Publié le 13 Novembre 2024

Interview de Mathieu LAUFFRAY pour le tome 3, dernier opus de la série RAVEN, à l'occasion du festival Quai des Bulles 2024

« Je pense que les pirates, par définition, sont des gens qui vivent en marge de la société, c’est pour ça qu’ils fascinent depuis toujours, c’est qu’ils arrivent à créer des systèmes alternatifs ».

Bonjour Mathieu,

Je vous avais interviewé, ici même à Quai des Bulles, en 2022 pour le tome 2 de Raven et j’ai tenu à revenir avec vous sur cette série Raven qui aura tenu en haleine le lecteur pendant près de 5 ans.

Oui, c’est une série qui avait une vraie idée directrice derrière ça, pourquoi je suis revenu sur le mythe des pirates, il y avait une vraie raison derrière et un vrai thème que je voulais servir et il se trouve que l’univers des pirates s’y prêtait bien. C’était une bonne occasion de revenir chez les pirates, les flibustiers.

Quels arguments donneriez-vous pour donner envie de lire Raven, la série en 3 tomes ?

Je pense que les pirates, par définition, sont des gens qui vivent en marge de la société, c’est pour ça qu’ils fascinent depuis toujours, c’est qu’ils arrivent à créer des systèmes alternatifs. C’est toujours des gens qui ont été chassés, qu’ont été condamnés, qu’ont été vendus et rejetés et qui se fédèrent comme une espèce de bande de marginaux basés sur leurs seules compétences, la camaraderie pour essayer de s’en sortir dans la vie et de trouver un système alternatif loin de ce que le monde des hommes a créé pour la sécurité, le progrès, les avancées, etc… Il faut qu’ils se débrouillent en dehors de tout ça. Et donc moi qui voulait parler d’un thème qui m’est assez cher, qui est la liberté, ce que veut dire être libre, ce que l’on gagne en étant libre mais aussi ce que l’on perd en étant libre. Je voulais traiter de ça parce que l’on parle de ça un peu à tort et à travers et c’est un thème passionnant. On aspire tous à plus de liberté, à plus de libre arbitre. Néanmoins, il faut prendre conscience que le fait de vivre en société, dans un cadre, pouvoir compter les uns sur les autres, pouvoir être interdépendant, de pouvoir savoir que si l’on a un problème, on n’est pas complètement livré à soi-même. Que d’autres peuvent avoir besoin de vous, que donc vous comptez pour des gens sont des choses très fondamentales qui sont l’ennemi complet du principe élémentaire de liberté. Donc, il faut donc savoir que la liberté est synonyme de solitude et qu’il faut être prêt à ça. Et que c’est une balance, entre savoir dans quelle mesure l’on est prêt à s’assumer intégralement seul par rapport à ses libres arbitres ou dans quelle mesure, l’on a besoin d’être aimé par les autres, d’aimer les autres, d’accepter des compromis et de vivre ensemble.

Cette série de 3 albums traite de ça et exclusivement de ça. De ce que ça veut dire pour une société constituée, les Montignac et pour deux types de pirates très différents, à savoir Darksee qui est une pirate dont l’objectif est clair et précis et donc un équipage et Raven qui lui, jouit d’une liberté totale, qui est donc seul. Et pourquoi est-ce que l’on vit ça, pourquoi l’on ait dans cette situation-là, est -ce que l’on le comprend, est-ce que l’on peut agir par rapport à ça ? Et donc pour moi, cette série est l’occasion de mettre en scène ces trois grands archétypes : l’archétype social, l’archétype de la solitude et l’archétype du projet libre mais communautaire, basé autour d’un projet ; c’est-à-dire du franc- tireur : Darksee étant ce profil-là, Raven étant la liberté absolue et les Montignac étant celui du social.

Quand vous avez-commencé cette série en 2019, saviez-vous déjà quelle fin vous alliez lui donner ?

Oui, j’étais déjà allé dans les pirates avec Xavier Dorison sur John Long Silver et on avait traité d’une aventure et c’était une série formidable d’aventure parce que l’on racontait l’histoire d’une femme qui se dégageait du carcan patriarcal pour se libérer et vivre totalement en assumant le risque de sortir de tout schéma et d’aller vers un objectif…

Une notion de liberté là aussi ?

Tout à fait, totalement en liberté, c’était totalement pirate mais aventure. C’est-à-dire qu’elle avait besoin de gens habitués à gérer des systèmes décalés en allant voir les pirates parce que la société allait lui mettre des bâtons dans les roues, voir la pourchasser alors que les pirates allaient lui donner sa chance. Et donc, ils étaient dans une association de respect, d’admiration, voire de fascination pour Long John, pour cette femme qui osait de l’audace comme lui ne l’avait imaginé. Et là, je voulais repartir là-dessus pour traiter ce que veut dire précisément ce qu’était le prix de la liberté, ce qui n’était pas le sujet de Long John Silver.

Maintenant, je pense que j’ai un peu fait le tour de mon sujet avec les pirates car j’ai fait les deux thèmes qui me paraissaient coller à cette mythologie pirate et à l’esprit de ces gens-là.

Pourtant sur la fin de la série, vous donnez l’espoir qu’il va y avoir une suite ?

Oui, parce qu’à la fin, je fais une sorte de reset, je ne révèle rien mais je montre les avantages et les inconvénients de chacun des deux systèmes et voilà maintenant, je dis que chacun a compris qu’en gros Raven apporte une vitalité et une spontanéité, un amour de la vie que Darksee a complètement perdu et Darksee amène un projet, une construction et un objectif qui fait qu’on peut se fédérer, faire des choses à plusieurs. Darksee peut dire ce qu’elle va faire dans un mois alors que Raven est incapable de dire ce qu’il va faire dans 5 minutes. Et ça fait toute la différence pour moi, d’un rapport à l’autre, l’un a besoin d’avoir des projets vis-à-vis de vous et de ce que vous êtes, de ce vous proposez. Alors que si vous êtes absolument dans l’improvisation permanente, personne ne peut se lier à votre projet puisque vous ne proposez pragmatiquement rien. Et ça, ils le comprennent et l’un et l’autre et ils exercent une fascination l’un sur l ’autre. Ils sont d’ailleurs très proches et physiquement ils pourraient être frère et sœur mais simplement, ils suivent des philosophies différentes avec des résultats aussi très différents. Et maintenant que ça c’est fait, il y a des tas de possibilités de décliner ça mais qui sont laissés à l’imaginaire des lecteurs. Que va devenir Raven une fois qu’il aura accompli un certain nombre de choses, que va devenir Darksee maintenant qu’elle a plus son projet initial et que tout a été reseté, elle a appris à voir les choses d’une manière différente. Comme je suis un éternel optimiste, j’aime bien l’idée que l’on puisse se sortir de ces carcans et de ces systèmes pour grandir, progresser…

Ce sont des personnages intelligents…

Ils ont une certaine beauté, à leurs façons. C’est-à-dire que dans le 3, je raconte le trauma initial de Raven et pourquoi il ne peut faire confiance à personne, pourquoi il détermine que c’est le seul à pouvoir se sortir de ses problèmes.

