Revoir Comanche, prix coup de cœur de Quai des bulles 2024, rencontre un vif succès qui méritait de revenir avec son créateur sur la création de cet album, son attachement à la série Comanche et plus particulièrement à l’album Le ciel est rouge sur Laramie.
Revoir Comanche peut se lire sans que l’on connaisse la série mais n’aviez-vous pas derrière la tête, de donner l’idée au lecteur de plonger ou replonger dans cette série mythique ?
En fait, c’était important pour moi de faire un livre qui pouvait se lire indépendamment de la série Comanche pour la simple et bonne raison que j’avais envie de travailler sur le mythe et travailler sur la mémoire. Et travailler sur quelque chose qui s’est passée, on ne sait pas si c’est vrai, c’est faux. Après, je considérais que tout ce qui avait été écrit par Greg et dessiné par Hermann était une histoire vraie et à partir du moment où je dis que ça, c’est une histoire vraie, il y a déjà un paquet de flingues et de cadavres qui trainent sur la route… Et à partir de ce moment-là, j’ai commencé à avoir un début d’histoire, de quelqu’un, avec qui ont vit avec ça. Comment vis-ton après 50 ans à avoir vécu ça ? Et c’est ça qui m’intéressait, de raconter la dernière piste, la dernière route d’un homme et surtout qu’est-ce qu’on fait de ça, qu’est-ce que l’on laisse, qu’est-ce qui restera de tout ça et, qu’est-ce qui restera de nous ?
Comment vous est venu l’idée d’imaginer un opus qui reviendrait sur une série culte telle que Comanche, série écrit par Greg et dessiné par Hermann, puis Michel Rouge ?
Très simplement, il y a 2 ans, on me propose de rejoindre le mook, journal de Tintin spécial 77 ans et, c’était pendant le repas, le nom de Comanche arrive à mes oreilles et très vite, je commence à avoir une histoire et à la fin du repas, je savais que j’avais une histoire de plus de 6 pages. Mais au lieu de ça, je propose plutôt à mon éditeur de faire un livre sur Comanche plutôt que ces 6 pages où je choisirais un autre héros. Et 2 ans après, voilà le résultat !
Qu’est-ce qui vous a marqué dans cette série pour vous donner l’envie de faire un récit alors que les personnages sont au crépuscule de leurs vies ?
Bah, la fameuse dernière page du Ciel est rouge sur Laramie, évidemment ! Le moment charnière dans la bd franco-belge où un héros du journal Tintin va abattre froidement un homme désarmé.
Il fallait l’oser, à cette période-là…
Exactement, quelqu’un sans arme qui meure dans les poubelles. Et là, j’avais un départ d’histoire avec ça.
C’est vrai que Greg était un formidable conteur associé à Hermann, un remarquable dessinateur, le duo était plutôt fantastique.
Complètement.
Quels arguments donneriez-vous pour donner envie de lire votre bande dessinée ?
Faites-moi confiance ! (rires)
C’est évident pour ceux qui vous connaissent mais pour ceux qui vous découvre… Je suppose que vous avez déjà des retours sur le ressenti des lecteurs ne serait-ce que lorsque l’on voit le succès en séance de dédicaces
Excellent !
Pour le lecteur qui vous découvre avec cet album, pouvez-vous revenir sur votre technique graphique ?
Pour Melvile, j’ai travaillé de manière traditionnelle, au fusain et au feutre. Je travaille tous mes flous au feutre puis je reviens, petit à petit, dans les détails avec du fusain, beaucoup de matière du fusain. Et puis, il se fait que je suis en train d’adapter Melvile pour le cinéma d’animation, le film sera terminé d’ici 2 ans mais j’ai dû beaucoup, beaucoup, travailler ce que l’on appelle la bible graphique du film pour rendre ce fusain animable et ce, de manière numérique. Et donc, on y est arrivé et c’est fort de cet enseignement-là que j’ai utilisé cette technique. Pour cet album, c’est donc du fusain numérique, de brosses que j’ai créé, de matières que j’ai créé.
Ce qui a changé aussi, c’est mon rapport à la narration, au scénario parce qu’en plus du film, j’ai développé, en tant que showrunner, une série télé qui se tourne en live au printemps, à Bruxelles. J’ai travaillé 3 ans sur le scénario avec un co-scénariste qui s’appelle Olivier Teulé. Et me confronter à l’écriture sérielle pour la télévision a complètement changé ma manière d’écrire. Et donc, je pense qu’il y a dû avoir…
C’est des contraintes…
Des contraintes, des codes aussi, de travailler en 4 actes, par exemple, chose que je reprends dans le livre. Par exemple, à la fin de l’acte I, on sait que l’aventure commence, on sait que l’histoire commence que ce soit une romance, de la SF, voire un film d’horreur, la fin de l’acte I, les choses commencent. Voilà des choses que j’ai intégré dans ma manière d’écrire.
Pour certaines cases, on sait que ce n’est pas une image et pourtant ça y ressemble, c’est bluffant !
Mais, je me suis beaucoup inspiré de photos de Walker Evans, par exemple. Dorothéa Lange. Je regarde le cadrage, la matière aussi. Le grain de ces pellicules que j’essaie de reproduire dans le dessin.
Être et avoir été ? Vaste et grave sujet auquel tout être humain est amené à se poser et ce, souvent quand il y a une rupture entre ce que l’on pouvait avant et que l’on ne peut plus, est-ce aussi ce thème que vous avez voulu aborder avec Red Dust, le personnage principal ?
Complètement ! En fait, depuis la fin de Melvil et le début de Revoir Comanche, j’ai perdu mon père qui était quelqu’un. On a tous un père mais ce père-là était très important pour moi. Il a été aussi auteur de bande dessinée et il a formé beaucoup de gens. Il a créé une école, dans le sens large, en termes de bande dessinée et je ne suis pas insensible au fait que l’on pourrait l’oublier. Et donc, bah ça questionne : être ou avoir été et toute la question est là !
Il me semble que Red Dust du récit ressemble furieusement à Hermann aujourd’hui, me trompais-je ?
Eh bien non, détrompez-vous ! Je pense que c’est totalement inconscient parce que j’avais en tête, Jim Harrison mais je me suis planté ! (rires) En plus, je n’aurais même pas osé y penser, le mettre en scène. Déjà, je lui prends ces personnages alors si en plus, je le crapahute dans le désert…
Alors, vous lui avez parlé de votre projet ?
Jamais ! Et il a eu l’élégance de voir ça à distance. Je suis au courant qu’il a beaucoup apprécié, je pense qu’il était rassuré que ce soit moi qui s’en occupe parce qu’il avait lu Melvil ou du moins, il avait vu les planches et il savait que je n’allais pas faire la même chose que lui et ça, c’était quelque chose d’important à ses yeux. De faire quelque chose de nouveau, d’inventer et d’apporter autre chose.
De faire revivre aussi une série…
Bah, Oui !
C’est important, d’autant plus qu’il a dessiné beaucoup d’albums depuis cette série
Je me rends compte que c’est une série que personne n’a oublié ! Cette série est fondatrice de beaucoup de choses notamment avec ses dernières pages du ciel est rouge sur Laramie.
50 ans après Le ciel est rouge sur Laramie, les héros sont au crépuscule de leurs vie, le mythe du Far-West a disparu depuis longtemps et la toute splendeur de l’Amérique en a pris un coup. Au travers de ce récit, vouliez-vous rappeler cette période révolue ?
