasins qui recèlent encore quelques menues victuailles, le pauvre papa ne sait plus à quel saint se vouer sinon envisager de fuir ce cloaque, peut-être vers un monde meilleur.
Le trait fin et expressif de Jared Muralt, complété par des couleurs numériques qui confortent le côté angoissant du récit, met remarquablement en valeur une fiction qui devrait intéresser bon nombre de lecteurs.
LA CHUTE MURALT Editions FUTUROPOLIS 72 pages, 15,00 €
Le 6 août 1945 restera gravé dans les mémoires des anciennes générations comme le jour où la face du monde a changé. Hiroshima et Nagasaki, rien que prononcer le nom de ces villes japonaises rappelle l’effroi avec lequel le monde entier a découvert le pouvoir destructeur de la première arme de destruction massive. 75 ans après, à l’heure où les conflits ne cessent de s’intensifier, force est de constater que cette arme nucléaire, possédée par une poignée d’états, aura jusqu’à maintenant permis de ne pas embraser la planète.
Tout ce que vous aurez voulu apprendre sur l’arme atomique est dans ce récit de 450 pages remarquablement scénarisé par Laurent-Frédéric Bollée et Alcante. On saluera le travail phénoménal de recherche historique et de compilation qui permet de retracer la genèse de la bombe, depuis les mines d’uranium du Katanga jusqu’aux déflagrations nippones en passant par tous les pays qui ont été plus ou moins impliqués dans la création de cet engin de la désolation. Des scientifiques aux politiques en passant par les anonymes qui ont servi de cobayes pour étudier les effets sur la santé d’injections de plutonium, les scénaristes ont brossé, de belle manière, l’histoire de la bombe atomique, sans concessions.
Si au premier abord, le lecteur pourra être rebuté à l’idée de lire les 450 pages qui composent l’album, il se passionnera rapidement pour le devenir funeste de l’uranium, traité comme si c’était un personnage du récit, à part entière. Il suivra ainsi toutes les recherches de savants passionnés, mais également, pour certains d’entre eux, épouvantés par l’ampleur que cela prend et les angoisses que leur création va susciter en eux.
La course entre les états à celui qui la possédera le premier apparait fort bien rendue tant par le scénario que par le dessin réaliste et fouillé de Denis Rodier, mis en valeur par ses noirs profonds.
A l’heure des tristes commémorations de l’événement des explosions qui auront tué des centaines de milliers de Japonais, voilà assurément un ouvrage de référence qui devrait faire date, venant de plus apporter sa pierre à un devoir de mémoire indispensable pour tous, jeunes et vieilles générations.
Que rêver de mieux pour Barry, ce chauffeur de bus Chicagoan ? Une jolie petite femme aimante et deux beaux enfants qu’il chérit par-dessous tout, jusqu’au jour où… Son passé le rattrape. De sa carrière professionnelle de guitariste de blues dans le groupe Blues Larry Jackson, il y a bien longtemps qu’il a remisé son instrument dans le grenier. Mais pourquoi alors avoir quitté l’univers de la musique alors qu’il était adulé ? Un dégoût de la musique, de ses ambiances de bar où il se produisait chaque soir, après s’être noyé dans des vapeurs éthyliques ? Peut-être, tout bonnement, une envie de refaire sa vie et de tirer un trait sur cette aventure de music-hall ?
L’auteur Raul Ariño nous plonge rapidement dans une histoire passionnelle et particulièrement glauque où il n’est pas toujours bon que l’on revienne sur votre passé. Si l’on semble comprendre, dès les premières pages, les tenants et aboutissants, le ressort habile du récit réside dans la manière dont ce pauvre Barry va tenter de se dépêtrer de la nasse dans laquelle il surnage alors qu’elle se referme petit à petit sur lui.
Avec un découpage imposant un minimum de cases, l’auteur met singulièrement bien en images cette histoire palpitante qui devrait ravir bon nombre de lecteurs, qu’ils soient mélomanes ou amateurs de thrillers. Si le dessin apparait, à première vue, plutôt minimaliste, il n’en est rien car les cases regorgent de détails embellis de couleurs, tantôt chatoyantes tantôt ternes, au gré du récit.
Assurément une belle réalisation en ce début d’année 2020 !
