FIBD 2020 : Entretien avec Fred Vignaux, le nouveau dessinateur de THORGAL

Publié le 4 Mars 2020

FIBD 2020 : Entretien avec Fred Vignaux, le nouveau dessinateur de THORGAL

Retrouver Fred Vignaux, après la réalisation du tome 37 de Thorgal, L’ermite de Skellingar, son premier album de cette série mythique et alors qu’il travaille sur le tome 38, était l’occasion de faire le point, de recueillir ses impressions sur cette collaboration à 4, tout d’abord Grzegorz Rosinski le créateur, Yann le nouveau scénariste et le coloriste Gaétan Georges.

Alors, selon vous, avec L’ermite de Skellingar, le scénariste Yann vous a-t-il proposé un album de scénariste, avec beaucoup de cases ou un album, laissant la part belle au dessin ? En fait, c’est un petit peu les deux choses. La première partie est un peu plus dense, et la seconde partie, au moment où Thorgal commence à aborder les rivages de Skellingar, c’est beaucoup plus des paysages, c’est beaucoup plus lent, plus contemplatif. Comme disait Van Hamme à Rosinski, « cet album c’est un album de scénariste, cet album c’est un album de dessinateur », Là, il m’a fait quelque chose, justement, qui est pas mal, qui propose les deux choses. Le début est un petit peu plus verbeux parce qu’il faut présenter l’histoire.

Je l’ai vu également dans d’autres articles, que le scénariste Yann t’avais un peu testé dans le Kriss de Valnor en te présentant plusieurs scénarios, plusieurs pistes et que tu avais choisi des pistes, qui du coup pour cet album, lui ont permis d’aller dans ce qui te ressemble le plus. Oui, c’est exactement ça, Parce que c’était une première collaboration, il est assez malin, c’était une façon habile de tester mes goûts pour l’avenir de notre collaboration. Il a fait une trame principale et un certain moment il a proposé des scènes alternatives et Moi, je ne sais pas pourquoi, j’ai choisi plutôt ces scènes alternatives. Il a remodelé le scénario, et c’est quelque chose au final qui me ravit. Du coup, sur celui qu’on est en train de faire, il a fait mouche tout de suite. C’est une façon très, très maline de cerner un petit peu ses collaborateurs.

Les allers et retours s’effectuent de quelle manière ? Il t’envoie plusieurs pages, comment ça se passe ? Pas beaucoup d’allers et retours, mais un gros aller au restaurant. On parle de ce que l’on veut raconter, de nos différentes envies et lui ensuite, il rédige un gros chemin de fer. Et à partir de là, on voit si c’est vraiment ce que l’on peut raconter. Il y a encore un petit aller retour de remarque, et une fois qu’on est d’accord sur ce chemin de faire, il fait toute la partie technique du synopsis et du découpage, en cases, page, dialogue.

Est-ce qu’il y a une intervention de l’éditeur ? L’éditeur intervient à deux moments : au niveau du chemin de fer pour voir s’il y a une cohérence, c’est du Thorgal et c’est une chose qui est attendue par les lecteurs. Il y a donc un véritable enjeu et c’est normal que l’éditeur ait son mot à dire. Et après, une fois que l’on a fait le story board.

À l’étape du découpage, pas forcément trop mais c’est vraiment au niveau du story board que je donne une 1ère fois à Yann pour s’assurer que l’on va bien raconter la même chose, si nous sommes bien raccord, lui avec le scénario, moi avec le dessin. À partir de ce moment-là, je la diffuse à tout le monde à Grzegorz,  Piotr et à l’éditeur. Et là, si quelqu’un a quelque chose à dire à ce moment-là, on rectifie, on réajuste. Mais après, je me lance dans la partie dessin.

Est-ce que là, tu as été obligé de réajuster ? Là, j’en suis encore à cette partie-là j’ai fait une dizaine de planches et je viens de boucler intégralement le story board, pour le prochain tome.

Et pour ce tome déjà paru ? Pour le précédent, on n’a pas eu trop de soucis, on s’est aventuré et on a fait mouche d’entrée, on n’a pas eu trop de remarques.

Et pour le dessin ? Alors, le dessin puisqu’on aborde cette partie-là, j’ai fait ça en deux parties, j’ai fait d’abord une vingtaine de planches. Je suis allé chez Grzegorz, en Suisse. Il m’a fait part de ses remarques, il a redessiné dessus sur certains endroits. Et moi, je suis revenu chez moi, j’ai modifié en fonction de la manière dont j’ai interprété ses remarques afin que je le fasse à ma façon. Pour la deuxième partie, j’y suis allé en mai juin où on a mis le point final à l’album, tout en discutant, en corrigeant.

Finalement, y a-t-il beaucoup d’appréhension dans le train lorsqu’on rend chez Rosinski ? Je pense que pour un dessinateur, on met un an pour faire un album pareil, on ne peut pas vivre tous les jours avec de l’appréhension. Donc je pense que, rétrospectivement, il y a un peu d’appréhension sur les premières pages pour savoir si j’étais bien dans le ton. Je sortais de Kris de Valnor et il fallait que je réajuste un petit peu le trait, mais pas tant que ça. Pour les premières planches, il y a eu un petit flottement mais ça été très passager.