Ce qui m’intéressait en fait, c’était de parler de la fin d’un monde mais d’une manière générale. La fin du monde de Red Dust qui a connu le monde dit de la frontière, Far West, du champ du possible. On ouvre l’espace et la frontière recule de plus en plus. Faut savoir que lui, au début de l’histoire, il est allé au bout de la frontière, c’est-à-dire l’océan pacifique, le bout de l’ouest, c’est la fin de son monde à lui. Mais dans les pages de Revoir Comanche, il y a des pages forward qui annoncent la fin du monde de Vivianne aussi et la fin du monde du fils de Vivianne aussi. Donc, ça parle de la fin du monde que l’on connaitra tous, même si c’est dans notre petit monde, on le vivra quoi qu’il en soit. Je dis souvent, on est dans un train et à un moment, on nous demande de descendre et quelqu’un prend notre place et le train repart. C’est une mélancolie tragique et heureuse en même temps mais vous savez comment l’on dit condamné en 2 lettres ? Né… Tout est dit dès le premier cri parce qu’on est condamné.
Les premières paroles de Ghosteen sur la beauté du monde, titre de Nick Cave sont reproduites en premières pages de l’épilogue. Fait-il partie des titres que vous avez écouté en réalisant ce récit ou simplement pour illustrer ces dernières pages ?
Toutes les citations, ceux sont des choses que j’écoute quotidiennement : Nick Cave, Bob Dylan, Léonard Cohen, Joan Baez, Jim Morrison, les Doors et qui ont nourri ce récit et après, j’ai composé moi-même les génériques du début et de la fin que l’on peut retrouver sur Spotify grâce au QR Code de l’album. J’ai toujours travaillé en musique et j’ai toujours été musicien. Ma fille, lorsqu’elle était à l’école toute petite, ne disait pas que je dessinais des bd mais que je racontais des histoires et c’est mon métier. Je raconte des histoires en bd, en film, en série et en musique, c’est pareil. Les citations de Ghosteen, l’ouverture avec Léonard Cohen, écoutez ce morceau sur son album posthume, tout est dit ! Et il me semblait, que terminer en épilogue avec The word is beautiful… Vous aurez remarqué qu’il y a un disque dur ensablé, la fin du pétrole, la fin de l’ère numérique qui est annoncé aussi, tout disparaitra.
« Je pense que les pirates, par définition, sont des gens qui vivent en marge de la société, c’est pour ça qu’ils fascinent depuis toujours, c’est qu’ils arrivent à créer des systèmes alternatifs ».
Bonjour Mathieu,
Je vous avais interviewé, ici même à Quai des Bulles, en 2022 pour le tome 2 de Raven et j’ai tenu à revenir avec vous sur cette série Raven qui aura tenu en haleine le lecteur pendant près de 5 ans.
Oui, c’est une série qui avait une vraie idée directrice derrière ça, pourquoi je suis revenu sur le mythe des pirates, il y avait une vraie raison derrière et un vrai thème que je voulais servir et il se trouve que l’univers des pirates s’y prêtait bien. C’était une bonne occasion de revenir chez les pirates, les flibustiers.
Quels arguments donneriez-vous pour donner envie de lire Raven, la série en 3 tomes ?
Je pense que les pirates, par définition, sont des gens qui vivent en marge de la société, c’est pour ça qu’ils fascinent depuis toujours, c’est qu’ils arrivent à créer des systèmes alternatifs. C’est toujours des gens qui ont été chassés, qu’ont été condamnés, qu’ont été vendus et rejetés et qui se fédèrent comme une espèce de bande de marginaux basés sur leurs seules compétences, la camaraderie pour essayer de s’en sortir dans la vie et de trouver un système alternatif loin de ce que le monde des hommes a créé pour la sécurité, le progrès, les avancées, etc… Il faut qu’ils se débrouillent en dehors de tout ça. Et donc moi qui voulait parler d’un thème qui m’est assez cher, qui est la liberté, ce que veut dire être libre, ce que l’on gagne en étant libre mais aussi ce que l’on perd en étant libre. Je voulais traiter de ça parce que l’on parle de ça un peu à tort et à travers et c’est un thème passionnant. On aspire tous à plus de liberté, à plus de libre arbitre. Néanmoins, il faut prendre conscience que le fait de vivre en société, dans un cadre, pouvoir compter les uns sur les autres, pouvoir être interdépendant, de pouvoir savoir que si l’on a un problème, on n’est pas complètement livré à soi-même. Que d’autres peuvent avoir besoin de vous, que donc vous comptez pour des gens sont des choses très fondamentales qui sont l’ennemi complet du principe élémentaire de liberté. Donc, il faut donc savoir que la liberté est synonyme de solitude et qu’il faut être prêt à ça. Et que c’est une balance, entre savoir dans quelle mesure l’on est prêt à s’assumer intégralement seul par rapport à ses libres arbitres ou dans quelle mesure, l’on a besoin d’être aimé par les autres, d’aimer les autres, d’accepter des compromis et de vivre ensemble.
Cette série de 3 albums traite de ça et exclusivement de ça. De ce que ça veut dire pour une société constituée, les Montignac et pour deux types de pirates très différents, à savoir Darksee qui est une pirate dont l’objectif est clair et précis et donc un équipage et Raven qui lui, jouit d’une liberté totale, qui est donc seul. Et pourquoi est-ce que l’on vit ça, pourquoi l’on ait dans cette situation-là, est -ce que l’on le comprend, est-ce que l’on peut agir par rapport à ça ? Et donc pour moi, cette série est l’occasion de mettre en scène ces trois grands archétypes : l’archétype social, l’archétype de la solitude et l’archétype du projet libre mais communautaire, basé autour d’un projet ; c’est-à-dire du franc- tireur : Darksee étant ce profil-là, Raven étant la liberté absolue et les Montignac étant celui du social.
Quand vous avez-commencé cette série en 2019, saviez-vous déjà quelle fin vous alliez lui donner ?
Oui, j’étais déjà allé dans les pirates avec Xavier Dorison sur John Long Silver et on avait traité d’une aventure et c’était une série formidable d’aventure parce que l’on racontait l’histoire d’une femme qui se dégageait du carcan patriarcal pour se libérer et vivre totalement en assumant le risque de sortir de tout schéma et d’aller vers un objectif…
Une notion de liberté là aussi ?
Tout à fait, totalement en liberté, c’était totalement pirate mais aventure. C’est-à-dire qu’elle avait besoin de gens habitués à gérer des systèmes décalés en allant voir les pirates parce que la société allait lui mettre des bâtons dans les roues, voir la pourchasser alors que les pirates allaient lui donner sa chance. Et donc, ils étaient dans une association de respect, d’admiration, voire de fascination pour Long John, pour cette femme qui osait de l’audace comme lui ne l’avait imaginé. Et là, je voulais repartir là-dessus pour traiter ce que veut dire précisément ce qu’était le prix de la liberté, ce qui n’était pas le sujet de Long John Silver.
Maintenant, je pense que j’ai un peu fait le tour de mon sujet avec les pirates car j’ai fait les deux thèmes qui me paraissaient coller à cette mythologie pirate et à l’esprit de ces gens-là.
Pourtant sur la fin de la série, vous donnez l’espoir qu’il va y avoir une suite ?
