Interview de Fred Vignaux à l’occasion de la sortie de Kriss de Valnor T8
Publié le 24 Octobre 2018
Entre la sortie du très attendu tome 8 du spin-off « Kriss de Valnor », dessinée par Fred Vignaux, qui clôturera la série et l’information comme quoi c’est Fred Vignaux qui reprend la série Thorgal, l’interview de ce dernier, dans le cadre du festival Quai des Bulles à St Malo, tombait à point nommé.
Pour ce dernier opus, Kriss de Valnor a désormais un seul but : retrouver son fils Aniel. Pour le rejoindre au plus vite, elle a choisi d'escalader la Montagne du Temps. Mais l'épreuve s'avère bien plus cruelle qu'elle ne l'avait imaginé... Entre temps, Jolan poursuit son duel sans merci contre l'empereur Magnus.
Vous venez de terminer le tome 8 du spin-off « Kriss de Valnor » qui sera le dernier, comment l’avez-vous Vécu ?
Paradoxalement, la fin de cette série est un commencement pour moi et on en va en reparler plus tard dans l’interview, ça été un vrai plaisir et ce deuxième album clôt un beau diptyque qui forme une belle histoire très cinématographique, avec Mathieu Mariolle et Xavier Dorison, ça ne pouvait être qu’ainsi. Je m’en suis vraiment rendu compte à la fin car il y a eu des choses de semé dans le 1er tome qui se résolvent dans le second. Au final, ça se rapproche pas mal du tome les Archers qui est un petit film en soi. Comme cela va s’inscrire dans la continuité, cet album n’est en fait pas vraiment une fin.
Si cet album est très fluide dans la narration, il n’en est pas moins dense, avec beaucoup de cases mais aussi beaucoup de bulles, est-ce que cela t’a posé des problèmes particuliers ?
Il y a effectivement à certains moments beaucoup de dialogues notamment pour placer la psychologie des personnages mais ça alterne avec des pages beaucoup moins dense. Je ne le ressens pas comme ça, quand tu vois le nombre de cases dans « Neige », c’était beaucoup plus contraignant. Je pouvais néanmoins utiliser les fonds perdus, il y avait des panoramiques, là, la charte Thorgal est plus contraignante mais néanmoins créative. Ce qui est intéressant, c’est que ce soit un challenge et je n’ai pas vraiment rencontré de difficulté.
Quant à la densité, je trouve ça plutôt intéressant dans la bande dessinée car il ne faut que la bd soit lue en 20 minutes. Finalement, la densité pour moi, c’est important. Alors après, j’en avais discuté avec Rosinski, quand on regarde les Thorgal, ce que disait Van Hamme, il y a des albums de scénariste et des albums de dessinateurs. Donc, quand il lui présentait un album, il lui disait « Tu vois Grzegorz, celui-ci sera un album de scénariste, ce qui veut dire qu’il y aura plus de cases mais la prochaine fois, je te ferai plaisir en te faisant un album de dessinateur ».
Pour le prochain Thorgal, y a-t-il déjà des orientations ?
On va plutôt être dans le classique, avec une histoire complète.
Alors, si mes comptes sont bons, tu es le petit dernier arrivé dans l’équipe Thorgal et c’est toi qui a la charge et l’honneur de reprendre la série.
Surtout le poids…
Est-ce que tu ressens un gros poids, une grande pression à reprendre les albums de Thorgal ?
J’ai déjà deux tomes avec le spin-off, même si ça ne fait pas beaucoup, néanmoins, ça s’inscrit dans la continuité. Alors, c’est amusant parce que le poids, la bande dessinée est un métier solitaire, on est chez soi, on se bat contre soi, ses propres réflexions et le poids, on le rencontre lors de séances de dédicaces avec les lecteurs et là on se dit, que peut-être effectivement avec Thorgal, il faut se mettre un petit peu la pression.
Alors, c’est venu comment avec Rosinski pour que finalement, ce soit vous qui repreniez le personnage ?
