Voilà bon nombre d’années qu’Eloane a quitté son ile aux lanternes, son domaine familial et… Sa famille et l’opportunité d’une fête processionnelle annuelle s’avère l’occasion d’y revenir. Partie précipitamment après le décès de son père brûlé vif dans l’incendie du phare, elle se réjouit de retrouver avec joie Erwan, son petit frère. Mais aussi elle sait pertinemment qu’elle va se retrouver en prise avec la relation de sa mère autoritaire qu’elle a fini par détester, l’absence de communication n’ayant rien arrangé. Sera-t-elle bien accueillie par les iliens, sans parler de sa mère dont elle est persuadée qu’elle ne l’aime pas ?

Dès les premiers plans, le scénariste Jean-Etienne campe le décor d’un récit des plus horrifiques où les réalités apparaissent intiment liées aux légendes locales. L’auteur aborde avec justesse le rapport fille-mère souvent compliqué particulièrement au sortir de l’adolescence a fortiori lorsque l’absence du père se fait cruellement sentir, sans oublier l’intrusion chamanique qui s’invite très rapidement dans le scénario. A cela s’ajoute une construction solide du récit avec des dialogues alertes de bon aloi.

Avec un récit qui se déroule dans les entrailles de la nuit, le dessinateur Jean-Etienne livre un dessin plutôt épuré et souligné par des aplats de couleurs, incroyablement efficace, et qui n’est pas sans rappeler certaines signatures de célèbres dessinateurs de comics tels Sean Murphy ou encore Mike Mignolia. Des visages si expressifs aux scènes tonitruantes où le feu s’avère omniprésent, qu’il soit physique ou moral, les pages défilent comme dans un film des plus haletants poussant le lecteur à en vouloir connaitre le dénouement.

Quelle réussite pour un premier album, un one shot bien bâti, qui sait ménager l’angoisse de bout en bout !

LA NUIT DES LANTERNES JEAN-ETIENNE collection HORS COLLECTION Éditions DELCOURT 184 pages, 25,95 €

Bernard LAUNOIS

Le parcours du combattant, c’est le lot de parents désemparés pour trouver des spécialistes quand il faut poser un diagnostic pour des enfants qui ont du mal à se concentrer, à suivre une scolarité… Tout un tas de difficultés qui handicapent l’enfant mais également son entourage.

Alertés par le monde enseignant du comportement d’Anaïs et après une bardée d’examens, les parents finissent par apprendre que leur fille s’avère atteinte de TDAH, acronyme désignant le Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité.

Passée la stupeur d’apprendre la présence de ce trouble, Céline la mère d’Anaïs décide de prendre le problème à bras le corps en se renseignant sur tous les moyens d’améliorer le quotidien d’Anaïs, à commencer par trouver des spécialistes pour corriger ce qui peut l’être et faire que sa fille s’épanouisse en toutes circonstances.

Après deux albums et bon nombre de strips sur Instagram réalisés en solo, voilà que Céline Bailleux s’attaque à son histoire et à celle d’Anaïs avec le concours de la scénariste Emmanuelle Friedmann. Le lecteur appréciera la manière dont l’histoire de cette mère courage et de son bout de chou est narrée par la scénariste, avec de grands moments de découragement néanmoins dénoués de misérabilisme mais également saupoudrés d’instants drôles qui allègent le récit.

Le dessin rond de Céline Bailleux fonctionne toujours aussi bien avec notamment les bouilles et les mimiques de tous les protagonistes qu’elle croque et qui sont tellement expressives que parfois, elles rendent superflus les dialogues.

Un glossaire en fin d’album permet à tout un chacun de mieux se familiariser avec les troubles du neurodéveloppement qui touchent deux millions de personnes, enfants et adultes.

Un récit mis en images de fort belle manière qui, assurément, changera le regard du lecteur sur cette maladie après qu’il ait refermé le livre.   

LA TÊTE DANS LES NUAGES Emmanuelle FRIEDMANN/Céline BAILLEUX éditions SOLEIL 128 pages, 19,99 € 26/02/2025

Bernard LAUNOIS

Il aura fallu 30 ans et 25 albums pour que le rêve de Jean-François se réalise enfin, celui de réaliser un western et ce de fort belle manière. Tous les ingrédients du suspense sont là, et dès les premières pages on se demande comment va pouvoir faire le lieutenant Norman Pyle, un jeune officier nouvellement promu. Les autorités militaires lui ont confié la lourde charge de ramener à la raison son frère ainé l’ex colonel Adam Pyle, retiré des affaires militaires mais résolu à faire régner sa propre loi par la terreur, jetant du coup l’opprobre sur l’honneur de l’armée des Nordistes en semant la terreur à la tête d’une bande de renégats.

La tâche s’avère ardue pour Norman qui n’a guère connu son frère âgé de plus de dix ans, ne sachant même pas si Adam va le reconnaitre voire, compte tenu de ses dernières exactions, s’il se laissera seulement approcher. Ainsi commence sa quête vers l’inconnu, vers ce frère qu’il a admiré enfant, dans un road trip des plus aventureux en suivant avec un convoi de colons la piste de Santa Fe.