Oui, parce qu’à la fin, je fais une sorte de reset, je ne révèle rien mais je montre les avantages et les inconvénients de chacun des deux systèmes et voilà maintenant, je dis que chacun a compris qu’en gros Raven apporte une vitalité et une spontanéité, un amour de la vie que Darksee a complètement perdu et Darksee amène un projet, une construction et un objectif qui fait qu’on peut se fédérer, faire des choses à plusieurs. Darksee peut dire ce qu’elle va faire dans un mois alors que Raven est incapable de dire ce qu’il va faire dans 5 minutes. Et ça fait toute la différence pour moi, d’un rapport à l’autre, l’un a besoin d’avoir des projets vis-à-vis de vous et de ce que vous êtes, de ce vous proposez. Alors que si vous êtes absolument dans l’improvisation permanente, personne ne peut se lier à votre projet puisque vous ne proposez pragmatiquement rien. Et ça, ils le comprennent et l’un et l’autre et ils exercent une fascination l’un sur l ’autre. Ils sont d’ailleurs très proches et physiquement ils pourraient être frère et sœur mais simplement, ils suivent des philosophies différentes avec des résultats aussi très différents. Et maintenant que ça c’est fait, il y a des tas de possibilités de décliner ça mais qui sont laissés à l’imaginaire des lecteurs. Que va devenir Raven une fois qu’il aura accompli un certain nombre de choses, que va devenir Darksee maintenant qu’elle a plus son projet initial et que tout a été reseté, elle a appris à voir les choses d’une manière différente. Comme je suis un éternel optimiste, j’aime bien l’idée que l’on puisse se sortir de ces carcans et de ces systèmes pour grandir, progresser…
Ce sont des personnages intelligents…
Ils ont une certaine beauté, à leurs façons. C’est-à-dire que dans le 3, je raconte le trauma initial de Raven et pourquoi il ne peut faire confiance à personne, pourquoi il détermine que c’est le seul à pouvoir se sortir de ses problèmes.
Et ça permet ainsi de comprendre les attitudes qu’il a eu dans les deux albums précédents…
Exactement, qu’en fait, il refuse tout lien sérieux avec les autres, parce que les autres sont liés à une trahison potentiel, à venir et qu’ils ne sont pas fiables et que donc, on doit se débrouiller par soi-même. Alors que Darksee, dans un projet très différent, je suis dans la m…de, vous êtes dans la ….de, ensemble, on va s’en sortir ! Ella a une attitude très constructive. Elle subit un projet, elle déteste son statut de pirate et veut s’en sortir au plus vite alors que lui aime être la liberté, aime être pirate. Tout ça va être fracassé sur le mur du réel dans cette série.
Raven, le pirate flambeur, vantard, pas souvent courageux… Mais homme de grand cœur, cette définition correspond-t-elle à votre personnage principal ?
Oui, ça correspond ! C’est d’ailleurs montré dans la première scène qui est une scène tragicomique où il est engagé par un équipage pour aller attaquer un autre navire et faire partage de butin, ce qui devrait se passer parfaitement bien vu qu’il a les compétences pour ça. Il est d’ailleurs estimé par un certain nombre, notamment par le capitaine mais voilà, la liberté fait que l’on ne se tient pas à un plan. La liberté fait que si l’on n’est plus d’accord avec ça, et bien on change d’avis. La liberté fait que si on n’a plus envie d’arriver à l’heure, on n’arrive pas à l’heure. La liberté fait plein de choses qui font que les autres ne peuvent pas vous supporter, on ne peut compter sur vous puisque vous n’êtes pas fiable. Et donc, il refait un arbitrage, est-ce ça m’intéresse de partager le butin ou sauver cette fille qui va se prendre tout l’équipage sur la figure ? Bien, je préfère sauver cette fille et donc trahir l’intégralité de mes alliés. A cet instant-là, c’est ça qui me parait juste ! Quand vous faites ça moi, ça me pose un problème pragmatique que je trouve intéressant. De conscience, est-ce que l’on doit s’en tenir à son plan et faire une saloperie, quelqu’un de fiable mais un salopard ou est-ce qu’il ne fut pas être un salopard mais trahir tous les autres ? Moi, je n’ai pas de solution à ça.
Quand on parle en gens de société, effectivement on dit qu’il s’était engagé, qu’il doit donc aller au bout de son projet sinon il n’est pas fiable. D’accord, cela veut dire, être cinquante à violer une nana et est-ce que l’on est bien d’accord avec ça ? bah non ! Donc, je vous laisse avec ce problème. Et moi, comme je n’ai jamais pu faire les arbitrages de cette nature, j’ai donné mon arbitrage qui dit qu’il est hors de question que les gars passent sur cette fille. Et tant pis pour le plan, tant pis pour le projet. Donc, je ne suis pas fiable mais je l’assume ! Mais c’est un problème de conscience qu’il faut savoir assumer parce que je ne trouve pas que ce soit si simple. Tout le monde parle de ça comme si c’était une formalité et je ne trouve pas que ce soit si évident que ça. Ma série parle donc de ça : tu es libre, d’accord, mais tu penses que tu es quelqu’un de fiable, que tu es quelqu’un de sérieux ? Voilà ce que cela veut dire, qu’est-ce que tu fais dans ce cas. Cela m’intéresse ces questionnements, ce n’est pas une provocation de ma part. Je trouve ça considérable, colossale. Je trouve que l’on brandit beaucoup ce terme et qu’il faut bien mesurer ce qu’il recouvre. Raven est vantard, il a du cœur parce qu’il va toujours suivre ce qui lui parait être juste à l’instant T et rien que le fait de faire ça prouve que c’est un homme libre mais un homme absolument pas fiable.
Instinctif…
Instinctif, intuitif parce que la vie est mouvante, que les choses évoluent en permanence et que par définition la fiabilité, c’est savoir se tenir à une parole et que la parole va être modifiée par les paramètres qui vont évoluer et donc, si on est fiable, c’est que l’on est borné. Si on est borné, c’est que l’on n’appréhende pas le réel, qu’on refuse les arbitrages moraux personnels. On est fiable par rapport au programme collectif mais on devient un salopard, c’est quasiment mécanique ! D’ailleurs, toutes les saloperies qui ont été faites sur la planète ont été faites du nom que je m’étais engagé, c’est des ordres, etc… Je ne dis pas que j’ai une solution, je dis que c’est un peu confortable d’avoir des opinions radicales là-dessus parce que ce n’est pas simple.
Cette série Raven vous revient totalement, que ce soit le scénario comme le dessin et la mise en couleurs et après ces 3 tomes, comment cela s’est-il passé ? Allez-vous recommencer à être seul maître à bord ?
C’est amusant, je pense que Raven a été fait avec un cahier des charges thématique, on avait cette parabole, j’avais envie de parler de ça et je l’ai fait sur une méthode qui est un peu la méthode que je pense que l’on fait depuis les années 90-2000 où l’on fait un découpage sous forme d’album qui sont définis par un programme éditorial, de délais de parution, de nombre de pages. Un format qui a été inventé dans les années 80. J’ai eu le sentiment, au fur-et-à-mesure que j’avançais dans cette série que j’avais évolué dans mes ambitions et que je n’arrivais pas forcément à faire rentrer tout ce que je voulais faire rentrer dans ce format-là. Alors, je l’ai fait, en gagnant de plus en plus de pages au fur-et-à-mesure.
Cela fait partie des questions suivantes…
On pourra développer… Mais là maintenant, j’ai envie de… Comment dire, à partir du moment où il faut faire rentrer, ce n’est pas toujours facile de réaliser à quel point c’est difficile de faire rentrer un récit complet avec tous les personnages, les actions, les conflits, le traitement des atmosphères, des états d’humeur. C’est assez ambitieux et au bout d’un moment on se demande pourquoi on est obligé, on passe autant d’énergie à tronçonner et à mettre au point les ellipses qu’à véritablement développer les scènes parce qu’elles doivent toute rentrer dans trois pages maximums parce qu’on a une moyenne de 15 à 22 scènes par album.