Alors, j’ai fait un petit sondage auprès des gens que je connais qui sont amoureux de la série Thorgal et franchement ils ont trouvé que cette album était excellent tant au niveau scénario que du dessin. Ah bah, c’est super !

Le scénario est fluide, il y a, à la fois une continuité dans la série et à la fois, un style nouveau. Pout les lecteurs de la 1ère génération, ils se retrouvent assurément plus dans celui-ci plutôt que dans les cinq, six derniers albums. Alors, la petite anecdote amusante, c’est quand je faisais le Thorgal et que j’étais encore sur les dédicaces de Kris de Valnor, justement par rapport à cette appréhension, je sentais que les gens avaient envie de me demander quelque chose. Alors, je levais mon regard et immanquablement, les gens me demandaient : « alors, qu’est-ce que ça fait de reprendre un Thorgal, vous n’avez pas d’appréhension ? ». Je répondais alors que quand je suis chez moi, tout va très bien mais c’est quand je vous rencontre que je me demande s’il ne faudrait pas que j’ai un petit peu d’appréhension.

Je suppose que bon nombre de journalistes t’ont posé le même genre de question. Maintenant, ce qui est rassurant, c’est que l’on soit venu te chercher. Psychologiquement, il y a une certaine légitimité. Logiquement, c’est plus facile à appréhender même si jamais rien n’est acquis ! Il faut gagner ses galons ! J’ai un dessin, comme celui de Grzegorz, qui est tributaire de mes états d’âme, de mon humeur. J’ai un dessin qui n’est pas figé et qui peut donc fluctuer en fonction de la journée, de ce qui passé. Comme lui, au cours de sa vie, son (Grzegorz) style a totalement évolué.

Avez-vous délaissé le numérique au profit des crayons et des encrages pour cet album, come vous l’aviez envisagé l’année dernière ? Au final, oui ! Je ne sais pas ce que j’avais dit lors de notre dernier entretien. J’avais dit que j’allais essayer de revenir au traditionnel, j’ai commencé les premières planches en traditionnel et après, j’ai été rattrapé par le cours du temps et je me suis dit, si on veut faire un bel album, je ne change pas tout de suite mes habitudes. Je vais me conforter un peu dans le dessin en essayant de me stabiliser dans le dessin du Thorgal qui est finalement une nouvelle chose par rapport à celui de Kris de Valnor. Sur Thorgal, il fallait un peu plus serrer les vis.

N’y a-t-il pas eu non plus, une histoire de timing ? Ce sont des bd qui sont très riches graphiquement. C’est un dessin assez fouillé. Moi, j’appelle ça, un dessin touffu, avec plein de petits traits. Et au final, une année pour sortir un album, c’est un travail assez dur, assez long. C’est chronophage et du coup, c’est vrai que l’outil numérique facilite grandement les choses en termes de rapidité. Après, ça ne m’empêche pas, certaines parties de les faire en traditionnel mais le reste, c’est en numérique. De plus, il ne faut pas oublier que je fais les couvertures de La sagesse des mythes chez Glénat, sans parler de quelques petits trucs en parallèle. En fait, c’est des journées vraiment complètes.

Au delà de ça, repasser au traditionnel, ce serait modifier ses habitudes de travail. Il y aura donc forcément un petit temps d’adaptation et clairement, je ne l’ai pas actuellement.

Peut-être, comme nous l’avions déjà évoqué, la possibilité d’avoir du matériel pour être exposé en musée, en galerie, de vendre des originaux... Alors après, il y a une grande question dans le milieu des auteurs qui émerge, c’est qu’il y en a énormément qui sont en numérique et se pose alors la légitimité d’essayer d’instaurer un statut pour l’original numérique. Ça va peut-être se faire petit à petit puisque qu’il y a de plus en plus d’autre qui bossent en numérique.

Il n’empêche que se pose le problème de s’assurer que ce tirage est vraiment unique. Il y aura peut-être quelque chose de contractuel à faire, c’est à fouiller.

Ne pas s’occuper des couleurs de cet album n’a-t-il pas été une frustration pour vous ? Oui et non. Oui, parce que, lorsque je pense un dessin, je le pense en couleurs et du coup, je pose mes noirs en pensant aux couleurs. D’ailleurs, une fois que j’ai terminé mes planches, je fais un petit document que j’appelle la bible graphique que je donne à Gaëtan (le coloriste). Après, il en fait ce qu’il veut, compte tenu de sa propre sensibilité, il voit si ça lui sert ou pas. Donc, petite frustration mais en contrepartie, sur les couvertures de La sagesse des mythes où je peux m’exprimer sur de la peinture, de la couleur, etc. Oui, mais en même temps, je ne pourrais pas le faire en terme de temps. Enfin, pour être honnête, Gaëtan fait un superbe boulot.