C’est un peu une énigme, comme il l’a expliqué en conférence de presse lors de la passation, il retrouvait un peu de lui dans mon dessin. Je pense que c’est surtout cette énergie, le foisonnement. C’est vrai que j’aime bien, même dans les paysages, que ça vive et je sais que lui avec ses personnages, quand on lit un Thorgal, c’est le reflet de ses émotions tout au long d’une année, tout au long de la création. Le personnage bouge beaucoup et n’est pas forcément constant, c’est ça qui est intéressant. C’est vrai, je pense qu’en bande dessinée, on ne fait pas d’illustration, pas du dessin animée. En dessin animée, le personnage est toujours au modèle, il ne bouge jamais, tout le temps parfait. Moi, j’estime mais c’est ce qu’ils font en manga, toute proportion gardée, que le personnage doit vivre en fonction des cases, en fonction de ce qui se passe. Il n’est pas obligé qu’il soit toujours pareil, bien constant : le dessin des personnages, c’est le reflet de notre humeur du moment, sachant qu’il ne faut quand même pas que ça varie trop non plus.
Alors, tu parlais d’illustrations, j’ai cru comprendre que les albums Kriss de Valnor étaient réalisés de manière numérique.
C’est ça, tout à fait !
Du coup, ça fait une sacrée différence même si je trouve le dessin tellement dynamique que ça ne pose pas de problème. Maintenant quand on voit les dessins de Rosinski qui ressemble plus à des peintures. Pourquoi avoir choisi de se tourner vers des procédés électroniques, est-ce que Rosinski a-t-il vu cela d’un bon oeil ?
En fait, Rosinski est sensible à la nouveauté, il faut voir qu’il s’est toujours renouvelé dans sa carrière et là, je pense qu’il est intrigué par cette technique. On ne parle pas trop avec Rosinski de technique, traditionnelle ou numérique. Par contre, les originaux revêtent une grande importance car pour ma part, j’ai appris la bande dessinée en allant voir des originaux, en regardant comment les coups de pinceaux ont été mis. Avec quels outils, le dessin a-t-il été réalisé. A l’époque de mes débuts, il n’y avait pas Internet et je pense que c’est très important de faire des originaux car sinon les générations futures n’auront rien à regarder. Le traditionnel, le numérique, ce sont des techniques et quelles qu’elles soient, on fait toujours de la bande dessinée. Je ne pense pas qu’aujourd’hui, on voit quelles techniques sont utilisées mais je pense par contre qu’il est important pour Thorgal, c’est qu’il y ait des originaux.
Je vais sur le prochain album faire en sorte petit à petit à me remettre à faire des originaux.
C’est une très bonne idée, d’autant plus qu’aujourd’hui, il devient de plus en plus prégnant de ne pas se passer des revenus de la vente d’originaux.
Effectivement, ça peut être une part non négligeable dans la rémunération mais au-delà de ça, il y a aussi l’aspect retraite qui permettra peut-être de l’assurer un peu mieux.
C’est important également de posséder des originaux pour l’organisation d’exposition ?
Effectivement, après avec quelques auteurs qui travaillent en numérique, on se pose la question de créer des sortes d’originaux à partir de numériques en faisant réaliser un tirage papier de qualité, labellisé, signé et qui serait en quelque sorte le seul et unique original.
Je ne suis pas convaincu que ça rencontrerait un vif succès.
Cela pourrait marcher à la condition que beaucoup d’auteurs le font. EN fait, la question se pose vraiment, c’est vrai que l’on nous demande de faire de plus en plus vite des albums et que se pose le moment de laisser une trace.
Ne pourrait-on pas alors, alterner les pages numériques et traditionnelles dans un album ?
C’est une solution envisageable d’autant plus quand on sait que l’on va faire une illustration pleine page.
Concernant les originaux, j’ai lu dans l’interview d’un confrère, que Rosinski continuera à dessiner les couvertures. Est-ce qu’il est prévu que tu les réalises également un peu plus tard ?
En fait, ça me fait extrêmement plaisir que ce soit Grzegorz qui les réalise. Thorgal, c’est la bande dessinée de mon enfance et j’ai toujours vu Rosinski les faire et également, comme j’ai la casquette « cover artist » de la collection Mythologie (éditions GLENAT), cela ne me gêne pas que quelqu’un d’autre fasse la couverture à ma place, je trouve important qu’il y ait une homogénéisation des couvertures pour une série. De plus, c’est quand même Rosinski qui fait les couvertures dont quelques unes sont quand même mythiques. C’est pour moi un énorme cadeau, ça me fait extrêmement plaisir.