Historiquement, c’était le format de 48 pages pour des raisons techniques d’impression
Effectivement mais ces contraintes ont beaucoup changé notamment grâce à l’évolution de la bande dessinée ces dernières années. Maintenant, je dirais même que les lecteurs et les éditeurs sont très demandeurs de livres plus littéraires, plus ambitieux, plus fouillés de prendre la place de dire les choses, en tronçonnant moins, en jouant moins l’ellipse et en allant plus dans le traitement des humeurs, le traitement des particularités, de ce que l’on a comme regard d’auteur en fait. Un peu moins optimiser mais en laissant plus cours à ses envies et ses intuitions. J’ai envie d’aller là-dedans et donc de raconter des choses, sans doute, du même ordre parce que je reste quelqu’un qui aime l’aventure, le genre mais en prenant plus de place, de dire les choses d’une façon plus approfondi.
Et donc, vous allez rester, seul maître à bord ?
Ce n’est pas obligatoire. J’avais un thème personnel dont je voulais parler et je ne voulais pas embarquer un scénariste là-dedans, je ne voulais par faire une commande. Ce n’est pas par volonté de contrôle, c’est juste que j’avais juste une histoire à faire avec des pirates.
Maintenant, c’est merveilleux d’être inspiré par le texte de quelqu’un, c’est merveilleux d’avoir le droit de faire des allers-retours et d’emmerder quelqu’un du matin au soir, d’avoir un projet commun et ça me manque quand je travaille seul. Chaque fois que j’en parle à ami, j’ai l’impression de lui prendre du temps, de l’emmerder. Travailler avec Xavier (Dorison ndlr) est un bonheur de chaque jour, c’est un mec génial, adorable, compétent, ça me manque. Donc, retourner vers une collaboration, avec grand plaisir ! Cela sera vraiment lié à l’ambition et la vision du projet. C’est-à-dire, quelqu’un qui voudra fouiller davantage, qui veut prendre le temps de dire les choses d’une autre façon, passer un petit peu de ce que l’on a pu faire dans les années La quête de l’oiseau du temps, les passagers du vent à La balade de la mer salée, Ici même, Le grand pouvoir du chninkel, c’est-à-dire des albums que j’ai aimés passionnément puisqu’ils m’emmenaient dans un univers encore plus vaste. Donc, totalement ouvert et je dirais, de manière plus pragmatique, que c’est souvent une meilleure opération de travailler à deux sur ne bande dessinée parce que ça prend énormément de temps.
Il y a une complémentarité aussi…
En dehors de tout principe de compétence, alors là c’est évident, il y a un plus, c’est une symbiose qui peut se créer et ça, c’est génial ! Mais, tout simplement, en terme de process, c’est génial pour un dessinateur de ne pas avoir éternellement, il y a un phénomène de répétition dans la bande dessinée, il faut concevoir l’idée, il faut faire le synopsis, il faut faire la continuité dialoguée, le storyboard, le crayonné, l’encrage et la couleur et je fais tout ! Ce qui fait qu’au bout d’un moment, je suis tellement repassé tellement sur mon histoire, de ne pas pouvoir en parler, de ne pas avoir de recul, ne pas pouvoir découvrir les scènes, le charme quand le scénariste vous envoie quelque chose, c’est qu’on la découvre et très vite, on la dessine. Ce qui fait que l’on reste le premier lecteur le premier lecteur de la scène. Alors que moi, lorsque je dessine une scène, j’ai déjà passé 3-4 mois dessus à faire la version 1, 2, 3, le découpage, le storyboard… Il y a une plus-value de fraîcheur et puis on est nourri par un point de vue extérieur. Non, ça reste des équipes restreintes, on n’est pas au cinéma. L’idée de se mettre à deux ou trois pour faire un livre, c’est super stimulant.
Et, je suppose qu’il y a un travail avec l’éditeur ?
C’est évident que le regard de l’éditeur est pour moi s’avère très précieux pour moi, voire capital car il suffit de passer une ellipse mal gérée, une réaction d’un personnage qui ne parait pas clair. On oublie ça mais la plupart des grands écrits ont été corrigés par leurs éditeurs qui faisaient le regard extérieur parce qu’ils avaient pragmatiquement plus lu de livres que les auteurs, ils avaient une culture parfois supérieure, un recul et une expertise de qualité de lecture et je trouve ça ultra précieux. J’aime ça, en tant qu’auteur, on est là pour faire passer un propos, on n’est pas des démiurges, on fait ce qu’on peut. Mais le regard extérieur qui dit qu’il voit très bien ton intention mais là attention, je t’alerte sur quelque chose revêt une valeur énorme. Il vaut mieux que ce soit l’éditeur au moment de sa vacation plutôt que les lecteurs le critique et qu’ils s’en rendent tous compte sauf vous. Autre chose, il cosigne le livre, c’est les gens de Dargaud, de Glénat, certains sont là, certains ne sont plus là mais bon… Mais globalement, c’est une cosignature. On doit donc assumer les bons vents comme les mauvais, le fait que l’on se soit tous impliquer et donc c’est ce que j’attends de l’éditeur, c’est qu’il soit également responsable que ça se passe mal ou bien. C’est une collaboration de longue haleine. Après, il y a une réalité pragmatique qui est que le temps n’est pas compressible et quand on fait le calcul très simple du nombre de sorties annuelles par éditeur, vu le nombre d’éditeurs qui sortent effectivement des livres, vous divisez par le nombre et vous constatez qu’il reste très, très peu de temps pour chaque livre, en terme de relecture. Chacun se débrouille, fait au mieux.
C’est important pour un auteur de trouver un éditeur qui lui permette de faire un meilleur travail au sens le plus large du terme. Qu’il le conseille sur les formats, sur les alertes en cours de process et qu’il soit surtout amoureux du livre et amoureux des efforts que l’on fait pour que le livre soit là puisque c’est lui qui monte sur l’estrade pour le proposer, le faire connaître.
Vous précisiez dans notre précédent entretien que vous étiez obligé d’aller très vite car vous n’aviez que 54 pages. Cette fois, le dernier opus en contient 81 pages. Aviez-vous l’intention de clôturer la série, comme Long John Silver, en 4 tomes ?
Non, non, dès le départ il était prévu en 3 et donc, on est à la fin de la fin et il se sépare sur cette note… C’était prévu, il y avait les 3 titres en 3 actes.
Et puis, il y a les couleurs sur la couverture qui allaient en intensité, avec Furies (sous-titre du dernier album ndlr)
Oui, oui, il y a une progression. Bah, avec Furies c’est le moment de la force des convictions qui se heurtent au réel et explosent en vol et comment on essaie de se reconstituer, c’est des choses qui nous sont arrivées. Il y a un moment où nos assises volent en éclat. On a toujours des compétences, des aptitudes mais qui n’ont plus aucune routine, qui n’ont plus aucun process habituel pour résoudre les problèmes. Alors là, Raven le comprend au milieu du tome 3, il comprend enfin la nature de son problème, il se fait secouer les puces et il comprend qu’il n’a que 2 solutions, il fout le camp et continue son ancien système soit il pulvérise son ancien système et ça va l’amener dans une conclusion d’histoire complètement différente des précédentes puisqu’il a agi différemment et que ça a des conséquences immédiates. C’est ça la beauté de la vie, quand on a un problème rémanent, on a une action que l’on génère de manière quasiment systématique, l’action va changer et ça va très vite.