27 femmes, voilà en tout et pour tout la population d’Hippolyte, une petite ville fantôme située au fin fond de l’Arizona. Mais qui pourrait s’intéresser à cette petite congrégation d’amazones, à la fin du 19ème siècle, alors que ces dernières cherchent avant tout à se fondre dans le paysage ? En fait, des exactions sont commises régulièrement dans leur coin avec notamment des attaques et pillages de diligence non élucidés, qui finiront par éveiller les soupçons d’un enquêteur zélé , et l’amèneront à tenter d’en débusquer les auteurs. Il ne tardera pas à se faire enlever, mais pour leur malheur il sèmera le trouble au sein de la gent féminine qui ne saura que faire de lui. A cela s’ajoute le retour d’une ex-donzelle du groupe qui n’a pour but que de récupérer son magot.
Voilà un tableau bien singulier que dresse la scénariste Clotilde Bruneau, celui de pétroleuses à qui il ne faut pas en conter, et c’est à celle qui sera la plus bravache et qui saura se détacher du groupe.
Grâce à un scénario des plus rythmés, le lecteur se trouvera vite pris dans la spirale de ces jeunes femmes qui ont décidé que les hommes n’avaient aucun intérêt à leurs yeux, qu’elles étaient capables de fomenter des attaques et de les réussir au nez et à la barbe des plus fins limiers du western.
Avec un passé de dessinatrice dans les jeux d’arcanes, Carole Chaland livre là son premier album de bande dessinée avec un dessin dynamique et réaliste, rempli de décors fouillés et de personnages plutôt attachants, le tout rehaussé par des couleurs qu’un bon comics ne renierait pas. Bref, un bon western qui fait fi des conventions à découvrir instamment.
Établie dans une petite ville quelque part en Europe, Juliana Brovic mène une vie bien remplie, entre son métier de médecin généraliste et sa fonction de conseillère municipale, sans parler de s’occuper de sa famille composée de deux enfants et d’un mari. Cette relative sérénité va bientôt voler en éclats avec la déclaration d’une guerre civile. Son village, si tranquille, ne va pas tarder à être envahi par une troupe de légitimistes bien décidée à en découdre pour éradiquer ceux des habitants du village qui ne seraient pas de leur bord. Passés les moments de surprise, de colère et d’incompréhension, il va bien falloir s’adapter pour la jeune médecin, et faire que cet envahissement se passe du mieux possible en ménageant les deux parties.
Voilà le sujet de la guerre civile, rarement traité en bande dessinée, auquel s’est attaqué le scénariste, féru d’histoire, Sylvain Runberg. Sans fioriture ni le moindre misérabilisme, le scénariste s’est attaché avec talent à montrer la guerre civile telle que la vivaient les deux camps : un déchirement peuplé d’incompréhensions. Le récit s’avère fort bien rythmé avec son lot de surprises, entraînant le lecteur dans une histoire des plus dramatiques.
Grâce à une remarquable mise en images par le dessinateur Joan Urgell, le lecteur sera transporté dans un beau décor rupestre qui contraste avec les horreurs de la guerre qui se déroulera sous ses yeux.
A l’heure où l’Europe vacille, les auteurs rappelleront au lecteur que les bruits de bottes ne sont peut-être pas si loin qu’on peut le penser, incitant ce dernier à réfléchir…
Nous sommes en 1951 et Hjalmar Schacht, banquier de son état, s’apprête à revenir à Rome, mais il n’avait pas prévu que son avion de retour d’Inde ferait une escale technique à Tel-Aviv : cela l’obligera à poser le pied en Israël, pays où il n’est pas le bienvenu compte tenu de son passé nazi. Rassuré de ne finalement pas y avoir été arrêté, il croit souffler mais c’était sans compter sur un agent du Mossad qui l’enjoint à révéler des faits dont il aurait omis de parler au procès de Nuremberg. Que faire, sinon se plier à ses questions et se découvrir…
C’est par cette astuce scénaristique que le tandem d’auteurs Pierre Boisserie et Philippe Guillaume entame de fort belle manière lediptyque qui va narrer la vie peu ordinaire d’un surdoué de la finance. Tout d’abord à la tête de la Reichsbank, cet argentier aura trouvé les ressources intellectuelles et financières pour sauver une Allemagne au bord du gouffre, souffrant d’une inflation galopante. Puis, au fil de ce premier opus, le lecteur se trouvera transporté dans les méandres du pouvoir des années 30 où Hjalmar Schacht ne tardera pas à être reconnu par le Führer pour ses talents d’économiste. Avec des dialogues fournis et un découpage dynamique, les coscénaristes réalisent un premier tome intéressant, remarquablement mis en valeur par le dessin réaliste de Cyrille Ternon qui colle parfaitement au récit.
