Interview de Dimitri Armand à l’occasion de la sortie de TEXAS JACK aux éditions LE LOMBARD

Publié le 29 Octobre 2018

Interview de Dimitri Armand à l’occasion de la sortie de TEXAS JACK aux éditions LE LOMBARD

Après Sykes, le duo Pierre Dubois et Dimitri Armand remet le couvert pour réaliser l’excellent western Texas Jack aux éditions Le Lombard. La venue de Dimitri Armand sur le festival Quai des Bulles était l’occasion de parler de cet album et plus généralement de son regard sur la bande dessinée.

Bonjour Dimitri

Votre première collaboration avec le scénariste Pierre DUBOIS a eu lieu en 2014 avec Sykes, comment ça s'est passé cette fois-ci ?

En fait, ça c'est très bien passé. Au départ, c'est le Lombard qui nous a mis en relation et on s'est tout de suite très bien entendu. Je pense que, du coup, c'était assez astucieux de la part du Lombard, de nous mettre en relation. Je pense que ça a assez surpris les gens qui s'attendait de voir Pierre DUBOIS sur du western alors que l'on l'attend plutôt sur des elfes.

Plutôt de sujets poétiques comme il a l'habitude de le faire.

Là aussi, il y a de la poésie (rires)

Je ne suis pas convaincu qu'ici, ça soit la même !

Comme ça s'était super bien passé avec le premier album, on a remis le couvert pour Texas Jack qui va bientôt sortir.

J'ai eu l'occasion de le lire et de l'apprécier tout particulièrement. Quelles sont les méthodes de travail entre Pierre et vous ?

Avec Pierre, c'est un peu particulier qu'avec les autres scénaristes, car le scénario était écrit comme une nouvelle, donc sans découpage BD, pas de page 1, case 1... C'est donc moi qui aie dû découper l'album. De plus, c'est un scénario manuscrit ! Je dois dire que ça m'a surpris au début, j'ai plutôt trouvé cela plutôt charmant. De voir le scénario écrit et pas du tout découpé, j'ai trouvé ça plutôt intéressant au final.

Une fois le découpage réalisé, lui avez-vous envoyé ? De quelle manière est-il intervenu ou pas ?

En fait, pour ainsi dire jamais ! En gros, ce sont deux choses qui m'ont fait peur au départ : le fait que le scénario ne soit pas découpé et le fait d'être livré un peu à moi-même. Au final, ça été les deux choses les plus enrichissantes sur ces projets-là. Du coup, j'ai dû apprendre à découper un bouquin car normalement c'est un travail de scénariste habituellement. Ça m'a permis de me former là-dessus.

Un gros challenge alors ?

Effectivement et il y a des trucs que je regrette un petit peu au niveau mise en scène. J'aurai aimé après coup, les faire différemment mais malheureusement ou pas, ça fait partie de l'apprentissage. En plus, il m'a fait une confiance aveugle. C'est à dire que lorsque l'on a commencé à travailler ensemble, je faisais livrer les pages imprimées par courrier, 5 à 6 pages dans un premier temps et il a tout adoré. J'ai eu que des retours dithyrambiques et chaque fois, il était ravi. Il n'a jamais eu rien à redire et pourtant au début, j'étais disposé à retoucher si c'était pertinent ou autre à suivre ses remarques mais il a toujours adoré ma façon sur ces bouquins-là de mettre en scène et de faire les pages. J'étais hyper libre et ça c'est vraiment jouissif.

C'est à la fois libre et contraint par un énorme challenge car c'est quand même un album qui fait 120 pages, tant pour le découpage que pour la réalisation ensuite ?

Bah oui, au départ il devait faire la taille de 75 pages mais le problème, c'est que le manuscrit faisait déjà 90 pages et qu'en faisant le story-board, au fur et à mesure, je me rendais compte que j'allais exploser la pagination. Je n'ai pas voulu décaler la date de sortie car on s'est dit avec l'éditeur que ce serait bien de le sortir pas très de loin de Sykes.

Pourquoi pas en deux albums alors ?

Ça été pensé, le souci c'est que c'est vraiment une quête et que dans la première partie, il n'y a vraiment d'événements mais plus la relation entre les personnages qui va se tisser tout le long de l'album et du coup, coupé en deux, s'aurait fait un premier album où il ne s'y passe pas vraiment grand chose. Il aurait alors fallu réécrire la structure.

Je ne suis pas tout à fait d'accord quand vous dites qu'il ne se passe rien dans la première partie.

En fait, je pense que ça aurait un peu cassé la montée en puissance de l'intrigue et des relations entre les personnages et la rencontre finale.

Texas Jack ressemble, par certains côtés, à Buffalo Bill et son côté grand spectacle, comment avez-vous appréhendé le personnage ?

C'est une autre chose qui m'a beaucoup plu dans l'écriture de Pierre, c'est que quand je lis son scénario, j'ai tout de suite des images qui me viennent et en fait, lui je l'ai toute de suite imaginé comme ça. Oui, c'est une forme de Buffalo Bill.

Où tout est dans l'apparat quand même ? Dès les premières pages, il est dans un spectacle, en représentation, tel que je l'ai compris ?

Oui, c'est exactement ça !

Sauf qu'à un moment, il va se retrouver dans la vraie vie.