Les furies, elles sont partout, sur le feu qui se déclenchent, sur les pirates qui se rebellent, les autochtones qui tentent de reprendre la main… Il y a une profusion dans ces dernières pages qui apparait apocalyptique je trouve. C’est le foisonnement…
Oui, et ça se termine par l’apaisement ce qui pour moi est important ! Je pense que nous-même, en terme de société, on est à ce moment de la furie, il y a un désir de guerre, un désir de conflit, il y a un désir de tracer des camps. C’est vrai partout, tout le monde le ressent et ça devient comique. Tout le monde créer des conflits de toutes pièces, basés sur rien du tout. On peut toujours trouver des causes, c’est très largement surjoué parce qu’il y a une envie de guerre en fait, au final. Comme je suis scénariste, je sais très bien qu’il faut que tu détermines l’action, l’humeur et l’argument. L’humeur est toujours à l’origine de tout. C’est le même raisonnement qui est à l’origine de l’action, c’est toujours : j’ai une humeur, je vais l’étalonner et je vais la justifier par des arguments, ça va me permettre d’aller jusqu’au bout. Au milieu, il y a un raisonnement mais c’est purement accessoire, c’est uniquement de l’argumentaire. En fait, c’est l’humeur qui conditionne tout et aujourd’hui, il y a une humeur de guerre et donc dans Furies il y a une humeur de guerre. Les autochtones ont été violés sur leur territoire, ils tiennent un moment et puis ils décident quand ils viennent sur le volcan que c’est un manque de respect absolu et que ça nécessite sanction. Puis, il y a Darksee qui a pêché par orgueil et par excès d’ambition a refusé de prendre au sérieux la menace qui a finit par lui péter à la gueule et donc son système a volé en morceaux et Raven a pensé que sa compétence et son charme arriveraient à le sortir de toutes les situations. Il peut s’en sortir, certes mais en étant éternellement malheureux et il va donc falloir qu’il change de système sinon il sera toujours malheureux même s’il a le trésor, la liberté… Chacun va aller à son point de rupture et ça va donner le moment où tout le monde collapse : la société, Darksee, Raven déchainant les enfers.
Raven va même faillir y passer…
C’est des modes de vie où l’on risque sa vie tout le temps, chaque journée est une victoire, c’est une vérité. Mais même en navire aujourd’hui, les outils font que c’est quand même plus aisé qu’avant mais ça reste un vrai problème et les coques de noix qu’il y avait à l’époque, très peu tenaient la route car ils coulaient tout le temps eu égard à leurs fabrications.
Après Long John Silver, Raven, pouvez-vous nous dire pourquoi cette attirance pour les pirates, est-ce parce que comme le dit Darksee, « les pirates ne sont pas des héros »… leurs « fureurs et » leurs «batailles sont le rire désespéré du condamné » ?
Ouais, je crois énormément à ça. Je pense, je ne veux pas faire, en tant que citadin du 21ème siècle, d’analogie quelconque mais j’ai une vague perception que ce peut être l’idée de vivre en dehors des cadres mais il y a un vrai prix à ça. Je pense pourquoi on s’intéresse aux pirates, l’histoire a généré tellement de cas de figure particulier. Pourquoi est-ce les pirates, pourquoi est-ce les cow-boys ? Il y en a quelques-uns qui illustrent quelque chose d’assez fondamental et le pirate représente celui qui n’a pas réussi dans les cadres que la société lui propose, lui impose mais qui va utilisé toute son énergie pour montrer qu’il n’est pas une m..de , c’est-à-dire qu’il vaut quand même quelque chose. D’accord, il ne sera pas agriculteur, pas maçon, pas notaire, pas avocat, rien de tout ça mais il peut faire quelque chose dans certains cadres et y mettre une espèce de volonté que je considère comme désespérée parce qu’elle est forcément condamnée vu que l’on ne peut plus rentrer dans l’histoire. Personne n’écrira votre histoire, vous n’aurez plus de famille, pas d’enfant. Vous êtes condamné de toute façon. Tout ce que vous pouvez faire, c’est que pendant un petit laps de temps, montrer que toute l’énergie et les compétences que vous avez, que vous allez faire chier une dernière fois et que ça va se voir. Il y a un côté anar magnifique là-dedans chez ces bandits mais c’est l’expression de la violence quand un individu est rejeté par le groupe. C’est pour moi, l’épure de ça. Quand un gamin a des mauvaises notes et que personne ne le respecte et qu’il est tout seul dans sa classe et tout seul dans les rues, il voudrait mais il n’a pas les moyens pour faire partie et qu’il dit, c’est mon choix et je le revendique. A la base, je pense que personne ne se coupe du groupe. Honnêtement, c’est trop dur, vraiment douloureux. Quand on est coupé du groupe, c’est soit qu’on est mal à l’aise, trop timide ou que l’on n’a pas les armes pour plaire ou qu’on n’est pas assez bien foutu. Bref, pour une raison ou une autre, le groupe ce n’est pas facile pour vous et donc, plutôt qu’assumer que vous êtes rejeté, vous faites semblant que c’est un choix. Vous prenez une espèce de geste superbe, qui à mon sens est totalement désespéré puisqu’elle n’a pas d’horizon.
C’est une forme de fuite en avant…
C’est une fuite en avant sachant qu’un homme qui vit sans groupe est mort. Ce n’est pas pour rien que l’on ait communautaire, l’efficacité est communautaire. La solitude vous condamne au moindre coup dur. Donc, ce n’est jamais de gaîté de cœur, c’est toujours difficile mais le pirate il parle de ça. Il dit, je suis peut-être un tocard, vous n’avez pas voulu de moi mais vous allez voir que je vaux quelque chose. Et tous les gens qui sont un peu en marge se reconnaissent dans cette espèce d’énergie qu’on sait bidonnée mais parfois, s’avère étayée par de vraies compétences, de vraies fulgurances. Ces gens savaient faire des choses que les autres ne savaient pas faire. Faut quand même pas l’oublier, ils pouvaient vraiment s’emparer à 20 d’un navire de 100 personnes et traverser les océans avec des appareillages extrêmement restreints sans avoir une formation que le capitaine pouvait avoir. Ils pouvaient se sortir de mauvais pas incroyables, c’étaient des combattants uniques. Ils avaient des boucaniers qui pouvaient tirer sur de grandes distances des hunes, fallait quand même le faire !
Il fallait quand même qu’ils structurent un peu sur les bateaux, que chacun ait son rôle…
Non seulement ça mais au-delà de ça, ils étaient démocrates, ce qui étaient les premières sociétés démocrates de l’époque, c’est-à-dire que l’on pouvait élire le capitaine comme le destituer, ce qui n’était pas le cas dans les marines anglaises, espagnoles ou encore françaises. Ils respectaient la compétence, pas la naissance évidemment. Or, chez les pirates, il y avait des aristocrates, des défroqués, des esclaves, tout ce qu’on voulait mais ce n’était que la compétence qui prévalait. On a mis des années à reconstituer le système mais d’une certaine manière, ils ont préfiguré les règles de 1789. Ils étaient en avance là-dessus et d’ailleurs ils ont fait des sociétés utopiques, il y avait l’histoire de Misson à Madagascar mais il y en avait d’autres. Parce que, assez vite, ils arrivaient à l’idée que, et ça c’est quelque chose que l’on retrouve dans le mythe de l’Ouest américain, pourquoi l’on est aussi fasciné par ça parce que débarrassé du nom, débarrassé de la naissance, de la notabilité, de la respectabilité avec une société établie, on redevient juste à qu’est-ce que tu peux faire avec tes mains ? Est-ce que tu es capable de labourer, de construire une baraque, as-tu du bon sens, est-ce que tu vas être utile dans une société ? Mais là, on est à l’os et à un moment, lorsqu’on n’est pas dans les hautes sphères bah, ça fait du bien de se sentir que l’on a peut-être sa chance dans ces moments-là. C’est très fédérateur les chez les pirates et chez les cow-boys.