Finalement, entre Yann, Grzegorz, Gaëtan et l’éditeur, tu te retrouves au centre, à gérer tout le monde. Quelle responsabilité ! On en revient toujours à la responsabilité ! On n’est pas totalement l’homme-orchestre, il y’a Yann qui fait plein de choses mais effectivement, la partie graphique m’incombe, c’est de ma responsabilité. Et puis, il y a un lourd héritage en terme de couleurs, au niveau du Thorgal. Quand on passe après les couleurs directes de Grzegorz...

Justement, on est revenu aux couleurs des premiers albums... Alors, pas totalement ! Parce qu’il y a un petit modelé. On a fait en sorte de faire quelque chose entre les deux parce que le lecteur de Thorgal s’habitue à avoir une certaine richesse et un foisonnement dans les couleurs. Même, au niveau des textures, de pleins de choses, ce que je n’aurai pas pu faire si on avait adopté les couleurs des premiers tomes.

Bien sûr, mais la technique des premiers albums reposaient sur les aplats. Nous avons donc essayé de faire quelque chose, entre les deux.

Ma question concernait plus les teintes car j’ai le sentiment que l’on est plus proche des premiers. Exactement !

Effectivement, avec la richesse à la fois, du numérique qui permet d’avoir une densité dans la couleur... C’est tout à fait ça ! Les couleurs de Gaëtan ont vraiment une vibration très particulière. C’est, en même temps, un travail qui lui est très personnel mais également qui s’inscrit dans la lignée de couleurs qu’ont été faites par le passé. C’est vrai que l’outil numérique permet une plus grande variété au niveau des teintes même, si on reste dans l’ambiance des débuts, on a quand même de la richesse. Et cette richesse, c’est ce qui permet de faire l’analogie avec les dernières couleurs de Grzegorz, sur les précédents albums.

Il y a effectivement de la cohérence. Si on le ressent, alors c’est très bien, c’est ce que l’on a voulu faire !

As-tu un ordre d’idée du lectorat de Thorgal, peut-être au travers des dédicaces ? Les dédicaces, c’est biaisé. Pour moi, ce n’est pas le reflet des lecteurs. Pour moi, le public est assez large, il va de l’ado qui le pique dans la bibliothèque de ses parents, et comme ça lui plait, il lit toute la série. Après, ça va jusqu’au fan de la première heure, la petite madeleine de Proust. Que j’étais moi aussi, en lisant le magazine de Tintin. Je pense que c’est un public assez large et avec une particularité, c’est qu’il est assez féminin. J’ai beaucoup de public féminin en dédicaces qui aime beaucoup Thorgal.

Effectivement, les personnages féminins sont attachants. Et puis, Thorgal n’est pas une sombre brute. Il a des valeurs, il est droit, il prend soin de sa famille, de sa femme, de ses enfants. Il y a vraiment des valeurs familiales et je pense que le lectorat féminin y est assez sensible, n’est pas juste un héros, vecteur d’actions.

On sait que vous êtes en train déjà de réaliser le tome 38 de Thorgal avec toujours Yann au scénario, pouvez-vous nous en parler un peu ? Ce sera une aventure un petit peu particulière. On va essayer, en restant vraiment très très modeste et respectueux, faire une sorte d’Alinoë. Donc, un récit un petit peu particulier dans le monde de Thorgal. On va essayer de s’aventurer et puis on verra, si on réussit ou pas. C’est un petit pari et on espère qu’on va le réussir.

Dans une interview donnée à Planète Bd en octobre dernier, tu précises que tu ne reviendras pas sur le passé de Thorgal mais que tu iras de l’avant, en prolongeant sa vie ? Est-ce à dire que les personnages sont susceptibles de vieillir ?  Alors, oui. La question se posait pour Louve. On ne savait pas trop si on la faisait vieillir ou pas. En même temps, dans cette famille, c’est la partie enfant. Et comme la série Louve est terminée, on s’est longtemps posé la question de savoir si on la faisait grandir ou la garder telle quelle. Et justement, le nouveau récit qu’on est en train de faire tourne autour d’elle. Je ne peux pas t’en dire plus. Thorgal a déjà bien vieilli. A la fin du précédent tome, il prend un petit coup de jeune en se rasant. Les personnages, Kris de Valnor, Aaricia ont également vieillis. Alors après, comme ce sont des personnages féminins, il ne faut pas trop les vieillir. En terme de graphisme, si on commence à mettre trop de traits sur les visages, ça les vieillis drastiquement. On ne peut pas vieillir un petit peu, c’est totalement ou pas. Sur un personnage masculin, c’est plus facile, on rajoute une barbe, on peut les vieillir progressivement. La question du vieillissement de Louve se pose encore aujourd’hui, on va la garder un petit peu comme ça et on verra après.

Le héros, selon moi, doit rester intemporel… Intemporel, c’est exactement ça ! Moi, j’ai rajouté quelques petits cheveux blancs, quand même. Mais, il les avait déjà ; quand on regarde le bateau sabre, il commençait à devenir grisonnant et puis il l’était un petit peu moins après. Dans le bateau sabre, j’ai trouvé qu’il était vraiment beau et c’est comme ça que j’ai voulu le dessiner.

Entretien réalisé par Bernard Launois, le 1er février dans le cadre du Festival international de la Bande Dessinée d'Angoulême.

Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Interviews

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article