Et ça permet ainsi de comprendre les attitudes qu’il a eu dans les deux albums précédents…

Exactement, qu’en fait, il refuse tout lien sérieux avec les autres, parce que les autres sont liés à une trahison potentiel, à venir et qu’ils ne sont pas fiables et que donc, on doit se débrouiller par soi-même. Alors que Darksee, dans un projet très différent, je suis dans la m…de, vous êtes dans la ….de, ensemble, on va s’en sortir ! Ella a une attitude très constructive.  Elle subit un projet, elle déteste son statut de pirate et veut s’en sortir au plus vite alors que lui aime être la liberté, aime être pirate. Tout ça va être fracassé sur le mur du réel dans cette série.

Raven, le pirate flambeur, vantard, pas souvent courageux… Mais homme de grand cœur, cette définition correspond-t-elle à votre personnage principal ?

Oui, ça correspond ! C’est d’ailleurs montré dans la première scène qui est une scène tragicomique où il est engagé par un équipage pour aller attaquer un autre navire et faire partage de butin, ce qui devrait se passer parfaitement bien vu qu’il a les compétences pour ça. Il est d’ailleurs estimé par un certain nombre, notamment par le capitaine mais voilà, la liberté fait que l’on ne se tient pas à un plan. La liberté fait que si l’on n’est plus d’accord avec ça, et bien on change d’avis.  La liberté fait que si on n’a plus envie d’arriver à l’heure, on n’arrive pas à l’heure. La liberté fait plein de choses qui font que les autres ne peuvent pas vous supporter, on ne peut compter sur vous puisque vous n’êtes pas fiable. Et donc, il refait un arbitrage, est-ce ça m’intéresse de partager le butin ou sauver cette fille qui va se prendre tout l’équipage sur la figure ? Bien, je préfère sauver cette fille et donc trahir l’intégralité de mes alliés. A cet instant-là, c’est ça qui me parait juste ! Quand vous faites ça moi, ça me pose un problème pragmatique que je trouve intéressant. De conscience, est-ce que l’on doit s’en tenir à son plan et faire une saloperie, quelqu’un de fiable mais un salopard ou est-ce qu’il ne fut pas être un salopard mais trahir tous les autres ? Moi, je n’ai pas de solution à ça.

Quand on parle en gens de société, effectivement on dit qu’il s’était engagé, qu’il doit donc aller au bout de son projet sinon il n’est pas fiable. D’accord, cela veut dire, être cinquante à violer une nana et est-ce que l’on est bien d’accord avec ça ? bah non ! Donc, je vous laisse avec ce problème. Et moi, comme je n’ai jamais pu faire les arbitrages de cette nature, j’ai donné mon arbitrage qui dit qu’il est hors de question que les gars passent sur cette fille. Et tant pis pour le plan, tant pis pour le projet.  Donc, je ne suis pas fiable mais je l’assume ! Mais c’est un problème de conscience qu’il faut savoir assumer parce que je ne trouve pas que ce soit si simple. Tout le monde parle de ça comme si c’était une formalité et je ne trouve pas que ce soit si évident que ça. Ma série parle donc de ça : tu es libre, d’accord, mais tu penses que tu es quelqu’un de fiable, que tu es quelqu’un de sérieux ? Voilà ce que cela veut dire, qu’est-ce que tu fais dans ce cas. Cela m’intéresse ces questionnements, ce n’est pas une provocation de ma part. Je trouve ça considérable, colossale. Je trouve que l’on brandit beaucoup ce terme et qu’il faut bien mesurer ce qu’il recouvre. Raven est vantard, il a du cœur parce qu’il va toujours suivre ce qui lui parait être juste à l’instant T et rien que le fait de faire ça prouve que c’est un homme libre mais un homme absolument pas fiable.

Instinctif…

Instinctif, intuitif parce que la vie est mouvante, que les choses évoluent en permanence et que par définition la fiabilité, c’est savoir se tenir à une parole et que la parole va être modifiée par les paramètres qui vont évoluer et donc, si on est fiable, c’est que l’on est borné. Si on est borné, c’est que l’on n’appréhende pas le réel, qu’on refuse les arbitrages moraux personnels. On est fiable par rapport au programme collectif mais on devient un salopard, c’est quasiment mécanique ! D’ailleurs, toutes les saloperies qui ont été faites sur la planète ont été faites du nom que je m’étais engagé, c’est des ordres, etc… Je ne dis pas que j’ai une solution, je dis que c’est un peu confortable d’avoir des opinions radicales là-dessus parce que ce n’est pas simple.

Cette série Raven vous revient totalement, que ce soit le scénario comme le dessin et la mise en couleurs et après ces 3 tomes, comment cela s’est-il passé ? Allez-vous recommencer à être seul maître à bord ?

C’est amusant, je pense que Raven a été fait avec un cahier des charges thématique, on avait cette parabole, j’avais envie de parler de ça et je l’ai fait sur une méthode qui est un peu la méthode que je pense que l’on fait depuis les années 90-2000 où l’on fait un découpage sous forme d’album qui sont définis par un programme éditorial, de délais de parution, de nombre de pages. Un format qui a été inventé dans les années 80. J’ai eu le sentiment, au fur-et-à-mesure que j’avançais dans cette série que j’avais évolué dans mes ambitions et que je n’arrivais pas forcément à faire rentrer tout ce que je voulais faire rentrer dans ce format-là. Alors, je l’ai fait, en gagnant de plus en plus de pages au fur-et-à-mesure.

Cela fait partie des questions suivantes…

On pourra développer… Mais là maintenant, j’ai envie de… Comment dire, à partir du moment où il faut faire rentrer, ce n’est pas toujours facile de réaliser à quel point c’est difficile de faire rentrer un récit complet avec tous les personnages, les actions, les conflits, le traitement des atmosphères, des états d’humeur. C’est assez ambitieux et au bout d’un moment on se demande pourquoi on est obligé, on passe autant d’énergie à tronçonner et à mettre au point les ellipses qu’à véritablement développer les scènes parce qu’elles doivent toute rentrer dans trois pages maximums parce qu’on a une moyenne de 15 à 22 scènes par album.