J’ai fait aujourd’hui les deux grandes histoires sur les pirates, j’aurais eu une belle histoire à raconter sur Darksee : pourquoi est-ce qu’elle comme ça, pourquoi est-elle marquée aux fers, pourquoi a-t-elle cette colère en elle ? Je sais tout, j’ai tout écrit, on verra si on le fait. Je verrais ça avec Dargaud mais pour l’instant, nous sommes sur la clôture de Raven. Je voulais parler de la liberté, je l’ai fait ! Et maintenant, je vais me détendre un peu.
Je pense que lecteurs vont vous poser la question de savoir s’il y aura une suite ?
La fin est assez ouverte. D’ailleurs, pour la petite histoire, Dargaud était assez hostile à l’idée que la fin soit aussi ouverte, il voulait quelque chose de plus clos mais moi pas, parce que je veux raconter un jour, raconter ces histoires-là. Raven, on peut considérer que j’ai expliqué d’où il venait et pourquoi il était comme ça mais Darksee, il y a un chapitre intéressant à développer sur elle parce qu’elle n’est pas arrivée là par hasard.
« Je voulais raconter une histoire avec un F14 Tomcat qui est un avion magnifique, mythique, le héros de mon enfance »
Quels arguments donnerais-tu pour donner envie de lire Tomcat ?
Ne pas se fier à la réputation embêtante qui dit que les bd d’avions, que un, c’est forcément pour les garçons, que deux, c’est forcément pour les geeks qui lisaient les Buck Danny de leurs grands-pères et que c’est un genre comme un autre. Une bonne histoire, c’est une bonne histoire. Que ce soit une bd de pirates ou de cow-boys, si c’est super bien fait avec passion et amour, ça peut faire des albums intéressants pour tout le monde.
J'ai une dame qui est venue me voir et qui m’a dit « Écoutez, j’y connais rien en avion, j’en ai rien à faire mais j’adore cette histoire car c’est une femme qui se bat dans un milieu d’hommes. C’est une histoire féministe et même s’il y a des missiles, du kérosène et des boulons, ça n’empêche pas de faire une bonne histoire intéressante.
Comment s'est fait la rencontre avec Anastasia et comment avez-vous travaillé avec elle ?
Alors, Anastasia, c'est suite à ma collaboration pendant seize ans avec Yann, qui s'est très bien passé, très bien fini, il n’y a pas eu du tout de friction, rien du tout, j’avais fini Angel Wings, cela faisait 8 ans que j’étais sur le même personnage et j’avais envie de changer un peu d’air. Et je cherchais par contre, la perle rare qui est un ou une scénariste qui aime les avions. C’est compliqué, même Yann me disait qu’il y avait des dessinateurs que ça embête. Lui adorait ça mais c’est comme faire une histoire de voitures, une histoire de western, si l’on n’aime pas ça à la base, c’est compliqué !
En plus, souvent dans les histoires techniques comme ça d’aviation, l’avion et toute la technicité du vol qu’il y a autour, l’histoire de l’aviation, comment vole un avion, pourquoi, quels sont les pannes, les défauts, les qualités amènent des éléments de scénario aussi. Yann me disait qu’à l’époque, que le Panther à l’époque, quand il tirait, ils n’avaient pas mis d’évent pour les gaz et du coup, les nez explosaient. En fait, les mecs tiraient et au lieu d’atteindre leurs proies, ils se retrouvaient à être les cibles. Tout ça pour dire, que les trucs techniques amènent des scénarios. Donc, il faut un scénariste qui aime ça. Et Anastasia que je ne connaissais, qui ne venait pas du tout de la bd. C’était dans mon studio à Paris, j’ai une copine qui est scénariste pour des séries télé, dans l’animation à qui je parlais de mon désarroi de ne pas savoir avec qui bosser maintenant et qui me l’a présentée.
Moi, j’ai toujours bossé avec un ou une scénariste parce que je considère que c’est un vrai métier. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait par-dessus la jambe. Je fais déjà double casquette avec le dessin et la couleur. Je ne sais pas raconter des histoires et surtout les dialogues. Elle m’a dit « il y a Anastasia, ces parents sont tous les deux pilotes, elle fan d’avion et elle aurait rêvé de faire un Angel Wings. Je l’ai rencontré et ça ç’est super bien passé. Après, c’était vraiment un truc à quatre mains, ce n’est pas son scénario que j’adapte. On a travaillé ensemble. Par exemple, c’est moi qui ai eu l’idée, bah attends, il y a deux histoires. Parce que l’idée, c’était que je voulais raconter une histoire avec un F14 Tomcat qui est un avion magnifique, mythique, le héros de mon enfance. C’était Top gun, c’était ce qui m’a donné la passion de l’aviation. Mais je cherchais une histoire encore un peu fictive mais bon, je risquais de tomber dans les écueils de Top gun, du film. Et puis, je me suis renseigné et j’ai vu qu’il y avait un avion qui avait fait deux trucs mythiques et je me suis dit, pourquoi ce ne serait pas de raconter l’histoire de cet avion même si les deux histoires n’ont pas grand lien, ça raconte la vie de l’avion. Et donc, c’est parti comme ça, et l’idée que j’ai eue, c’est de dire que c’est l’avion qui raconte sa vie. L’avion va se scratcher et comme un humain, quand on va mourir, votre vie se déroule devant vos yeux et on commence comme ça. Et l’idée de base pour pas faire un truc barbant parce que c’est très technique, c’est un combat aérien qui se déroule dans les années 80, c’est très missiles, radars et du coup, ça peut être complétement abscon ou rébarbatif et du coup pas intéressant. Et en fait, l’idée était de se dire que c’était l’avion qui a des émotions qu’il raconte en voix off et les humains aux commandes sont à la limite plus des robots, ils sont très techniques. C’est marrant de prendre le truc à l’envers et les tous premiers lecteurs de l’album sorti en avant-première à Saint-Malo disent étrangement que l’on s’attache à l’avion et c’était mon but ultime. Pour moi, je suis tellement passionné d’avion que de voir un avion mythique, un avion que je n’ai jamais vu, ça peut me faire pleurer. C’est débile mais j’ai un tel amour de l’aviation. Et le but, c’était que l’on arrive à se lier avec cet avion. En plus, il y a plein de choses qui se sont rajoutés après dans ma vie qui fait que c’est un album bourré d’émotions pour moi.
Est-que ça été difficile de réaliser une bd tirée d’une véritable histoire, celle de Kara Hultgreen, première femme pilote de chasse embarquée dans la marie américaine ?