Voilà une excellente mise en scène et en images de la vraie vie d’Hjalmar Schacht qui devrait assurément intéresser bon nombre de lecteurs, férus d’histoire ou pas. Elle aura également le mérite de revenir sur cette période trouble de notre histoire et d’apporter une indispensable pierre à l’édifice du devoir de mémoire, qui aurait tendance, de nos jours, à être particulièrement bafoué.
LE BANQUIER DU REICH T1 BOISSERIE/GUILLAUME/TERNON Collection 24X32 Editions GLENAT 56 pages, 14,50 €
Retrouver Fred Vignaux, après la réalisation du tome 37 de Thorgal, L’ermite de Skellingar, son premier album de cette série mythique et alors qu’il travaille sur le tome 38, était l’occasion de faire le point, de recueillir ses impressions sur cette collaboration à 4, tout d’abord Grzegorz Rosinski le créateur, Yann le nouveau scénariste et le coloriste Gaétan Georges.
Alors, selon vous, avec L’ermite de Skellingar, le scénariste Yann vous a-t-il proposé un album de scénariste, avec beaucoup de cases ou un album, laissant la part belle au dessin ?En fait, c’est un petit peu les deux choses. La première partie est un peu plus dense, et la seconde partie, au moment où Thorgal commence à aborder les rivages de Skellingar, c’est beaucoup plus des paysages, c’est beaucoup plus lent, plus contemplatif. Comme disait Van Hamme à Rosinski, « cet album c’est un album de scénariste, cet album c’est un album de dessinateur », Là, il m’a fait quelque chose, justement, qui est pas mal, qui propose les deux choses. Le début est un petit peu plus verbeux parce qu’il faut présenter l’histoire.
Je l’ai vu également dans d’autres articles, que le scénariste Yann t’avais un peu testé dans le Kriss de Valnor en te présentant plusieurs scénarios, plusieurs pistes et que tu avais choisi des pistes, qui du coup pour cet album, lui ont permis d’aller dans ce qui te ressemble le plus.Oui, c’est exactement ça, Parce que c’était une première collaboration, il est assez malin, c’était une façon habile de tester mes goûts pour l’avenir de notre collaboration. Il a fait une trame principale et un certain moment il a proposé des scènes alternatives et Moi, je ne sais pas pourquoi, j’ai choisi plutôt ces scènes alternatives. Il a remodelé le scénario, et c’est quelque chose au final qui me ravit. Du coup, sur celui qu’on est en train de faire, il a fait mouche tout de suite. C’est une façon très, très maline de cerner un petit peu ses collaborateurs.
Les allers et retours s’effectuent de quelle manière ? Il t’envoie plusieurs pages, comment ça se passe ?Pas beaucoup d’allers et retours, mais un gros aller au restaurant. On parle de ce que l’on veut raconter, de nos différentes envies et lui ensuite, il rédige un gros chemin de fer. Et à partir de là, on voit si c’est vraiment ce que l’on peut raconter. Il y a encore un petit aller retour de remarque, et une fois qu’on est d’accord sur ce chemin de faire, il fait toute la partie technique du synopsis et du découpage, en cases, page, dialogue.
Est-ce qu’il y a une intervention de l’éditeur ?L’éditeur intervient à deux moments : au niveau du chemin de fer pour voir s’il y a une cohérence, c’est du Thorgal et c’est une chose qui est attendue par les lecteurs. Il y a donc un véritable enjeu et c’est normal que l’éditeur ait son mot à dire. Et après, une fois que l’on a fait le story board.
À l’étape du découpage, pas forcément trop mais c’est vraiment au niveau du story board que je donne une 1ère fois à Yann pour s’assurer que l’on va bien raconter la même chose, si nous sommes bien raccord, lui avec le scénario, moi avec le dessin. À partir de ce moment-là, je la diffuse à tout le monde à Grzegorz, Piotr et à l’éditeur. Et là, si quelqu’un a quelque chose à dire à ce moment-là, on rectifie, on réajuste. Mais après, je me lance dans la partie dessin.