Historiquement, c’était le format de 48 pages pour des raisons techniques d’impression

Effectivement mais ces contraintes ont beaucoup changé notamment grâce à l’évolution de la bande dessinée ces dernières années. Maintenant, je dirais même que les lecteurs et les éditeurs sont très demandeurs de livres plus littéraires, plus ambitieux, plus fouillés de prendre la place de dire les choses, en tronçonnant moins, en jouant moins l’ellipse et en allant plus dans le traitement des humeurs, le traitement des particularités, de ce que l’on a comme regard d’auteur en fait. Un peu moins optimiser mais en laissant plus cours à ses envies et ses intuitions. J’ai envie d’aller là-dedans et donc de raconter des choses, sans doute, du même ordre parce que je reste quelqu’un qui aime l’aventure, le genre mais en prenant plus de place, de dire les choses d’une façon plus approfondi.

Et donc, vous allez rester, seul maître à bord ?

Ce n’est pas obligatoire. J’avais un thème personnel dont je voulais parler et je ne voulais pas embarquer un scénariste là-dedans, je ne voulais par faire une commande. Ce n’est pas par volonté de contrôle, c’est juste que j’avais juste une histoire à faire avec des pirates.

Maintenant, c’est merveilleux d’être inspiré par le texte de quelqu’un, c’est merveilleux d’avoir le droit de faire des allers-retours et d’emmerder quelqu’un du matin au soir, d’avoir un projet commun et ça me manque quand je travaille seul. Chaque fois que j’en parle à ami, j’ai l’impression de lui prendre du temps, de l’emmerder. Travailler avec Xavier (Dorison ndlr) est un bonheur de chaque jour, c’est un mec génial, adorable, compétent, ça me manque. Donc, retourner vers une collaboration, avec grand plaisir ! Cela sera vraiment lié à l’ambition et la vision du projet. C’est-à-dire, quelqu’un qui voudra fouiller davantage, qui veut prendre le temps de dire les choses d’une autre façon, passer un petit peu de ce que l’on a pu faire dans les années La quête de l’oiseau du temps, les passagers du vent à La balade de la mer salée, Ici même, Le grand pouvoir du chninkel, c’est-à-dire des albums que j’ai aimés passionnément puisqu’ils m’emmenaient dans un univers encore plus vaste. Donc, totalement ouvert et je dirais, de manière plus pragmatique, que c’est souvent une meilleure opération de travailler à deux sur ne bande dessinée parce que ça prend énormément de temps.

Il y a une complémentarité aussi…

En dehors de tout principe de compétence, alors là c’est évident, il y a un plus, c’est une symbiose qui peut se créer et ça, c’est génial ! Mais, tout simplement, en terme de process, c’est génial pour un dessinateur de ne pas avoir éternellement, il y a un phénomène de répétition dans la bande dessinée, il faut concevoir l’idée, il faut faire le synopsis, il faut faire la continuité dialoguée, le storyboard, le crayonné, l’encrage et la couleur et je fais tout ! Ce qui fait qu’au bout d’un moment, je suis tellement repassé tellement sur mon histoire, de ne pas pouvoir en parler, de ne pas avoir de recul, ne pas pouvoir découvrir les scènes, le charme quand le scénariste vous envoie quelque chose, c’est qu’on la découvre et très vite, on la dessine. Ce qui fait que l’on reste le premier lecteur le premier lecteur de la scène. Alors que moi, lorsque je dessine une scène, j’ai déjà passé 3-4 mois dessus à faire la version 1, 2, 3, le découpage, le storyboard… Il y a une plus-value de fraîcheur et puis on est nourri par un point de vue extérieur. Non, ça reste des équipes restreintes, on n’est pas au cinéma. L’idée de se mettre à deux ou trois pour faire un livre, c’est super stimulant.

Et, je suppose qu’il y a un travail avec l’éditeur ?

C’est évident que le regard de l’éditeur est pour moi s’avère très précieux pour moi, voire capital car il suffit de passer une ellipse mal gérée, une réaction d’un personnage qui ne parait pas clair. On oublie ça mais la plupart des grands écrits ont été corrigés par leurs éditeurs qui faisaient le regard extérieur parce qu’ils avaient pragmatiquement plus lu de livres que les auteurs, ils avaient une culture parfois supérieure, un recul et une expertise de qualité de lecture et je trouve ça ultra précieux. J’aime ça, en tant qu’auteur, on est là pour faire passer un propos, on n’est pas des démiurges, on fait ce qu’on peut. Mais le regard extérieur qui dit qu’il voit très bien ton intention mais là attention, je t’alerte sur quelque chose revêt une valeur énorme. Il vaut mieux que ce soit l’éditeur au moment de sa vacation plutôt que les lecteurs le critique et qu’ils s’en rendent tous compte sauf vous. Autre chose, il cosigne le livre, c’est les gens de Dargaud, de Glénat, certains sont là, certains ne sont plus là mais bon… Mais globalement, c’est une cosignature. On doit donc assumer les bons vents comme les mauvais, le fait que l’on se soit tous impliquer et donc c’est ce que j’attends de l’éditeur, c’est qu’il soit également responsable que ça se passe mal ou bien. C’est une collaboration de longue haleine. Après, il y a une réalité pragmatique qui est que le temps n’est pas compressible et quand on fait le calcul très simple du nombre de sorties annuelles par éditeur, vu le nombre d’éditeurs qui sortent effectivement des livres, vous divisez par le nombre et vous constatez qu’il reste très, très peu de temps pour chaque livre, en terme de relecture. Chacun se débrouille, fait au mieux.

C’est important pour un auteur de trouver un éditeur qui lui permette de faire un meilleur travail au sens le plus large du terme. Qu’il le conseille sur les formats, sur les alertes en cours de process et qu’il soit surtout amoureux du livre et amoureux des efforts que l’on fait pour que le livre soit là puisque c’est lui qui monte sur l’estrade pour le proposer, le faire connaître.

Vous précisiez dans notre précédent entretien que vous étiez obligé d’aller très vite car vous n’aviez que 54 pages. Cette fois, le dernier opus en contient 81 pages. Aviez-vous l’intention de clôturer la série, comme Long John Silver, en 4 tomes ?

Non, non, dès le départ il était prévu en 3 et donc, on est à la fin de la fin et il se sépare sur cette note… C’était prévu, il y avait les 3 titres en 3 actes.

Et puis, il y a les couleurs sur la couverture qui allaient en intensité, avec Furies (sous-titre du dernier album ndlr)

Oui, oui, il y a une progression. Bah, avec Furies c’est le moment de la force des convictions qui se heurtent au réel et explosent en vol et comment on essaie de se reconstituer, c’est des choses qui nous sont arrivées. Il y a un moment où nos assises volent en éclat. On a toujours des compétences, des aptitudes mais qui n’ont plus aucune routine, qui n’ont plus aucun process habituel pour résoudre les problèmes. Alors là, Raven le comprend au milieu du tome 3, il comprend enfin la nature de son problème, il se fait secouer les puces et il comprend qu’il n’a que 2 solutions, il fout le camp et continue son ancien système soit il pulvérise son ancien système et ça va l’amener dans une conclusion d’histoire complètement différente des précédentes puisqu’il a agi différemment et que ça a des conséquences immédiates. C’est ça la beauté de la vie, quand on a un problème rémanent, on a une action que l’on génère de manière quasiment systématique, l’action va changer et ça va très vite.

