Interview Riff Reb’s à l’occasion de la sortie de « LE VAGABOND DES ETOILES »
Publié le 11 Novembre 2019
Après une belle trilogie maritime, l'auteur complet Riff Reb's s'attaque avec talent à l'adaptation d'un nouveau chef d’œuvre de Jack London, "Le vagabond des étoiles" qui s'impose à la fois comme un procès contre l'univers carcéral et un hommage à la puissance de l'imaginaire. L’interviewer à l'occasion de la sortie du 1er tome de ce diptyque était l'occasion de découvrir les arcanes de cette belle adaptation.
J’apprécie beaucoup ce que vous faites et ce, depuis fort longtemps et là, j’ai trouvé qu’avec cet album, une rupture avec ce que vous faites habituellement.
Alors, à la fois une rupture et une continuité, je veux dire, c’est une adaptation littéraire et pour moi c’était l’essentiel. Sur les 3 albums précédents, c’était du maritime mais pour moi, je n’y vois pas le côté maritime, j’y vois l’aspect…
Ma notion de rupture justement, c’était sur le côté maritime…
Oui, oui, je comprends mais c’est pour ça qu’on en parle. C'est-à-dire qu’en fait, je n’ai pas choisi la mer comme sujet, j’ai choisi un roman de Mac Orlan qui parlait de la mer et je me suis retrouvé en mer, mais je savais très bien que c’était une histoire de pirates. Mais seulement, j’y voyais tellement, pour revenir aux origines, dans le roman de Mac Orlan, la situation d’un marin, à cette époque là, équivaut à celle d’un pauvre gars paumé dans ses tranchées. La mauvaise nourriture, la mort qui peut arriver du dessus, du dessous où ça peut même être un copain qui, comme sur le bateau, qui vient vous trucider, la mauvaise bouffe, le manque de femmes, de sa mère ou de sa fille… C’est cette forme-là qui me plait, la poésie de Mac Orlan. Cette littérature là, elle se passe en mer mais elle pourrait se passer au fond d’une tranchée, ou près d’un feu, peu importe ! Ce qu’il dit de l’homme n’a pas de contexte, c’est de l’humanité. En gros pour résumer un peu pour les gens, le personnage principal enfermé, à cause des supplices, pour des raisons qu’il faudra lire, s’abstrait de son corps et devient pur esprit sans trop savoir ce que sait, ni moi, ni London.

Alors, est-ce que votre choix d’adapter librement « Le vagabond des étoiles » de Jack London, n’a pas été guidé par votre peur d’être classé « peintre de la marine » ?
Il y a de ça ! En vérité, je voulais faire un western mais je n’ai pas eu les droits. Il s’agissait des frères sisters . Un certain Jacques Audiard les as eu après moi enfin, après que moi, on me les ait refusé. Mais je voulais sortir de ces grands espaces maritimes pour de grands espaces terrestres. Ce qu’il faut savoir, c’est que le « vagabond des étoiles », j’ai envie de l’adapter depuis que je l’ai lu. Et je l’ai lu, j’avais 29 ans ! Maintenant, bientôt 59. Donc, cela fait trente ans que cette histoire me poursuis, m’habite ! En tout cas, je vis avec ou au moins à côté. Et au moment où j’ai fait « Le loup des mers », je voulais faire « Le vagabond des étoiles » et devant la complexité du récit, devant la complexité de ce que je vivais personnellement, c’était très difficile. Et puis, très déstructuré, très complexe, je n’arrivai pas à me concentrer sur ce récit-là, sur le travail en soi. Et, quand je travaille sur un auteur, j’enquête, qu’est-ce qu’il a écrit d’autres. Quelles sont ses influences, enfin, qu’elle était ses goûts, pourquoi cet attirance sur tel philosophe, etc... Et j’ai repris « le vagabond des étoiles, sur lequel j’ai mis des couches, tous les dix ans ou presque, de travail et d’abandon et je m’y suis une dernière fois en me disant là, je vais essayer de l’adapter, vraiment, pousser loin mon travail pour pouvoir le faire lire et qu’on me dise, avant même que le livre existe, la qualité de la chose. Je me suis dit, « je casse la figure à ce truc qui me suit, qui finit par me peser, que je m’en débarrasse. Soit, j’y arrive, dans le sens où l’on m’encourage à le faire en me disant que l’adaptation est bonne. Et dans ce cas là, j’en serai débarrassé ou soit, on me dit non que ce n’est pas bon et là, j’oublie, c’est fini, je range ça dans mes étagères.

