On ne peut pas dire que la vie d’Yvan soit la plus enrichissante : veilleur de de nuit dans un parking, il rentre chez lui au petit matin pour se coucher et se relève pour reprendre le boulot. De son quartier où il habite depuis vingt-huit ans, il ne connait que les lampadaires allumés et les vitrines fermées.

Mais qu’importe cette vie taciturne où son seul plaisir réside dans la lecture et ses dessins, car Yvan a pris une sacrée décision, celle de prendre des vacances et pas n’importe lesquelles, un trek en Alaska ! L’aventure avec un grand A, c’est ce qu’il croyait aller vivre mais il faut hélas se rendre à l’évidence, la compagnie aérienne a déposé le bilan et c’est le retour à la case départ, son quartier et peut-être l’opportunité d’enfin le découvrir.

L’auteur Christophe Chabouté n’a pas son pareil pour emmener le lecteur dans des aventures singulières, telles que dans ses précédents récits d’Un peu de bois et d’acier, de Musée ou encore Yellow Cab… Il l’incite cette fois à partager le quotidien de son héros, de la visite du quartier qu’il découvre mais aussi de la population qui le fréquente. C’est avec beaucoup de sensibilité que Christophe Chabouté incite le lecteur, avec un brin de poésie, à se poser pour découvrir son environnement qui finit par être si familier qu’on n’y fait guère plus attention.

Pas besoin de couleurs pour magnifier le récit, hormis quelques touches matérialisées par le carnet de voyage du héros,  Christophe Chabouté s’en affranchit avec talent dans ce beau dessin réaliste.

L’attente entre les parutions de l’auteur peut sembler souvent longue mais l’on peut lui pardonner tellement le plaisir de le lire s’avère sans cesse renouvelé.

PLUS LOIN QU’AILLEURS Christophe CHABOUTÉ collection Hors Collection éditions VENTS D’OUEST 152 pages, 24,00 € 07/05/2025

Bernard LAUNOIS

L’histoire se passe en Corée au X^Vème siècle, alors que la paysanne Dal-Rae vient à rencontrer Kim Ban-Ryu, un jeune érudit au moment où elle fuit le domicile parental pour échapper à un mariage arrangé. Eu égard à leurs différences de rang, qu’un haut dignitaire et une simple paysanne se soient côtoyés relève plutôt de la gageure mais le hasard fait souvent bien les choses.  Et c’est ainsi que Kim Ban-Ruy va être interpellé par cette jeune fille sensible, alerte, intelligente qu’il finira par prendre à son service et c’est là que l’aventure commence.  

Qu’adviendra-t-il de la jeune fille qui va se retrouver propulsée dans un univers qui lui semblait si inaccessible, celui de la haute bourgeoisie intellectuelle ? Elle va alors rapidement démontrer que sa piètre condition de paysanne analphabète n’apparait pas comme un obstacle si insurmontable et faire preuve d’une maîtrise particulière.

La scénariste Anne Idoux, historienne de formation, livre là une fort belle fiction. Tout d’abord en revenant sur la vie du roi Sohéo qui n’aura cessé, tout le long de son règne, d’améliorer le sort de son peuple comme promouvoir l’invention de l’alphabet coréen accessible à tous. 

Mais au-delà de l’histoire des deux jeunes gens, Dal-Rae et Kim Ban-Ryu, Anne Idoux aborde également deux thèmes importants dans cette Corée du X^Vème siècle, celui des castes omniprésentes dans la vie de tous les jours et celui de la guère brillante condition féminine.

Une mention particulière est à faire pour ce premier album réalisé par Carine Borgi au dessin noir et blanc au style graphique fin et délicat qui met si bien en valeur le récit, avec des décors fouillés où évoluent ses personnages pittoresques.

LA PROMESSE DU SOUFFLE Carine BORGI/Anne IDOUX éditions RUE DE SEVRES 136 pages, 20,00 € 21/05/25

Bernard Launois

Cinq ans que Chuck, petite frappe, attendait de sortir de tôle pour deux raisons : retrouver Kat, sa belle plante et surtout retourner sur les lieux où il avait planqué le magot à Dry Creek, au fin fond du Colorado. Seulement, Chuck a beau creuser, il ne retrouve rien sinon qu’un vieux fou chercheur d’or sorti de nulle part et prêt à lui trouer la peau, sans parler de Kat qui commence sérieusement à s’impatienter.

Ses souvenirs d’enfouissement de ces fameux 250 000 dollars ne sont-ils pas assez précis ? Le vieux fou aurait-il découvert la planque et fait main basse, Chuck aurait-il mis quelque taulard dans la confidence ? Toujours est-il que l’argent reste introuvable.