Les furies, elles sont partout, sur le feu qui se déclenchent, sur les pirates qui se rebellent, les autochtones qui tentent de reprendre la main… Il y a une profusion dans ces dernières pages qui apparait apocalyptique je trouve. C’est le foisonnement…

Oui, et ça se termine par l’apaisement ce qui pour moi est important ! Je pense que nous-même, en terme de société, on est à ce moment de la furie, il y a un désir de guerre, un désir de conflit, il y a un désir de tracer des camps. C’est vrai partout, tout le monde le ressent et ça devient comique. Tout le monde créer des conflits de toutes pièces, basés sur rien du tout. On peut toujours trouver des causes, c’est très largement surjoué parce qu’il y a une envie de guerre en fait, au final. Comme je suis scénariste, je sais très bien qu’il faut que tu détermines l’action, l’humeur et l’argument. L’humeur est toujours à l’origine de tout. C’est le même raisonnement qui est à l’origine de l’action, c’est toujours : j’ai une humeur, je vais l’étalonner et je vais la justifier par des arguments, ça va me permettre d’aller jusqu’au bout. Au milieu, il y a un raisonnement mais c’est purement accessoire, c’est uniquement de l’argumentaire. En fait, c’est l’humeur qui conditionne tout et aujourd’hui, il y a une humeur de guerre et donc dans Furies il y a une humeur de guerre. Les autochtones ont été violés sur leur territoire, ils tiennent un moment et puis ils décident quand ils viennent sur le volcan que c’est un manque de respect absolu et que ça nécessite sanction. Puis, il y a Darksee qui a pêché par orgueil et par excès d’ambition a refusé de prendre au sérieux la menace qui a finit par lui péter à la gueule et donc son système a volé en morceaux et Raven a pensé que sa compétence et son charme arriveraient à le sortir de toutes les situations. Il peut s’en sortir, certes mais en étant éternellement malheureux et il va donc falloir qu’il change de système sinon il sera toujours malheureux même s’il a le trésor, la liberté…  Chacun va aller à son point de rupture et ça va donner le moment où tout le monde collapse : la société, Darksee, Raven déchainant les enfers.

Raven va même faillir y passer…

C’est des modes de vie où l’on risque sa vie tout le temps, chaque journée est une victoire, c’est une vérité. Mais même en navire aujourd’hui, les outils font que c’est quand même plus aisé qu’avant mais ça reste un vrai problème et les coques de noix qu’il y avait à l’époque, très peu tenaient la route car ils coulaient tout le temps eu égard à leurs fabrications.

Après Long John Silver, Raven, pouvez-vous nous dire pourquoi cette attirance pour les pirates, est-ce parce que comme le dit Darksee, « les pirates ne sont pas des héros »… leurs « fureurs et » leurs «batailles sont le rire désespéré du condamné » ? 

Ouais, je crois énormément à ça. Je pense, je ne veux pas faire, en tant que citadin du 21ème siècle, d’analogie quelconque mais j’ai une vague perception que ce peut être l’idée de vivre en dehors des cadres mais il y a un vrai prix à ça. Je pense pourquoi on s’intéresse aux pirates, l’histoire a généré tellement de cas de figure particulier. Pourquoi est-ce les pirates, pourquoi est-ce les cow-boys ? Il y en a quelques-uns qui illustrent quelque chose d’assez fondamental et le pirate représente celui qui n’a pas réussi dans les cadres que la société lui propose, lui impose mais qui va utilisé toute son énergie pour montrer qu’il n’est pas une m..de , c’est-à-dire qu’il vaut quand même quelque chose. D’accord, il ne sera pas agriculteur, pas maçon, pas notaire, pas avocat, rien de tout ça mais il peut faire quelque chose dans certains cadres et y mettre une espèce de volonté que je considère comme désespérée parce qu’elle est forcément condamnée vu que l’on ne peut plus rentrer dans l’histoire. Personne n’écrira votre histoire, vous n’aurez plus de famille, pas d’enfant. Vous êtes condamné de toute façon. Tout ce que vous pouvez faire, c’est que pendant un petit laps de temps, montrer que toute l’énergie et les compétences que vous avez, que vous allez faire chier une dernière fois et que ça va se voir. Il y a un côté anar magnifique là-dedans chez ces bandits mais c’est l’expression de la violence quand un individu est rejeté par le groupe. C’est pour moi, l’épure de ça. Quand un gamin a des mauvaises notes et que personne ne le respecte et qu’il est tout seul dans sa classe et tout seul dans les rues, il voudrait mais il n’a pas les moyens pour faire partie et qu’il dit, c’est mon choix et je le revendique. A la base, je pense que personne ne se coupe du groupe. Honnêtement, c’est trop dur, vraiment douloureux. Quand on est coupé du groupe, c’est soit qu’on est mal à l’aise, trop timide ou que l’on n’a pas les armes pour plaire ou qu’on n’est pas assez bien foutu. Bref, pour une raison ou une autre, le groupe ce n’est pas facile pour vous et donc, plutôt qu’assumer que vous êtes rejeté, vous faites semblant que c’est un choix. Vous prenez une espèce de geste superbe, qui à mon sens est totalement désespéré puisqu’elle n’a pas d’horizon.

C’est une forme de fuite en avant…

C’est une fuite en avant sachant qu’un homme qui vit sans groupe est mort. Ce n’est pas pour rien que l’on ait communautaire, l’efficacité est communautaire. La solitude vous condamne au moindre coup dur. Donc, ce n’est jamais de gaîté de cœur, c’est toujours difficile mais le pirate il parle de ça. Il dit, je suis peut-être un tocard, vous n’avez pas voulu de moi mais vous allez voir que je vaux quelque chose. Et tous les gens qui sont un peu en marge se reconnaissent dans cette espèce d’énergie qu’on sait bidonnée mais parfois, s’avère étayée par de vraies compétences, de vraies fulgurances. Ces gens savaient faire des choses que les autres ne savaient pas faire. Faut quand même pas l’oublier, ils pouvaient vraiment s’emparer à 20 d’un navire de 100 personnes et traverser les océans avec des appareillages extrêmement restreints sans avoir une formation que le capitaine pouvait avoir. Ils pouvaient se sortir de mauvais pas incroyables, c’étaient des combattants uniques. Ils avaient des boucaniers qui pouvaient tirer sur de grandes distances des hunes, fallait quand même le faire !