Il aurait sûrement été difficile de l’oublier…
Oui, mais bon, je me serai fait une raison officielle. Et donc, j’ai fais l’adaptation en deux volumes, story-board, tous les textes, tout dessiné, assez poussé et j’ai donc pu le faire lire à ma compagne Edith, auteure et ma directrice d’édition, en disant, voilà, vous avez chacune une copie des deux volumes, lisez, dites-moi si ça le fait ou pas. Si ça ne va pas, allumez-moi les filles, je ne vous demande pas de l’amour.
En fait, c’est que l’on attend d’un éditeur…
J’ai eu une jolie exposition à Strasbulles fin mai ou j’ai eu le bonheur de faire la visite de l’expo en compagnie de Jean-Claude Mézières, auteur de Valérian. Et cet homme-là est sans pitié, mais c’est un bonheur puisqu’on était entre deux professionnels et moi je le vois comme un maître, je lisais quand j’avais 8 ans, dans Pilote et là me retrouver à côté de lui, c’était déjà inimaginable dans ma jeunesse. « Riff, si tu veux des compliments, demande à ta grand-mère, moi, je vais te dire que là ton dessin ça ne va pas », très bien ! « Et, je ne te vexe pas », très bien, je suis comme toi, je suis honnête. Des gens me trouvent dur mais on ne peut pas progresser dans les compliments, on ne progresse que dans la difficulté.

Comment avez-vous abordé l’adaptation ? Est-ce que ça été plus difficile de faire des coupes sombres dans le roman tout en gardant la substantifique moelle que pour d’autres adaptations ?
C’est pour cela que j’ai abandonné plein de fois, j’ai évoqué ça depuis un moment… « Le vagabond des étoiles », c’est une histoire à tiroirs ! I y a une vie qui nous en débouche sur une infinité. On en aura que des extraits, mais c’est beaucoup de documentation : quand un gamin embarqué par les vikings dans un décor de vikings, quand ce gamin s’échappe dans une tribu suisse finalement, il se fait embaucher chez les romains, il finit officier de la cavalerie, auxiliaire avec Pilate, au moment de la crucification de Jésus, il faut que je dessine tout ça et un passage à Rome, entre deux, comme si c’était facile. C’est un livre qui occasionne tellement de choses. Évidemment, il est enfermé et il fallait que je trouve le moyen de transposer graphiquement ses élucubrations. Il est ingénieur agronome, il essaie donc de construire la machine idéale pour pomper l’eau. Donc, il cogite ça et il faut que je représente ces choses-là et c’est difficile par la bande dessinée. Il se rappelle sa jeunesse, son crime mais aussi, il y a des autres prisonniers avec qui ils communiquent en espèce de morse. Comme je fais un morse en bande dessinée sans que ce soit comique ? Et d’autre part, j’avais peur que le lecteur se retrouve claustrophobe, à force d’être enfermé. C’est l’histoire d’un homme en camisole de force en cellule d’isolement, on ne peut pas faire moins dynamique et je suis un dessinateur d’énergie et de dynamisme. Et là, je me suis trouvé dans la position contraire à mes facilités.
Du coup, il y a eu ces changements de rythme…
D’où l’enjeu de la narration, de garder le lecteur avec lui, de le tenir, de le secouer, de lui donner du rythme, de le reposer, de l’énerver…
C’est aussi l’importance des couleurs, différentes pour marquer des périodes
C’est un système que j’ai abordé dans ma trilogie maritime, c’était pour le Mac Orlan dont j’ai parlé au début… La rupture de couleurs permet de se retrouver ailleurs, à un autre temps sans avoir ces petitesses classiques de la bd ancienne qui existe toujours d’ailleurs. Le code couleurs est un soutien absolu à ma narration.
Comment travaillez-vous avec votre éditrice ? Intervient-il dans le processus de création et si oui, à quels stades ?
J’ai la meilleure éditrice du monde ! Je ne connais pas toutes les éditrices du monde mais en tout cas, je n’ai jamais eu dans ma vie une si bonne expérience de travail qu’avec Clotilde Vu, ma directrice d’édition. Elle nous lit, nous donne un retour de sa lecture, pas forcément celui qu’on espère. On est suivis, on sait qu’on existe et qu’on n’est pas juste là pour se faire payer. L’autre chose, c’est qu’elle a une très forte éducation visuelle, elle a un œil très bon pour la maquette, le choix des typos, des couleurs… Elle a de la culture et c’est très agréable d’échanger un certain niveau de qualité. On est défendus auprès du patron, ce qui est extrêmement rare dans la profession…
Le retour de la presse est plutôt dithyrambique sur cet album…
Paradoxalement, je crois que je n’ai jamais été aussi frileux que pour la sortie de ce livre, aussi mal à l’aise pendant la fabrication, aussi peu sûr de moi car il a fallu que je sorte de ma zone de confort.
Interview réalisé 25 octobre 2019 dans le cadre du festival BD de Saint-Malo, Quai des Bulles.
Bernard Launois
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