C’est sur le roman Cœur des ténèbres de Joseph Conrad que le duo de scénaristes, Maryse et Jean-François Charles a jeté son dévolu en en réalisant une libre adaptation. Si l’exercice apparait des plus difficiles, ne serait-ce déjà parce qu’il leur aura fallu l'adapter avec les codes du western, ces formidables conteurs ont su tirer toute la quintessence du roman et le sublimer de la meilleure des manières.

Reste à le mettre en image et là c’est Jean-François Charles, le peintre de talent qui entre en jeu et ce, avec quelle maestria, inaugurant une nouvelle technique qui combine sur une toile prévue pour la peinture à l’huile, une peinture acrylique appliquée directement sur le crayonné. De l’expression des visages des protagonistes aux superbes décors de l’Ouest sauvage tout illuminé d’un écrasant soleil, le lecteur va se transporter dans un univers dur et impitoyable.

Enfin et pour prolonger la magie de l’album, rien de tel pour le régal des yeux que d’admirer le dossier graphique de 15 pages, entre les crayonnés et les aquarelles toutes aussi belles les unes que les autres.

Voilà une belle entrée dans cette collection Signé toujours aussi prestigieuse des éditions Le Lombard !

AU CŒUR DU DÉSERT Maryse et Jean-François CHARLES Collection Signé éditions LE LOMBARD 104 pages, 18,95 € 14/03/2025

Bernard LAUNOIS

Comme disait le petit Gibus dans le film La guerre des boutons, « Si j’aurais su, j’aurais pas venu ». Cette célèbre réplique, Parker aurait pu en faire une parfaite maxime sans cesse répétée alors qu’il vient d’échapper à son exécution en bonne et due forme.

Dans les activités de cambriole et de braquage de banque, Parker fait assurément partie des meilleurs mais dans le dernier fric-frac bancaire, il n’avait pas mesuré que le seul complice avec lequel il n’avait jamais travaillé auparavant, décide de garder le magot pour lui tout seul. Remis de ses émotions et la rage au ventre, il se jure que s’il le faut, il traversera l’Amérique de long en large pour récupérer sa part et régler son compte à ce salopard qui a tué ses deux compagnons de virée.

Suivant un rythme des plus effrénés, le lecteur va suivre la traque de Georges Ulh, le traitre qui se sait recherché par Parker et qui va tout faire pour brouiller les pistes.

Doug Headline possède de nombreuses cordes à son arc comme notamment celle de journaliste, directeur de collection, éditeur, réalisateur de fictions… Mais c’est celle de scénariste qui est à retenir ici avec une belle adaptation de The Sour Lemon Score de Richard Stark. Devant un récit bien ficelé, alerte, où le suspense s’avère ménagé, le lecteur retiendra son souffle jusqu’aux dernières pages de l’album.

L’histoire est mise en images par Kieran, dont le dessin semi-réaliste est rehaussé par des aplats de bi-couleurs bleus et noirs qui soulignent le caractère du genre policier.

Avec Parker, les éditions Dupuis inaugurent de fort belle manière un nouveau label dénommé Aire Noire, laissant augurer une digne filiation du label Aire Libre qui a su, au fil des parutions, devenir une référence en matière d’exigence littéraire et graphique.

PARKER LA PROIE Richard STARK/Doug HEADLINE/KIERAN collection Aire Noire éditions DUPUIS 112 pages, 20,50 € 21/03/2025

Bernard LAUNOIS

Des vacances au soleil en Andalousie même en pleine basse saison lorsque les touristes en villégiature se comptent sur les doigts de la main, beaucoup en rêvent et Saïd l’a fait.

Mais se terrer seul dans une station balnéaire dépeuplée, sortir pour aller chercher de quoi se substanter, ne jamais emprunter le même chemin, changer systématiquement de terrasse de café à chaque sortie, cela ne ressemble pas vraiment aux habitudes d’un touriste des plus ordinaires. Et quand l’on voit qu’il s’assure que son pistolet reste toujours à sa portée, on se dit que ses attitudes n’ont rien d’anodin.

Seulement, des éléments inattendus vont finir par troubler la routine qui s’était gentiment installée. Voilà que la résidence qu’il occupait jusque-là déserte, ne va pas tarder à compter un touriste au demeurant fort sympathique mais qui, au fil des jours, va se révéler rapidement très envahissant.

Partagé entre le besoin impératif de se renfermer sur lui-même du fait de sa situation ou de s’ouvrir à cet étranger, lui qui crève de solitude depuis déjà bon nombre de semaines, quel cruel dilemme.

C’est avec un récit silencieux que le talentueux scénariste Mark Eacersall démarre son histoire, laissant la pleine place au dessin réaliste de James Blondel pour planter le décor et l’atmosphère plutôt pesante sous le soleil de plomb malaguène. Cette technique, plutôt efficace, demande au lecteur de s’attarder sur chaque case afin d’en tirer la substantifique moëlle en scrutant chaque parcelle pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants du scénario qui se déroule sous ses yeux.

Les aplats de couleurs, souvent sombres, technique régulièrement utilisée entre autres par le dessinateur Brüno, accentuent le côté oppressant de la fiction.

Du bon polar à lire sous les frimas de l’hiver pour rêver ou se faire peur.

CALLE MALAGA Mark EACERSALL/James BLONDEL collection GRAND ANGLE éditions BAMBOO 72 pages 16,90€ 26/02/2025