Il fallait quand même qu’ils structurent un peu sur les bateaux, que chacun ait son rôle…

Non seulement ça mais au-delà de ça, ils étaient démocrates, ce qui étaient les premières sociétés démocrates de l’époque, c’est-à-dire que l’on pouvait élire le capitaine comme le destituer, ce qui n’était pas le cas dans les marines anglaises, espagnoles ou encore françaises. Ils respectaient la compétence, pas la naissance évidemment. Or, chez les pirates, il y avait des aristocrates, des défroqués, des esclaves, tout ce qu’on voulait mais ce n’était que la compétence qui prévalait. On a mis des années à reconstituer le système mais d’une certaine manière, ils ont préfiguré les règles de 1789. Ils étaient en avance là-dessus et d’ailleurs ils ont fait des sociétés utopiques, il y avait l’histoire de Misson à Madagascar mais il y en avait d’autres. Parce que, assez vite, ils arrivaient à l’idée que, et ça c’est quelque chose que l’on retrouve dans le mythe de l’Ouest américain, pourquoi l’on est aussi fasciné par ça parce que débarrassé du nom, débarrassé de la naissance, de la notabilité, de la respectabilité avec une société établie, on redevient juste à qu’est-ce que tu peux faire avec tes mains ? Est-ce que tu es capable de labourer, de construire une baraque, as-tu du bon sens, est-ce que tu vas être utile dans une société ? Mais là, on est à l’os et à un moment, lorsqu’on n’est pas dans les hautes sphères bah, ça fait du bien de se sentir que l’on a peut-être sa chance dans ces moments-là. C’est très fédérateur les chez les pirates et chez les cow-boys.

J’ai fait aujourd’hui les deux grandes histoires sur les pirates, j’aurais eu une belle histoire à raconter sur Darksee : pourquoi est-ce qu’elle comme ça, pourquoi est-elle marquée aux fers, pourquoi a-t-elle cette colère en elle ? Je sais tout, j’ai tout écrit, on verra si on le fait. Je verrais ça avec Dargaud mais pour l’instant, nous sommes sur la clôture de Raven. Je voulais parler de la liberté, je l’ai fait ! Et maintenant, je vais me détendre un peu.

Je pense que lecteurs vont vous poser la question de savoir s’il y aura une suite ?

La fin est assez ouverte. D’ailleurs, pour la petite histoire, Dargaud était assez hostile à l’idée que la fin soit aussi ouverte, il voulait quelque chose de plus clos mais moi pas, parce que je veux raconter un jour, raconter ces histoires-là. Raven, on peut considérer que j’ai expliqué d’où il venait et pourquoi il était comme ça mais Darksee, il y a un chapitre intéressant à développer sur elle parce qu’elle n’est pas arrivée là par hasard.

visuels © Bernard Launois & Lauffray/Dargaud

Bernard LAUNOIS

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Interviews

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Publié le 10 Novembre 2024

Rencontre de l'auteur Romain Hugault, à l’occasion de Quai des Bulles 2024, pour Tomcat sa 1ère bd tirée de faits historiques.

« Je voulais raconter une histoire avec un F14 Tomcat qui est un avion magnifique, mythique, le héros de mon enfance »

Quels arguments donnerais-tu pour donner envie de lire Tomcat ?

Ne pas se fier à la réputation embêtante qui dit que les bd d’avions, que un, c’est forcément pour les garçons, que deux, c’est forcément pour les geeks qui lisaient les Buck Danny de leurs grands-pères et que c’est un genre comme un autre. Une bonne histoire, c’est une bonne histoire.  Que ce soit une bd de pirates ou de cow-boys, si c’est super bien fait avec passion et amour, ça peut faire des albums intéressants pour tout le monde.

J'ai une dame qui est venue me voir et qui m’a dit « Écoutez, j’y connais rien en avion, j’en ai rien à faire mais j’adore cette histoire car c’est une femme qui se bat dans un milieu d’hommes. C’est une histoire féministe et même s’il y a des missiles, du kérosène et des boulons, ça n’empêche pas de faire une bonne histoire intéressante.

Comment s'est fait la rencontre avec Anastasia et comment avez-vous travaillé avec elle ?

Alors, Anastasia, c'est suite à ma collaboration pendant seize ans avec Yann, qui s'est très bien passé, très bien fini, il n’y a pas eu du tout de friction, rien du tout, j’avais fini Angel Wings, cela faisait 8 ans que j’étais sur le même personnage et j’avais envie de changer un peu d’air. Et je cherchais par contre, la perle rare qui est un ou une scénariste qui aime les avions. C’est compliqué, même Yann me disait qu’il y avait des dessinateurs que ça embête. Lui adorait ça mais c’est comme faire une histoire de voitures, une histoire de western, si l’on n’aime pas ça à la base, c’est compliqué !

En plus, souvent dans les histoires techniques comme ça d’aviation, l’avion et toute la technicité du vol qu’il y a autour, l’histoire de l’aviation, comment vole un avion, pourquoi, quels sont les pannes, les défauts, les qualités amènent des éléments de scénario aussi. Yann me disait qu’à l’époque, que le Panther à l’époque, quand il tirait, ils n’avaient pas mis d’évent pour les gaz et du coup, les nez explosaient. En fait, les mecs tiraient et au lieu d’atteindre leurs proies, ils se retrouvaient à être les cibles. Tout ça pour dire, que les trucs techniques amènent des scénarios. Donc, il faut un scénariste qui aime ça. Et Anastasia que je ne connaissais, qui ne venait pas du tout de la bd. C’était dans mon studio à Paris, j’ai une copine qui est scénariste pour des séries télé, dans l’animation à qui je parlais de mon désarroi de ne pas savoir avec qui bosser maintenant et qui me l’a présentée.

Moi, j’ai toujours bossé avec un ou une scénariste parce que je considère que c’est un vrai métier. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait par-dessus la jambe. Je fais déjà double casquette avec le dessin et la couleur. Je ne sais pas raconter des histoires et surtout les dialogues. Elle m’a dit « il y a Anastasia, ces parents sont tous les deux pilotes, elle fan d’avion et elle aurait rêvé de faire un Angel Wings. Je l’ai rencontré et ça ç’est super bien passé. Après, c’était vraiment un truc à quatre mains, ce n’est pas son scénario que j’adapte. On a travaillé ensemble. Par exemple, c’est moi qui ai eu l’idée, bah attends, il y a deux histoires. Parce que l’idée, c’était que je voulais raconter une histoire avec un F14 Tomcat qui est un avion magnifique, mythique, le héros de mon enfance. C’était Top gun, c’était ce qui m’a donné la passion de l’aviation. Mais je cherchais une histoire encore un peu fictive mais bon, je risquais de tomber dans les écueils de Top gun, du film. Et puis, je me suis renseigné et j’ai vu qu’il y avait un avion qui avait fait deux trucs mythiques et je me suis dit, pourquoi ce ne serait pas de raconter l’histoire de cet avion même si les deux histoires n’ont pas grand lien, ça raconte la vie de l’avion. Et donc, c’est parti comme ça, et l’idée que j’ai eue, c’est de dire que c’est l’avion qui raconte sa vie. L’avion va se scratcher et comme un humain, quand on va mourir, votre vie se déroule devant vos yeux et on commence comme ça. Et l’idée de base pour pas faire un truc barbant parce que c’est très technique, c’est un combat aérien qui se déroule dans les années 80, c’est très missiles, radars et du coup, ça peut être complétement abscon ou rébarbatif et du coup pas intéressant. Et en fait, l’idée était de se dire que c’était l’avion qui a des émotions qu’il raconte en voix off et les humains aux commandes sont à la limite plus des robots, ils sont très techniques. C’est marrant de prendre le truc à l’envers et les tous premiers lecteurs de l’album sorti en avant-première à Saint-Malo disent étrangement que l’on s’attache à l’avion et c’était mon but ultime. Pour moi, je suis tellement passionné d’avion que de voir un avion mythique, un avion que je n’ai jamais vu, ça peut me faire pleurer. C’est débile mais j’ai un tel amour de l’aviation. Et le but, c’était que l’on arrive à se lier avec cet avion. En plus, il y a plein de choses qui se sont rajoutés après dans ma vie qui fait que c’est un album bourré d’émotions pour moi.