Ouais, c’était pas évident parce que, autant dans Angel Wings ou dans mes autres séries, comme je créé les personnages, je fais ce que je veux, tout en étant déjà dans un dessin très historique avec le bon boulon au bon endroit, le bon char à tel endroit. Pas d’anachronisme même dans une histoire fictive. Là, je suis au plus près de la réalité. J’ai vu des photos noir & blanc un peu floues et j’ai vu qu’elle avait une montre chrono et j’ai retrouvé des personnes qui m’ont dit que c’était telle montre. J’ai dessiné à tel endroit, me suis assuré quelle voiture elle avait, m’apercevoir que la couleur du hangar était différente que celle quelques années plus tard. Voilà, j’étais au plus près ! Le but, c’est un avion très complexe et je veux que des anciens pilotes de Top Case disent « Ah, p…, bien joué, tu as même mis le mode suivi de terrain… Machin ». J’essaie d’être le plus taré et irréprochable possible.
Le problème, c’est que quand on dessine une histoire fictive, une histoire réaliste, l’histoire aussi doit être comme ça. Donc, je me suis appuyé, de loin, sur les mémoires qu’a écrit sa mère, où elle racontait sa vie. J’ai essayé d’être le plus neutre possible eu égard à la polémique qu’il y a eu lorsqu’elle Kara Hultgreen s’est tuée. C’est la première femme pilote décédée après un an d’exercice, fort de quarante huit appontages et ce n’était donc pas une minette qu’on avait prise là, d’autant plus qu’elle avait déjà piloté des avions réputés difficiles. Aujourd’hui encore, à l’occasion de posts de certains de mes dessins, on trouve sur les réseaux sociaux des remarques désobligeantes comme quoi elle n’aurait jamais dû être dans un Tomcat, elle n’était pas prête, la Navy l’a poussée… Oui et non, oui ils ont poussé parce qu’il fallait sortir des scandales de sexisme et même de viols dans la Navy, c’est ce que l’on raconte un peu dans la bd. Il fallait qu’il y ait des femmes mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’avait rien à faire ici, c’est pas pour autant que l’avion, à 0,4’’ seconde près, elle aurait été encore vivante. Le crash a duré 3’’, qu’est-ce que vous faites-vous en 3’’ quand vous avez une bagnole qui débarque, qui vous pique de la droite et vous grille la priorité ? C’est très compliqué et surtout très facile de refaire l’histoire. C’est marrant de constater, que 30 ans après, c’est encore polémique ! On vous l’avait dit, pas de gonzesse aux commandes, c’est un truc de mec de faire la guerre avec des avions. Donc, c’est aussi ça, et puis comme je l’ai écrit dans ma préface, je me suis attaché à ce personnage puisque ma mère est décédée à l’atterrissage il y a 2 ans. Donc, voilà, ça été un peu, un album cathartique où j’ai fait mon deuil. J’ai essayé de faire du mieux que je pouvais.
A la lecture de la préface, on comprend que la réalisation de cet album a un eu un sens particulier avec notamment un concours de circonstances alors que votre nouveau projet concernait la carrière d’une pilote décédée lors d’un appontage (ndlr atterrissage sur navire) alors que vous veniez de perdre votre mère, pilote émérite lors d’un atterrissage. Y avez-vu un signe du destin ?
Destin, non parce que les deux éléments un ne sont pas liés parce que j’ai décidé de faire cette bd après le crash. J’avais déjà l’idée de faire ça, l’idée de faire Kara Hultgreen et quand c’est arrivé, juste la question s’est posée : là, je suis face à un os, j’en rêve de faire cette bd depuis longtemps et j’ai un super sujet, manque de bol ça m’arrive dans ma vie, qu’est-ce que je fais ? Connaissant ma mère, sa pugnacité au travail, son amour de mon travail et je pense qu’elle aurait été assez vexée que je me dise, j’y vais pas parce que ça me fait du mal. Au contraire, je vais tout défoncer, je vais faire comme elle aurait aimé, je vais bosser comme un dingue pour faire le plus bel album, le plus honnête qui puisse être.
Pour lui rendre hommage en quelque sorte ?
Tout à fait ! Et j’y suis allé et avec tout ce que je pouvais et j’espère qu’elle est fière de moi !
Votre réponse décline sur la question suivante : « Show must go on » s’avère sûrement une phrase que vous avez dû ruminer après la mort tragique de votre mère.
Ouais
Qu’est-ce qui vous a donné la force de continuer le projet et quelles en étaient les alternatives ?
Les alternatives, c’étaient de faire complètement autre chose. Continuer, oui ! J’avoue que quand j’ai dessiné la scène où l’avion bascule dans l’océan et que ça va être fini, j’ai versé ma petite larme. C’est assez bizarre, je ne fais pas mon fiérot et je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières à cause de ça. Ce n’est pas un argument marketing, c’est juste un album qui m’a donné beaucoup d’émotions que j’ai essayé de rendre pour le lecteur. L’avion, c’est à la fois une espèce de machine qu’on se met autour de soi pour voler dans le ciel. Je ne comprends pas encore qu’en 2024 on dit qu’il faut clouer les avions, ça pollue. C’est quand même l’une des plus belles réussites de l’humanité. C’est ce dont on rêvait depuis des millénaires et notre génération, enfin moi, ma grand-mère a connu l’époque de Blériot et la conquête de la lune. Elle est morte il y a 5 ans, elle a connu le Concorde. En une génération d’humains, on a conquis le ciel et l’espace, c’est un truc extraordinaire, complètement fou ! Et donc, c’est vrai que la machine revêt pour moi, quelque chose d’exceptionnelle et c’est vrai que lorsque l’on vole dans un avion, on fait confiance aux matériaux, à l’ingénieur qui l’a créé. On se fait confiance parce que l’on pilote l’avion et on se dit que dans le ciel, quand vous avez des ennuis dans votre vie, des trucs qui ne vont pas, vous décollez et ouah, tout disparaît ! Je sais que le premier vol que j’ai fait après le décès de ma mère, je suis monté au-dessus des nuages, un ciel magnifique et des beaux nuages bien distincts, un soleil rasant, tout était orange, j’ai fait des arcs-en-ciel dans le ciel et je ne sais pas si vous l’avez déjà remarqué, il y a un effet visuel quand on a, à travers le hublot, son ombre dans un nuage, cela fait un halo d’arcs-en-ciel autour et c’est magique. J’ai donc fait des arcs-en-ciel pendant une demi-heure puis je suis retourné me poser. Dans ces moments-là, on est hors du temps, on est seul au monde et c’est quelque chose que l’on ne peut comprendre si on ne vole pas. Mais même, quand vous partez en avion de ligne, que vous décollez de Paris avec un temps maussade et que vous passez les nuages pour découvrir un grand soleil, c’est un autre monde, on est au paradis et c’est sympa de vivre ça.
Et vous arrivez à partager votre temps pour voler ?
Oui, comme d’hab’, je suis partagé entre la table à dessin, ma petite famille et les avions et c’est dur de tout concilier. Je ne vole pas assez, je rêverais à la fois d’être Maverick dans Top Gun 2, avec mon lit dans le hangar avec mes avions, mes motos et bricoler et puis partir faire mach 10, puis après pilote de chasse. Mais c’est un peu un délire et je pense que Maverick doit se sentir un peu seul. J’ai des potes qui ont tout ça mas qui n’en profitent un peu que le samedi, c’est dur d’être un cow-boy solitaire. (rires)
J'aimerais que vous reveniez sur la réalisation de vos bandes dessinées, à la fois sur le niveau technique, graphique.