Est-ce que là, tu as été obligé de réajuster ?Là, j’en suis encore à cette partie-là j’ai fait une dizaine de planches et je viens de boucler intégralement le story board, pour le prochain tome.
Et pour ce tome déjà paru ?Pour le précédent, on n’a pas eu trop de soucis, on s’est aventuré et on a fait mouche d’entrée, on n’a pas eu trop de remarques.
Et pour le dessin ?Alors, le dessin puisqu’on aborde cette partie-là, j’ai fait ça en deux parties, j’ai fait d’abord une vingtaine de planches. Je suis allé chez Grzegorz, en Suisse. Il m’a fait part de ses remarques, il a redessiné dessus sur certains endroits. Et moi, je suis revenu chez moi, j’ai modifié en fonction de la manière dont j’ai interprété ses remarques afin que je le fasse à ma façon. Pour la deuxième partie, j’y suis allé en mai juin où on a mis le point final à l’album, tout en discutant, en corrigeant.
Finalement, y a-t-il beaucoup d’appréhension dans le train lorsqu’on rend chez Rosinski ?Je pense que pour un dessinateur, on met un an pour faire un album pareil, on ne peut pas vivre tous les jours avec de l’appréhension. Donc je pense que, rétrospectivement, il y a un peu d’appréhension sur les premières pages pour savoir si j’étais bien dans le ton. Je sortais de Kris de Valnor et il fallait que je réajuste un petit peu le trait, mais pas tant que ça. Pour les premières planches, il y a eu un petit flottement mais ça été très passager.
Alors, j’ai fait un petit sondage auprès des gens que je connais qui sont amoureux de la série Thorgal et franchement ils ont trouvé que cette album était excellent tant au niveau scénario que du dessin.Ah bah, c’est super !
Le scénario est fluide, il y a, à la fois une continuité dans la série et à la fois, un style nouveau. Pout les lecteurs de la 1ère génération, ils se retrouvent assurément plus dans celui-ci plutôt que dans les cinq, six derniers albums.Alors, la petite anecdote amusante, c’est quand je faisais le Thorgal et que j’étais encore sur les dédicaces de Kris de Valnor, justement par rapport à cette appréhension, je sentais que les gens avaient envie de me demander quelque chose. Alors, je levais mon regard et immanquablement, les gens me demandaient : « alors, qu’est-ce que ça fait de reprendre un Thorgal, vous n’avez pas d’appréhension ? ». Je répondais alors que quand je suis chez moi, tout va très bien mais c’est quand je vous rencontre que je me demande s’il ne faudrait pas que j’ai un petit peu d’appréhension.
Je suppose que bon nombre de journalistes t’ont posé le même genre de question. Maintenant, ce qui est rassurant, c’est que l’on soit venu te chercher.Psychologiquement, il y a une certaine légitimité. Logiquement, c’est plus facile à appréhender même si jamais rien n’est acquis ! Il faut gagner ses galons ! J’ai un dessin, comme celui de Grzegorz, qui est tributaire de mes états d’âme, de mon humeur. J’ai un dessin qui n’est pas figé et qui peut donc fluctuer en fonction de la journée, de ce qui passé. Comme lui, au cours de sa vie, son (Grzegorz) style a totalement évolué.
Avez-vous délaissé le numérique au profit des crayons et des encrages pour cet album, come vous l’aviez envisagé l’année dernière ?Au final, oui ! Je ne sais pas ce que j’avais dit lors de notre dernier entretien. J’avais dit que j’allais essayer de revenir au traditionnel, j’ai commencé les premières planches en traditionnel et après, j’ai été rattrapé par le cours du temps et je me suis dit, si on veut faire un bel album, je ne change pas tout de suite mes habitudes. Je vais me conforter un peu dans le dessin en essayant de me stabiliser dans le dessin du Thorgal qui est finalement une nouvelle chose par rapport à celui de Kris de Valnor. Sur Thorgal, il fallait un peu plus serrer les vis.
N’y a-t-il pas eu non plus, une histoire de timing ?Ce sont des bd qui sont très riches graphiquement. C’est un dessin assez fouillé. Moi, j’appelle ça, un dessin touffu, avec plein de petits traits. Et au final, une année pour sortir un album, c’est un travail assez dur, assez long. C’est chronophage et du coup, c’est vrai que l’outil numérique facilite grandement les choses en termes de rapidité. Après, ça ne m’empêche pas, certaines parties de les faire en traditionnel mais le reste, c’est en numérique. De plus, il ne faut pas oublier que je fais les couvertures de La sagesse des mythes chez Glénat, sans parler de quelques petits trucs en parallèle. En fait, c’est des journées vraiment complètes.