Les confidences du vieux fou finissent par leur mettre la puce à l’oreille et nos deux tourtereaux comprennent qu’ils ont été doublés par deux types qui sont venus récemment en voiture déterrer un sac… S’engage alors une course poursuite pour retrouver les auteurs du larcin.

Tous les ingrédients d’un bon western sont là : échauffourées, trahisons, courses-poursuites sauf que l’on est au vingtième siècle et c’est là tout le talent du scénariste Matz qui revisite la mythologie américaine pour le plus grand bonheur du lecteur. Avec un découpage efficace, des dialogues enlevés et un suspense tenu jusque dans les dernières pages, la mayonnaise ne peut que prendre.

Mais ne parler que du scénariste serait particulièrement réducteur car un bon scénario ne peut être mis en valeur que s’il est accompagné d’un bon coup de patte du dessinateur et force est de constater que le dessin de Philippe Xavier s’avère toujours aussi efficace. Enfin, un signe qui ne trompe pas car curieux d’en connaitre la fin, le lecteur dévorera l’album et ne pourra que revenir au début de l’album pour en apprécier les superbes décors, remarquablement mis en couleurs par Jérôme Maffre.

C’est toujours avec grand plaisir que l’on retrouve le duo Matz/Xavier et cette fois encore, le lecteur ne sera pas déçu par ce thriller détonant.

L’OR DU SPECTRE MATZ/Philippe XAVIER collection Signé éditeur LE LOMBARD 120 pages, 22,95 € 09/05/2025

Bernard LAUNOIS

Pas facile de vivre au quotidien avec une grave déficience visuelle et c’est pourtant le quotidien de Tanie, l’épouse de l’auteur, et ce depuis une quarantaine d’années. Mais qu’à cela ne tienne, il est hors de question que qui que soit la considère comme une handicapée et les stratagèmes pour que l’on ne s’en aperçoive pas sont légion. Tanie déborde d’énergie, multipliant les activités devant un mari qui peine à suivre le rythme effréné de ce petit bout de femme qui a décrété que malgré les difficultés de la vie, il lui fallait faire de « Carpe Diem » sa devise.

Ceux qui ont l’habitude de s’esclaffer à la lecture des albums de l’auteur Marc Cuadrado vont le découvrir avec ce titre dans un registre plus dramatique qu’à l’accoutumée. Mais qu’ils se rassurent, eu égard au quotidien que vit son épouse le récit aurait pu s’avérer plombant mais il n’en est rien car les moments cocasses foisonnent, les situations et les répliques traduisent une vie de tous les jours particulièrement pigmentée et jamais monotone.

Avec cet album plus personnel, Marc Cuadrado a troqué son dessin un tantinet gros nez avec un dessin semi-réaliste de bon aloi pour mieux coller à un récit plus grave. Concernant les couleurs confiées à Clara Cuadrado, le parti pris de s’appuyer sur quatre couleurs d’ambiance renforçant les émotions voulues par le narrateur, s’avère des plus réussi.

Si les éditions de biographies et d’autobiographies en bande dessinée ont tendance à se généraliser avec, hélas, plus ou moins de bonheur, cette dernière demande à être examinée avec la plus grande attention, ne serait-ce que par son ton des plus positifs.

DANS SES YEUX Marc CUADRADO collection Grand Angle éditions BAMBOO 120 pages, 19,90 €

Bernard LAUNOIS

On retrouve avec plaisir Popeye, ce personnage des plus sympathiques, qui a plus d’un tour dans son sac pour vendre sa camelote aux quatre coins de la planète Sprague, titre éponyme du précédent album.

Cette petite vie pépère qu’il vénère, partagée entre son commerce et ses virées chez Prune, son amie faussaire, va hélas être contrariée par un phénomène qui ne va pas tarder à lui pourrir l’existence ainsi que celle de tout son peuple : l’apparition anarchique d’herbes bleues.

Bien qu’interpellé par un de ses amis paysans qui trouve que les herbes bleues poussent comme du chiendent, il ne semble guère y être sensibilisé jusqu’à ce qu’il constate qu’elles finissent par tout coloniser, allant jusqu’à détruire moteurs et machines, agressant le bétail voire les humains. Cette fois, il faut réagir et c’est accompagné de sa fidèle Prune qu’il décide d’enrayer l’invasion, mais l’affaire se complique…

On ne présente plus le prolifique et talentueux scénariste Rodolphe qui, une fois encore, va captiver son auditoire avec ce récit écologique transposé dans un monde de science-fiction dont il a le secret.

La collaboration avec le dessinateur Olivier Roman s’enrichit d’un nouvel opus avec des répliques savoureuses, des personnages truculents, des insectes surdimensionnés. En fait, tous les ingrédients sont réunis pour tenir en haleine le lecteur dans un récit hors du temps.