Je n’ai pas changé de méthode depuis toujours Le Grand-Duc, cela va faire 15 ans maintenant. En fait, j’esquisse au crayon bleu, les masses, les perspectives, je dessine au crayon bien affuté et ensuit, je scanne et je vire le bleu. Il ne me reste plus que le trait et je mets en couleur avec une tablette graphique avec Photoshop. Avec l’arrivée de l’IA, c’est vrai que tous les auteurs, on n’est pas vraiment en stress mais on se dit quand même que c’est préoccupant. En fait, j’ai un dessin tellement réaliste que les gens n’arrivent plus trop à faire la jonction entre savoir si c’est une photo ou un dessin. En fait, j’ai un dessin qui n’est pas assez graphique et je rêverais d’avoir un dessin plus lâché, un truc à la Ralph Meyer. On voit le dessin, l’encre, le trait de pinceau, la matière quoi ! J’ai un dessin d’un peu, un moine copiste et je vois qu’il y a des gens qui ne se rendent pas compte du travail qu’il y a derrière.
Quand je fais un effet de vitesse d’une mer, je ne prends pas une photo de mer à laquelle j’ai mis un calque de vitesse, j’ai tout peint à la main au pinceau. Par exemple, je n’ai pas 50 000 calques, un pour la lumière, un pour l’ombre, j’ai le dessin, point ! Souvent, je détache l’avion du fond parce que si je veux le bouger et en fait j’utilise l’ordi comme un pinceau comme si j’étais en méthode traditionnelle.
La méthode traditionnelle ne vous a-t-elle jamais tenté ?
Si, si mais je ne suis pas assez doué. Fraudrait que je m’y mette vraiment. J’ai fait de la peinture, des toiles d’avion avant de faire de la bd. Et c’était un tel rêve de faire de la bd, ça prend tellement temps que je n’en ai pas à y consacrer 6 mois sans parler que j’ai une famille à nourrir, des bd qui me passionnent à faire et c’est le même truc que passer mon temps à l’aérodrome. Je ne peux pas, je n’ai vraiment pas le temps ! Il faudrait que j’ai un burn out qui m’impose de ne plus faire de la bd pendant 2 ans, je me met à la peinture ou faire de la bd traditionnelle mais c’est un boulot. Déjà que c’est compliqué avec les avions. Je ne suis pas sectaire, faut voir.
D’où l’intérêt de réaliser des interviews afin que les lecteurs appréhendent mieux les raisons pour lesquelles il faut tant de temps pour faire un album.
Et encore, je suis un rapide, je mets un an, un an et demi pour faire un album. J’ai 20 ans de carrière et j’en ai fait 27 ajoutés à des pin-ups… C’est un rythme assez soutenu mais je suis conscient de la chance que j’ai, il y a tellement d’auteurs bd. Quand on voit en librairie le talents des mecs, il y a tellement de trucs géniaux qui sortent et ce, dans n’importe quel domaine et malgré tout j’ai fait mon trou.
Que vous avez fait très rapidement
Dès le premier album, j’ai eu un prix grâce à Michel Edouard Leclerc, merci à lui, prix « J’ai coincé la bulle », prix des premiers albums et boum on récompense quelqu’un qu’on aime bien et ce fut moi. Alors, je commençais à peine la bd, j’ai un prix et on m’encourage et je me suis que c’était une chance à ne pas louper. J’ai toujours bossé, j’ai toujours un projet qui pousse l’autre et je sais que c’est une chance que je ne veux pas gâcher. J’ai une grande liberté chez Paquet, je fais des albums que je veux, je n’ai aucun plan marketing. Le prochain projet après Tomcat où j’en suis à la planche 6 et un jour je suis arrivé, j’ai posé la première planche sur le bureau et j’ai dit que j’avais un projet avec tel mec qui parle de ça et on m’a dit ok, j’ai une telle chance.
Cet album Tomcat marquera assurément votre bibliographie pour diverses raisons : un bel hommage au combat des femmes pour être respecté et reconnue comme l’égale de l’homme mais aussi au travers de la mise en lumière de cet avion, qui grâce à Top Gun est rentré dans la postérité.
Exactement !
Pensez-vous, dans l’avenir, continuer à raconter et mettre en image des faits historiques autour de l’aviation ou était-ce une parenthèse ?
Non, le prochain projet revient à une affaire fictive dans un avant réaliste mais ça part toujours de l’envie d’avions, d’une époque et là, je suis parti dans les années 30. Je reprends une série qui parle de l’âge d’or de l’aviation et des avions de course mythiques des années 30 où les pilotes étaient des héros. Il faut savoir qu’à l’époque, un meeting aérien aux États-Unis rassemblait 700 000 personnes. Là, ça a un peu une ambiance Gatsby, Scarface, un peu mafia, costumes rayés avec des grosses voitures, pauvreté après la crise de 29 et richesse folle des trafiquants. Je fais un truc un peu fun, j’en avais besoin après Tomcat, de marrer et d’y aller à fond. De la couleur, de la couleur et puis art déco. Je vais faire un gros boulot sur le graphisme des planches car je veux que l’on se sente dans Gatsby. Ce sera tout d’abord en tomes et on verra après.
Je suppose qu’au niveau des ventes…
Depuis quelques années, Je ne stresse plus trop sur les ventes. Je sens que j’ai un plancher de lecteurs qui aime bien ce que je fais, j’ai un lectorat fidèle. Je ne suis pas une star de la bd qui défoncent à 200 000 parce que j’ai fait un sujet de ouf. J’ai la modestie de pouvoir dire que j’ai de lachance d’avoir un lectorat fidèle qui me suit sur n’importe quel sujet et qui est cool. Les gens sont sympas en dédicace, j’ai pas de chieurs, franchement, ça se passe vraiment bien.
Réaliser des rêves de gosse s’avère utopique pour bon nombre d’entre nous. Vous vous êtes donnés les moyens pour y arriver, à force de ténacité et beaucoup de travail. Pouvez-vous revenir sur ce parcours, ce qui a vous a marqué et maintenant quelles sont vos aspirations pour la suite de votre carrière ?
Mes parents n’étaient pas du tout dans le milieu artistique, mon père était pilote dans l’armée, ma mère était institutrice et ils n’ont jamais mis de frein à une carrière qui partait pour pas être… Voilà, je faisais des petits dessins, je n’avais jamais pensé faire de la bd. Pilote, ç’aurait été bien mais c’est vrai, mon père m’a dit une fois qu’ils n’étaient pas stressés car ils voyaient que je travaillais. Je n’ai jamais arrêté de dessiner, j’étais timide, introverti et ce qui est chouette, c’est que ma réussite m’a permis de devenir quelqu’un, entre guillemets. Et la chance d’être un gamin qui a deux passions, le dessin et les avions, je vie des deux.
Mais, c’est aussi à force de travail…
Ouais, mais j’ai hâte le lundi de me remettre sur ma planche et s’il ne fait pas beau le dimanche, je bosse. Il y a bien sûr des planches moins rigolotes à faire quand il y a du blabla mais je trouve toujours dedans un truc marrant, intéressant, un petit challenge à dessiner. Je n’ai jamais eu le syndrome de la page blanche. Je me suis par contre demandé après Tomcat, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire !
Je me suis dit avec les années 30 que ça pouvait être sympa et quand j’en ai parlé à mon copain, Edouard Rousseau, celui qui a fait le dossier final dans Tomcat, professeur de l’art et écrivain émérite d’art, qui est fan d’avion comme moi et là, on a commencé à bosser ensemble et c’est un rêve. En plus, bosser avec un pote, on se marre, on fait les c..s, on est à fond et c’est drôle d’être avec un mec. Avec Paquet, ça se passe bien, c’est des gens charmants, il n’y aucun problème.