Est-que ça été difficile de réaliser une bd tirée d’une véritable histoire, celle de Kara Hultgreen, première femme pilote de chasse embarquée dans la marie américaine ?

Ouais, c’était pas évident parce que, autant dans Angel Wings ou dans mes autres séries, comme je créé les personnages, je fais ce que je veux, tout en étant déjà dans un dessin très historique avec le bon boulon au bon endroit, le bon char à tel endroit. Pas d’anachronisme même dans une histoire fictive. Là, je suis au plus près de la réalité. J’ai vu des photos noir & blanc un peu floues et j’ai vu qu’elle avait une montre chrono et j’ai retrouvé des personnes qui m’ont dit que c’était telle montre. J’ai dessiné à tel endroit, me suis assuré quelle voiture elle avait, m’apercevoir que la couleur du hangar était différente que celle quelques années plus tard. Voilà, j’étais au plus près ! Le but, c’est un avion très complexe et je veux que des anciens pilotes de Top Case disent « Ah, p…, bien joué, tu as même mis le mode suivi de terrain… Machin ». J’essaie d’être le plus taré et irréprochable possible.

Le problème, c’est que quand on dessine une histoire fictive, une histoire réaliste, l’histoire aussi doit être comme ça. Donc, je me suis appuyé, de loin, sur les mémoires qu’a écrit sa mère, où elle racontait sa vie. J’ai essayé d’être le plus neutre possible eu égard à la polémique qu’il y a eu lorsqu’elle Kara Hultgreen s’est tuée. C’est la première femme pilote décédée après un an d’exercice, fort de quarante huit appontages et ce n’était donc pas une minette qu’on avait prise là, d’autant plus qu’elle avait déjà piloté des avions réputés difficiles.  Aujourd’hui encore, à l’occasion de posts de certains de mes dessins, on trouve sur les réseaux sociaux des remarques désobligeantes comme quoi elle n’aurait jamais dû être dans un Tomcat, elle n’était pas prête, la Navy l’a poussée… Oui et non, oui ils ont poussé parce qu’il fallait sortir des scandales de sexisme et même de viols dans la Navy, c’est ce que l’on raconte un peu dans la bd. Il fallait qu’il y ait des femmes mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’avait rien à faire ici, c’est pas pour autant que l’avion, à 0,4’’ seconde près, elle aurait été encore vivante. Le crash a duré 3’’, qu’est-ce que vous faites-vous en 3’’ quand vous avez une bagnole qui débarque, qui vous pique de la droite et vous grille la priorité ? C’est très compliqué et surtout très facile de refaire l’histoire. C’est marrant de constater, que 30 ans après, c’est encore polémique ! On vous l’avait dit, pas de gonzesse aux commandes, c’est un truc de mec de faire la guerre avec des avions. Donc, c’est aussi ça, et puis comme je l’ai écrit dans ma préface, je me suis attaché à ce personnage puisque ma mère est décédée à l’atterrissage il y a 2 ans. Donc, voilà, ça été un peu, un album cathartique où j’ai fait mon deuil. J’ai essayé de faire du mieux que je pouvais.

A la lecture de la préface, on comprend que la réalisation de cet album a un eu un sens particulier avec notamment un concours de circonstances alors que votre nouveau projet concernait la carrière d’une pilote décédée lors d’un appontage (ndlr atterrissage sur navire) alors que vous veniez de perdre votre mère, pilote émérite lors d’un atterrissage. Y avez-vu un signe du destin ?

Destin, non parce que les deux éléments un ne sont pas liés parce que j’ai décidé de faire cette bd après le crash. J’avais déjà l’idée de faire ça, l’idée de faire Kara Hultgreen et quand c’est arrivé, juste la question s’est posée : là, je suis face à un os, j’en rêve de faire cette bd depuis longtemps et j’ai un super sujet, manque de bol ça m’arrive dans ma vie, qu’est-ce que je fais ?  Connaissant ma mère, sa pugnacité au travail, son amour de mon travail et je pense qu’elle aurait été assez vexée que je me dise, j’y vais pas parce que ça me fait du mal. Au contraire, je vais tout défoncer, je vais faire comme elle aurait aimé, je vais bosser comme un dingue pour faire le plus bel album, le plus honnête qui puisse être.

Pour lui rendre hommage en quelque sorte ?

Tout à fait ! Et j’y suis allé et avec tout ce que je pouvais et j’espère qu’elle est fière de moi !

Votre réponse décline sur la question suivante : « Show must go on » s’avère sûrement une phrase que vous avez dû ruminer après la mort tragique de votre mère.

Ouais

 Qu’est-ce qui vous a donné la force de continuer le projet et quelles en étaient les alternatives ?