Le dessinateur Olivier Roman excelle dans ce genre d’exercice, mettant remarquablement en scène le récit. Avec de somptueux paysages où évoluent tous ses personnages, on retrouve avec plaisir le sens du détail d’un moment où le temps semble suspendu. On ajoutera la belle touche de couleurs réalisées, comme au premier opus, par Denis Béchu donnant une dimension supplémentaire à cette histoire.

LE MARIN CELESTE RODOLPHE/Olivier ROMAN éditions MAGHEN 88 pages, 19,00 € 07/05/2025

Bernard LAUNOIS

Peut-être ne faites-vous pas partie des 100 000 lecteurs qui avaient jeté leur dévolu sur The nice house on the lake ? Alors, rien ne vaut mieux avant de se lancer dans The nice house by the sea que de revenir sur ce premier cycle d’un des thrillers postapocalyptiques les plus prenants parus ces derniers temps avant de dévorer le premier tome de ce deuxième cycle bien prometteur. Se retrouver dans une super villa, conviés par Walter que certains connaissent depuis l’enfance, d’autres rencontrés plus récemment, s’avère des plus agréable sauf que ce bel écrin va se révéler une prison dorée, tel était le postulat de départ du premier cycle.

Pour ce deuxième cycle, James Tynion IV immerge à nouveau le lecteur dans une ambiance oppressante où vont évoluer douze protagonistes qui, cette fois, ne se connaissent pas mais ont été apparemment choisis par une certaine Max pour leurs compétences respectives, du médecin au mathématicien en passant par l’écrivain, le prêtre, le scientifique… Tous ayant accepté de plein gré de représenter l’avenir de l’humanité. Comment ces dix sommités vont-elles pouvoir s’entendre voire se souder dans l’adversité qui se profile ?

L’intrigue s’avère tout aussi bien ficelée et l’on pouvait penser que le récit aurait pu s’essouffler et là, il faut reconnaitre que l’on se prend à nouveau au jeu dès les premières pages, se demandant encore comment le récit va-t-il bien pouvoir se finir.

Le dessin numérique aux traits acérés d’Alvaro Martinez Bueno, rehaussé des couleurs vives et acidulées de Jordie Bellaire, s’adapte parfaitement au scénario mystérieux et angoissant de James Tynion IV.

Encore une de ces bandes dessinées que l’on prend et que l’on ne lâche pas, rien que pour le plaisir de frissonner.

THE NICE HOUSE BY THE SEA T1 James TYNION IV/Alvaro MARTINEZ BUENO Collection Black Label éditions URBAN COMICS, 200 pages 25,00€ 25/04/2025

Bernard LAUNOIS

Uqsuralik, jeune Inuite, ne s’attendait pas suite à la fracture de la banquise où elle vivait avec sa famille, à se retrouver seule au cœur de l’Arctique dans un environnement hostile tant par le froid qui y règne, la faune sauvage qui pullule sans parler de la difficulté de trouver les moyens de se nourrir.

Que faire alors, s’apitoyer sur son sort et se laisser mourir ou redresser la tête et foncer ? Uqsuralik est née dans une famille où l’on apprend à ne jamais baisser les bras. Assurément plus facile à dire qu’à faire, la jeune Inuite accompagnée de quatre des chiens de son père entreprend de chasser quelques renards pour survivre. Sa solitude prendra fin avec la rencontre d’un groupe de trois familles par lequel il va falloir se faire accepter si elle ne veut pas finir seule. Cette rencontre sera-t-elle une fin en soi, à quel avenir se destine-t-elle, ces questions trouveront-elles leurs réponses tout au long de ce passionnant récit ?

L’auteur Jean-Paul Krassinsky s’empare de belle manière du roman éponyme de Bérengère Cournut paru en 2019 et rapidement distingué par le Prix du Roman Fnac. Partagé entre les monologues d’Uqsuralik et les rencontres avec sa communauté, le découpage s’avère efficace, le lecteur se laissant entrainer par les pérégrinations de cette héroïne qui, bien qu’au caractère bien trempé, reste souvent malmenée par une vie remplie de bien de vicissitudes.

Magnifiée par les aquarelles de Jean-Paul Krassinsky, avec des paysages et des gens tous plus extraordinaires les uns que les autres, l’histoire d’Uqsuralik se déroule devant les yeux comme si l’on y était. À cela s’ajoute la multiplication des pleines double-page qui renforcent le sentiment d’immensité des paysages et donnent une dimension au récit.

Une belle ode à la combativité mais aussi à la résilience… À méditer.

DE PIERRE ET D’OS Jean-Paul KRASSINSKY collection AIRE LIBRE éditions DUPUIS, 208 pages, 28,00 € 11/04/2025

Bernard LAUNOIS