Par ailleurs, je sais que s'il arrête la bande dessinée, c’est qu’il a envie de se faire plaisir en faisant de la peinture.
Revenons à Kriss de Valnor, est-ce que Rosinski est intervenu sur ton dessin ?
Il est intervenu sur le premier album, alors que je lui avais envoyé les dix premières pages, en redessinant certaines cases en me montrant les émotions, les intentions, qu’il fallait faire passer. C’était plus un côté didactique qu’autre chose. Les modifications ont porté principalement sur le visage de Kriss, afin de transmettre une certaine émotion. Après, il m’a laissé réaliser l’album.
Quand je fais une planche, tout est transparent, je l’envoie à Rosinski, aux scénaristes et à l’éditeur, je montre à tout le monde.
Alors comment fonctionnez-vous avec le scénariste Mathieu Mariolle, comment recevez-vous le synopsis ?
Sur le premier diptyque, je suis arrivé alors tout était déjà a peu près bouclé. Par contre, pour le second, Mathieu a fait un synopsis qu’il nous a soumis (le dessinateur et Gauthier Van Meerbeeck, directeur éditorial des Éditions du Lombard) et après quelques petits ajustements, Mathieu a fait le découpage. De toutes les façons, que ce soit au story-board, au niveau du scénario ou quand je fais mes encrages, il y a la possibilité d’intervenir à tout moment, de modifier. La planche faite, je la scanne et l’envoie au scénariste et à l’éditeur. En début de mois, j’envoie six à sept planches de story-board qui correspondra aux planches encrées réalisées en fin de mois.
Tu as une puissance de travail, c’est dix à douze heures par jour ?
Oui, c’est ça et d’autant plus cette année que j’avais un « Neige » à faire ! Je m’étais engagé auprès des deux éditeurs, Glénat pour Neige et Le Lombard pour Kriss de Valnor, à respecter les délais de chacun et ça été complètement transparent pour eux. Maintenant, le challenge est de ne faire que Thorgal pour les deux à trois années à venir et les couvertures de Mythologie car c’est un vrai plaisir de les dessiner. L’objectif étant de faire un album de Thorgal par an, sachant que je ne ferai pas les couleurs.
Ne ressent-tu pas alors une frustration à ne pas faire les couleurs ?
Non, les couleurs de Thorgal, ce n’est pas celles que je ferai.
Donc, du coup, si tu fais des originaux de Thorgal, il faudra que tu t’adaptes à ces couleurs ?
Non, on va revenir sur du noir & blanc. Je ne vais pas faire de la couleur directe sur les planches de Thorgal. Pourquoi aussi, parce que sa couleur, c’est une patte qui lui est propre ; sa façon de faire les couleurs est hyper personnelle. Honnêtement je peux plus refaire ses encrages que sa couleur. Même si sur Neige, je m’approchais un petit peu de ce côté pictural. En fait, c’est un travail de lumière, c’est très structuré. Comme je travaille en numérique, c’est possible mais ce n’est pas l’intérêt de faire ça. Je pense que beaucoup de lecteurs sont sensibles à l’encrage. Je ne sais pas si c’est mieux ou moins bien mais moi, j’ai envie de revenir à de l’encrage classique comme j’ai fais sur Kriss. Donc, pas de frustration sur la couleur et après, j’ai une approche couleur dans le sens où quand je fais mes encrages, je pense au sens des lumières et à ce que va faire le coloriste après. Pour Gaëtan, j’essaie de lui offrir le maximum de documentation, de lui décrire le maximum de mes intentions afin qu’il puisse bien travailler.
Revenons à Thorgal, de qui sera le scénario du prochain ?
De Yann, je suis actuellement sur les premières planches. Avec Yann, c’est un bon dialogue qui s’instaure entre nous et il y a un truc très marrant, c’est qu’il propose sur son synopsis des versions alternatives et que je suis allé souvent sur ses versions alternatives ! Il fait en sorte ensuite de réajuster. Ce que je ne sais pas, c’est si c’était des perches qu’il me tendait pour voir un peu comment je réagirai. Une fois les ajustements, il a fait entièrement tout le découpage de l’album, ce que j’aime particulièrement car ça permet à chacun de tenir sa place.
Propos recueillis par Bernard LAUNOIS dans le cadre du festival Quai des Bulles St Malo le 13 octobre 2018