Les alternatives, c’étaient de faire complètement autre chose. Continuer, oui ! J’avoue que quand j’ai dessiné la scène où l’avion bascule dans l’océan et que ça va être fini, j’ai versé ma petite larme. C’est assez bizarre, je ne fais pas mon fiérot et je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières à cause de ça. Ce n’est pas un argument marketing, c’est juste un album qui m’a donné beaucoup d’émotions que j’ai essayé de rendre pour le lecteur. L’avion, c’est à la fois une espèce de machine qu’on se met autour de soi pour voler dans le ciel. Je ne comprends pas encore qu’en 2024 on dit qu’il faut clouer les avions, ça pollue. C’est quand même l’une des plus belles réussites de l’humanité. C’est ce dont on rêvait depuis des millénaires et notre génération, enfin moi, ma grand-mère a connu l’époque de Blériot et la conquête de la lune. Elle est morte il y a 5 ans, elle a connu le Concorde. En une génération d’humains, on a conquis le ciel et l’espace, c’est un truc extraordinaire, complètement fou ! Et donc, c’est vrai que la machine revêt pour moi, quelque chose d’exceptionnelle et c’est vrai que lorsque l’on vole dans un avion, on fait confiance aux matériaux, à l’ingénieur qui l’a créé. On se fait confiance parce que l’on pilote l’avion et on se dit que dans le ciel, quand vous avez des ennuis dans votre vie, des trucs qui ne vont pas, vous décollez et ouah, tout disparaît ! Je sais que le premier vol que j’ai fait après le décès de ma mère, je suis monté au-dessus des nuages, un ciel magnifique et des beaux nuages bien distincts, un soleil rasant, tout était orange, j’ai fait des arcs-en-ciel dans le ciel et je ne sais pas si vous l’avez déjà remarqué, il y a un effet visuel quand on a, à travers le hublot, son ombre dans un nuage, cela fait un halo d’arcs-en-ciel autour et c’est magique. J’ai donc fait des arcs-en-ciel pendant une demi-heure puis je suis retourné me poser. Dans ces moments-là, on est hors du temps, on est seul au monde et c’est quelque chose que l’on ne peut comprendre si on ne vole pas. Mais même, quand vous partez en avion de ligne, que vous décollez de Paris avec un temps maussade et que vous passez les nuages pour découvrir un grand soleil, c’est un autre monde, on est au paradis et c’est sympa de vivre ça.

Et vous arrivez à partager votre temps pour voler ?

Oui, comme d’hab’, je suis partagé entre la table à dessin, ma petite famille et les avions et c’est dur de tout concilier. Je ne vole pas assez, je rêverais à la fois d’être Maverick dans Top Gun 2, avec mon lit dans le hangar avec mes avions, mes motos et bricoler et puis partir faire mach 10, puis après pilote de chasse. Mais c’est un peu un délire et je pense que Maverick doit se sentir un peu seul. J’ai des potes qui ont tout ça mas qui n’en profitent un peu que le samedi, c’est dur d’être un cow-boy solitaire. (rires)

J'aimerais que vous reveniez sur la réalisation de vos bandes dessinées, à la fois sur le niveau technique, graphique.

Je n’ai pas changé de méthode depuis toujours Le Grand-Duc, cela va faire 15 ans maintenant. En fait, j’esquisse au crayon bleu, les masses, les perspectives, je dessine au crayon bien affuté et ensuit, je scanne et je vire le bleu. Il ne me reste plus que le trait et je mets en couleur avec une tablette graphique avec Photoshop. Avec l’arrivée de l’IA, c’est vrai que tous les auteurs, on n’est pas vraiment en stress mais on se dit quand même que c’est préoccupant. En fait, j’ai un dessin tellement réaliste que les gens n’arrivent plus trop à faire la jonction entre savoir si c’est une photo ou un dessin. En fait, j’ai un dessin qui n’est pas assez graphique et je rêverais d’avoir un dessin plus lâché, un truc à la Ralph Meyer. On voit le dessin, l’encre, le trait de pinceau, la matière quoi ! J’ai un dessin d’un peu, un moine copiste et je vois qu’il y a des gens qui ne se rendent pas compte du travail qu’il y a derrière.

Quand je fais un effet de vitesse d’une mer, je ne prends pas une photo de mer à laquelle j’ai mis un calque de vitesse, j’ai tout peint à la main au pinceau. Par exemple, je n’ai pas 50 000 calques, un pour la lumière, un pour l’ombre, j’ai le dessin, point ! Souvent, je détache l’avion du fond parce que si je veux le bouger et en fait j’utilise l’ordi comme un pinceau comme si j’étais en méthode traditionnelle.

La méthode traditionnelle ne vous a-t-elle jamais tenté ?

Si, si mais je ne suis pas assez doué. Fraudrait que je m’y mette vraiment. J’ai fait de la peinture, des toiles d’avion avant de faire de la bd. Et c’était un tel rêve de faire de la bd, ça prend tellement temps que je n’en ai pas à y consacrer 6 mois sans parler que j’ai une famille à nourrir, des bd qui me passionnent à faire et c’est le même truc que passer mon temps à l’aérodrome. Je ne peux pas, je n’ai vraiment pas le temps ! Il faudrait que j’ai un burn out qui m’impose de ne plus faire de la bd pendant 2 ans, je me met à la peinture ou faire de la bd traditionnelle mais c’est un boulot. Déjà que c’est compliqué avec les avions. Je ne suis pas sectaire, faut voir.

D’où l’intérêt de réaliser des interviews afin que les lecteurs appréhendent mieux les raisons pour lesquelles il faut tant de temps pour faire un album.

Et encore, je suis un rapide, je mets un an, un an et demi pour faire un album. J’ai 20 ans de carrière et j’en ai fait 27 ajoutés à des pin-ups… C’est un rythme assez soutenu mais je suis conscient de la chance que j’ai, il y a tellement d’auteurs bd. Quand on voit en librairie le talents des mecs, il y a tellement de trucs géniaux qui sortent et ce, dans n’importe quel domaine et malgré tout j’ai fait mon trou.

Que vous avez fait très rapidement

Dès le premier album, j’ai eu un prix grâce à Michel Edouard Leclerc, merci à lui, prix « J’ai coincé la bulle », prix des premiers albums et boum on récompense quelqu’un qu’on aime bien et ce fut moi. Alors, je commençais à peine la bd, j’ai un prix et on m’encourage et je me suis que c’était une chance à ne pas louper. J’ai toujours bossé, j’ai toujours un projet qui pousse l’autre et je sais que c’est une chance que je ne veux pas gâcher. J’ai une grande liberté chez Paquet, je fais des albums que je veux, je n’ai aucun plan marketing. Le prochain projet après Tomcat où j’en suis à la planche 6 et un jour je suis arrivé, j’ai posé la première planche sur le bureau et j’ai dit que j’avais un projet avec tel mec qui parle de ça et on m’a dit ok, j’ai une telle chance.

Cet album Tomcat marquera assurément votre bibliographie pour diverses raisons : un bel hommage au combat des femmes pour être respecté et reconnue comme l’égale de l’homme mais aussi au travers de la mise en lumière de cet avion, qui grâce à Top Gun est rentré dans la postérité.

Exactement !

Pensez-vous, dans l’avenir, continuer à raconter et mettre en image des faits historiques autour de l’aviation ou était-ce une parenthèse ?