Au delà de ça, repasser au traditionnel, ce serait modifier ses habitudes de travail. Il y aura donc forcément un petit temps d’adaptation et clairement, je ne l’ai pas actuellement.
Peut-être, comme nous l’avions déjà évoqué, la possibilité d’avoir du matériel pour être exposé en musée, en galerie, de vendre des originaux...Alors après, il y a une grande question dans le milieu des auteurs qui émerge, c’est qu’il y en a énormément qui sont en numérique et se pose alors la légitimité d’essayer d’instaurer un statut pour l’original numérique. Ça va peut-être se faire petit à petit puisque qu’il y a de plus en plus d’autre qui bossent en numérique.
Il n’empêche que se pose le problème de s’assurer que ce tirage est vraiment unique.Il y aura peut-être quelque chose de contractuel à faire, c’est à fouiller.
Ne pas s’occuper des couleurs de cet album n’a-t-il pas été une frustration pour vous ? Oui et non. Oui, parce que, lorsque je pense un dessin, je le pense en couleurs et du coup, je pose mes noirs en pensant aux couleurs. D’ailleurs, une fois que j’ai terminé mes planches, je fais un petit document que j’appelle la bible graphique que je donne à Gaëtan (le coloriste). Après, il en fait ce qu’il veut, compte tenu de sa propre sensibilité, il voit si ça lui sert ou pas. Donc, petite frustration mais en contrepartie, sur les couvertures de La sagesse des mythes où je peux m’exprimer sur de la peinture, de la couleur, etc. Oui, mais en même temps, je ne pourrais pas le faire en terme de temps. Enfin, pour être honnête, Gaëtan fait un superbe boulot.
Finalement, entre Yann, Grzegorz, Gaëtan et l’éditeur, tu te retrouves au centre, à gérer tout le monde. Quelle responsabilité !On en revient toujours à la responsabilité ! On n’est pas totalement l’homme-orchestre, il y’a Yann qui fait plein de choses mais effectivement, la partie graphique m’incombe, c’est de ma responsabilité. Et puis, il y a un lourd héritage en terme de couleurs, au niveau du Thorgal. Quand on passe après les couleurs directes de Grzegorz...
Justement, on est revenu aux couleurs des premiers albums...Alors, pas totalement ! Parce qu’il y a un petit modelé. On a fait en sorte de faire quelque chose entre les deux parce que le lecteur de Thorgal s’habitue à avoir une certaine richesse et un foisonnement dans les couleurs. Même, au niveau des textures, de pleins de choses, ce que je n’aurai pas pu faire si on avait adopté les couleurs des premiers tomes.
Bien sûr, mais la technique des premiers albums reposaient sur les aplats.Nous avons donc essayé de faire quelque chose, entre les deux.
Ma question concernait plus les teintes car j’ai le sentiment que l’on est plus proche des premiers.Exactement !
Effectivement, avec la richesse à la fois, du numérique qui permet d’avoir une densité dans la couleur...C’est tout à fait ça ! Les couleurs de Gaëtan ont vraiment une vibration très particulière. C’est, en même temps, un travail qui lui est très personnel mais également qui s’inscrit dans la lignée de couleurs qu’ont été faites par le passé. C’est vrai que l’outil numérique permet une plus grande variété au niveau des teintes même, si on reste dans l’ambiance des débuts, on a quand même de la richesse. Et cette richesse, c’est ce qui permet de faire l’analogie avec les dernières couleurs de Grzegorz, sur les précédents albums.
Il y a effectivement de la cohérence.Si on le ressent, alors c’est très bien, c’est ce que l’on a voulu faire !
As-tu un ordre d’idée du lectorat de Thorgal, peut-être au travers des dédicaces ? Les dédicaces, c’est biaisé. Pour moi, ce n’est pas le reflet des lecteurs. Pour moi, le public est assez large, il va de l’ado qui le pique dans la bibliothèque de ses parents, et comme ça lui plait, il lit toute la série. Après, ça va jusqu’au fan de la première heure, la petite madeleine de Proust. Que j’étais moi aussi, en lisant le magazine de Tintin. Je pense que c’est un public assez large et avec une particularité, c’est qu’il est assez féminin. J’ai beaucoup de public féminin en dédicaces qui aime beaucoup Thorgal.