Et il va vite le regretter !

Il va va se faire piéger ?

C'est ça qui était intéressant, c'est que comme graphiquement, j'avais fait Sykes avec un personnage plus sombre, les yeux fatigués, une moustache noire... J'ai vu cette espèce de petit minet, blondinet, toujours avec le sourire ridicule. Mais, c'est son personnage !

Ce que je trouve important dans cet album, c'est que vous avez dessiné vraiment des "gueules" au sens où nous avons des personnages burinés, des visages et des postures expressifs. Il apparaît très important d'avoir cette densité dans ces personnages qui évoluent dans de superbes paysages. Par contre, beaucoup de violence, ce qui n'est pas dans les habitudes de Pierre DUBOIS, plutôt dans un registre poétique. Est-ce que cela vous a gêné ?

Non, je pense même qu'il s'est plutôt amusé de ce côté-là parce qu'il savait qu'au contraire, j'aimais bien dessiner ce genre de scènes.  La violence n'est jamais gratuite parce que même si j'ai tendance à exagérer les impacts de balles ou autres, au final ça met en avance la faiblesse de Texas parce qu'en temps que lecteur, on va s'identifier à Texas Jack qui est en fait en dehors de tout ça car il tire sur des assiettes et c'est tout. On prend presque pitié de lui a un certain moment dans l'album.

Cet album est vif, rythmé et l'on sent que vous avez pris un réel plaisir à le réaliser, je me trompe ?

Non, vous ne vous trompez pas, je me suis clairement éclaté. Il m'aurait fallu clairement six mois de plus pour vraiment le faire comme je voulais.

Près de 125 pages, on ne s'ennuie pas un seul instant. Quel a été la recette pour tenir le lecteur en haleine ?

La grosse qualité de Pierre sur cet album réside dans la multiplicité des personnages qui ont tous des dialogues qui vont les présenter avec toutes leurs personnalités. Ce que j'aime beaucoup dans le travail de Pierre Dubois c'est qu'il n'y a pas dialogue gratuit. Tout ce que les personnages vont dire, ça va les installer, les faire exister vraiment dans l'album.

Y aura-t-il une prochaine collaboration avec Pierre Dubois ?

On aimerait beaucoup en fait, L'idée d'une trilogie, on aimerait beaucoup faire rencontrer Sykes et O'Malley et le problème, c'est que Pierre a de superbes idées. Déjà avec Sykes, je m'étais dit que je ne ferai que cet album mais un jour, il m'a juste envoyé la suite et j'ai pas pu faire autrement que de plonger. Le problème actuellement, c'est qu'il faudra attendre un peu pour une nouvelle collaboration car je viens de commencer une nouvelle série au Lombard.

Vous faites partie des artistes à maîtriser la réalisation d'un western en bande dessinée et s'il fallait citer quelques noms d'auteurs que vous admirez dans cette discipline, ce seraient lesquels ?

Au début, je dirai qu'il y a François Boucq sur le Bouncer qui m'a bien inspiré, Ralph Meyer pour Undertacker avec un dessin très propre. On ne dessine pas du tout pareil tous les deux mais nous partageons un dessin assez lisse, assez propre comparé à Mathieu Lauffray qui va avoir un trait beaucoup plus lâché, beaucoup plus expressif. Il y a également Mathieu Bonhomme que j'ai découvert tard sur Texas Cow-boy. Album que j'ai adoré car il a, par exemple, un don sur les postures des personnages. Bien qu'il y ait très peu de trait, les personnages existent vraiment. Enrico Marini qui a toujours été une grosse influence pour moi. Je ne pense pas que mon dessin ressemble mais c'est dans sa façon de gérer l'efficacité des scènes, en fait. Marini est extrêmement impressionnant graphiquement mais quand on regarde bien, je sais que c'est facile à dire, ce sont des recettes assez simple, il va mettre en avant son personnage qui est au cœur de l'action, il va esquisser un morceau de décor, et tout envoyer à la couleur et ça va être super impressionnant. Il ne va jamais mettre trop d'information et ça c'est vraiment quelque chose que j'aime bien !

Je ne suis pas doué pour faire, comme par exemple, comme Otomo dans Akira où il y a là une débauche visuelle et malgré tout, ça reste d'une grande lisibilité et je trouve ça hallucinant. Pour ma part, si je commence à faire des traits partout, ça faire un truc illisible.

Là, justement, le trait est clair, c'est fluide

Merci ! J'ai essayé du coup de le rendre le plus lisible possible.

Et vous ne citez pas Jean Giraud, il ne fait pas partie des auteurs qui vous ont influencé ?

Bah non, je l'ai lu et c'est un passage obligé, j'adore son travail, je l'ai regardé régulièrement.

Lui aussi va avoir un dessin extrêmement fouillé  et malgré tout assez lisible et puis il ne faut pas oublier que c'est un pilier de la bande dessinée franco-belge. C'est vrai qu'au départ, il ne fait pas vraiment partie de ma culture et quand vous m'avez posé la question, ce n'est pas un nom qui m'est sorti spontanément.

Propos recueillis par Bernard LAUNOIS dans le cadre du festival Quai des Bulles St Malo le 13 octobre 2018

 

Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Interviews

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