Effectivement, les personnages féminins sont attachants.Et puis, Thorgal n’est pas une sombre brute. Il a des valeurs, il est droit, il prend soin de sa famille, de sa femme, de ses enfants. Il y a vraiment des valeurs familiales et je pense que le lectorat féminin y est assez sensible, n’est pas juste un héros, vecteur d’actions.
On sait que vous êtes en train déjà de réaliser le tome 38 de Thorgal avec toujours Yann au scénario, pouvez-vous nous en parler un peu ?Ce sera une aventure un petit peu particulière. On va essayer, en restant vraiment très très modeste et respectueux, faire une sorte d’Alinoë. Donc, un récit un petit peu particulier dans le monde de Thorgal. On va essayer de s’aventurer et puis on verra, si on réussit ou pas. C’est un petit pari et on espère qu’on va le réussir.
Dans une interview donnée à Planète Bd en octobre dernier, tu précises que tu ne reviendras pas sur le passé de Thorgal mais que tu iras de l’avant, en prolongeant sa vie ? Est-ce à dire que les personnages sont susceptibles de vieillir ? Alors, oui. La question se posait pour Louve. On ne savait pas trop si on la faisait vieillir ou pas. En même temps, dans cette famille, c’est la partie enfant. Et comme la série Louve est terminée, on s’est longtemps posé la question de savoir si on la faisait grandir ou la garder telle quelle. Et justement, le nouveau récit qu’on est en train de faire tourne autour d’elle. Je ne peux pas t’en dire plus. Thorgal a déjà bien vieilli. A la fin du précédent tome, il prend un petit coup de jeune en se rasant. Les personnages, Kris de Valnor, Aaricia ont également vieillis. Alors après, comme ce sont des personnages féminins, il ne faut pas trop les vieillir. En terme de graphisme, si on commence à mettre trop de traits sur les visages, ça les vieillis drastiquement. On ne peut pas vieillir un petit peu, c’est totalement ou pas. Sur un personnage masculin, c’est plus facile, on rajoute une barbe, on peut les vieillir progressivement. La question du vieillissement de Louve se pose encore aujourd’hui, on va la garder un petit peu comme ça et on verra après.
Le héros, selon moi, doit rester intemporel…Intemporel, c’est exactement ça ! Moi, j’ai rajouté quelques petits cheveux blancs, quand même. Mais, il les avait déjà ; quand on regarde le bateau sabre, il commençait à devenir grisonnant et puis il l’était un petit peu moins après. Dans le bateau sabre, j’ai trouvé qu’il était vraiment beau et c’est comme ça que j’ai voulu le dessiner.
Entretien réalisé par Bernard Launois, le 1er février dans le cadre du Festival international de la Bande Dessinée d'Angoulême.
Peut-on encore être d’accord avec ce proverbe russe qui commence par La vieillesse est plus sage que la jeunesse… en lisant Sales mômes, sales vieux ? Assurément non, l’auteur James sert un scénario des plus grinçants prouvant le contraire, avec le constat que quand on est un sale gosse, on devient souvent un sale vieux !
Tout le monde en prend pour son grade, et pour certains sketchs le lecteur va assurément se demander s’il doit rire ou s’offusquer tellement les personnages sont abjects. Tout d’abord, les vieux, malmenés par des descendants qui ne respectent rien, et surtout pas le fait qu’ils sont âgés. Ensuite, les jeunes qui ne sont pas épargnés non plus, qu’ils soient au berceau ou en pleine crise d’adolescence.
Les conflits intergénérationnels sont légion dans cet opus de 96 pages que le lecteur compulsera d’abord par petites touches tellement il se dira que le scénariste James fait fort. Puis, la première vague d’indignation passée et même si on ne peut pas rire de tout, le lecteur finira par dévorer l’album et se dire que finalement, cet opus mériterait assurément une suite aussi caustique mais surtout aussi drôle ! Il faudra simplement s’assurer de ne pas le laisser surtout dans toutes les « vieilles » mains, au risque de se brouiller avec la quatrième génération.
Avec un dessin réaliste et des aplats de couleurs monochromes, sur un format maximum de 4 cases, la dessinatrice Mathilde Domecq croque, sans concession, les personnages qui collent parfaitement aux dialogues concoctés par James.