Non, le prochain projet revient à une affaire fictive dans un avant réaliste mais ça part toujours de l’envie d’avions, d’une époque et là, je suis parti dans les années 30. Je reprends une série qui parle de l’âge d’or de l’aviation et des avions de course mythiques des années 30 où les pilotes étaient des héros. Il faut savoir qu’à l’époque, un meeting aérien aux États-Unis rassemblait 700 000 personnes. Là, ça a un peu une ambiance Gatsby, Scarface, un peu mafia, costumes rayés avec des grosses voitures, pauvreté après la crise de 29 et richesse folle des trafiquants. Je fais un truc un peu fun, j’en avais besoin après Tomcat, de marrer et d’y aller à fond.  De la couleur, de la couleur et puis art déco. Je vais faire un gros boulot sur le graphisme des planches car je veux que l’on se sente dans Gatsby. Ce sera tout d’abord en tomes et on verra après.

Je suppose qu’au niveau des ventes…

Depuis quelques années, Je ne stresse plus trop sur les ventes. Je sens que j’ai un plancher de lecteurs qui aime bien ce que je fais, j’ai un lectorat fidèle. Je ne suis pas une star de la bd qui défoncent à 200 000 parce que j’ai fait un sujet de ouf. J’ai la modestie de pouvoir dire que j’ai de lachance d’avoir un lectorat fidèle qui me suit sur n’importe quel sujet et qui est cool. Les gens sont sympas en dédicace, j’ai pas de chieurs, franchement, ça se passe vraiment bien.

Réaliser des rêves de gosse s’avère utopique pour bon nombre d’entre nous. Vous vous êtes donnés les moyens pour y arriver, à force de ténacité et beaucoup de travail. Pouvez-vous revenir sur ce parcours, ce qui a vous a marqué et maintenant quelles sont vos aspirations pour la suite de votre carrière ?

Mes parents n’étaient pas du tout dans le milieu artistique, mon père était pilote dans l’armée, ma mère était institutrice et ils n’ont jamais mis de frein à une carrière qui partait pour pas être… Voilà, je faisais des petits dessins, je n’avais jamais pensé faire de la bd. Pilote, ç’aurait été bien mais c’est vrai, mon père m’a dit une fois qu’ils n’étaient pas stressés car ils voyaient que je travaillais. Je n’ai jamais arrêté de dessiner, j’étais timide, introverti et ce qui est chouette, c’est que ma réussite m’a permis de devenir quelqu’un, entre guillemets. Et la chance d’être un gamin qui a deux passions, le dessin et les avions, je vie des deux.

Mais, c’est aussi à force de travail…

Ouais, mais j’ai hâte le lundi de me remettre sur ma planche et s’il ne fait pas beau le dimanche, je bosse. Il y a bien sûr des planches moins rigolotes à faire quand il y a du blabla mais je trouve toujours dedans un truc marrant, intéressant, un petit challenge à dessiner. Je n’ai jamais eu le syndrome de la page blanche. Je me suis par contre demandé après Tomcat, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire !

Je me suis dit avec les années 30 que ça pouvait être sympa et quand j’en ai parlé à mon copain, Edouard Rousseau, celui qui a fait le dossier final dans Tomcat, professeur de l’art et écrivain émérite d’art, qui est fan d’avion comme moi et là, on a commencé à bosser ensemble et c’est un rêve. En plus, bosser avec un pote, on se marre, on fait les c..s, on est à fond et c’est drôle d’être avec un mec. Avec Paquet, ça se passe bien, c’est des gens charmants, il n’y aucun problème.

Bernard LAUNOIS

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Interviews

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Publié le 17 Octobre 2024

L’HÉRITAGE  FOSSILE, en route pour un aller simple

Un vieillard amoindri escorté d’une jeune enfant arpente un terrain des plus hostiles qui pourrait s’apparenter à un désert, balayé par les vents. Ainsi débute le récit qui se situe quelques 20 000 ans après le départ de la navette L’Héritage one pour rejoindre l’exoplanète Geminae. À son bord, quatre astronautes, Ryoko, Chana, Onye et  Reiz leur commandant, un milliardaire philanthrope, sans oublier la myriade d’embryons humains destinés à naitre sur Geminae. Seulement, comment rejoindre cette planète susceptible de pouvoir accueillir des humains après un voyage de 20 000 ans ? La solution réside alors dans l’utilisation de la biostase qui permettra de mettre l’équipage en léthargie avec des réveils tous les 25 ans afin de s’assurer que tout se passe bien dans la navette. Sauf que ce serait trop simple si le voyage se déroulait sans anicroche raconte Reiz, le père de Nova, la jeune enfant qui l’accompagne alors dans ses pérégrinations sur Geminae.

Qu’a-t-il pu se passer pendant tout ce trajet, que sont devenus les compagnons de Reiz ? Des questions que Nova ne pourra s’empêcher de poser…

Si le scénariste Philippe Valette nous a habitués au récit humoristique là, le registre ne s’inscrit pas dans la franche rigolade. Mais ne boudons pas notre plaisir de découvrir un scénario de science-fiction plutôt bien ficelé où la grande aventure promet son lot de surprises avec des retournements de situation et ce, jusqu’au mot fin.

Alors, à l’heure où le secteur privé s’engage à coup de milliards dans la course effrénée de la conquête spatiale pour des raisons assurément mercantiles, Philippe Valette amène le lecteur à s’interroger notamment sur le devenir de telles entreprises. Mais c’est aussi une réflexion sur l’avenir de notre planète et cette soif de découvrir, qui sait, un monde meilleur à des milliers de kms.

Développés et réalisés comme un film, le script comme le dessin donnent la belle impression que l’on va pouvoir prolonger l’aventure sur la toile. Avec une réalisation totalement numérique, le dessinateur Philippe Valette transpose ses personnages dans un paysage en 3D avec des passages hyperréalistes que ce soit dans les tempêtes de sable sur Geminae que dans le vaisseau spatial, rendant le récit encore plus envisageable mais aussi plus terrifiant.

Assurément, un des meilleurs romans graphiques d’anticipation de cette année à dévorer sans plus attendre.

L’HÉRITAGE FOSSILE Philippe VALETTE collection Neopolis Éditions DELCOURT 288 pages, 34,95 €

Bernard LAUNOIS

 

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Coup de coeur Bernard LAUNOIS

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Publié le 14 Octobre 2024

QUAI DES BULLES 2024, les 25-26 et 27 octobre, à l’abordage de la 43ème édition !

QUAI DES BULLES 2024, les 25-26 et 27 octobre, à l’abordage de la 43ème édition !

A tous ceux qui désirent voir de belles expositions, rencontrer des auteurs, assister à des conférences et autres concerts dessinés, voir des projections en tout genre, etc… Quai des Bulles, s’avère le meilleur endroit pour profiter de toutes ces opportunités les 25-26 et 27 octobre 2024.

Si l’affiche 2024 du 43ème festival de la bande dessinée et de l’image projetée réalisé par Lisa Mandel tranche avec celle signée par Kerascouet en 2023, elle n’en est pas moins intéressante et remplira assurément son rôle de promotionner l’événement. Souhaitons-lui qu’elle reste dans les annales comme a pu l’être la mouette « boudeuse » de Guillaume Bouzard en 2015 qui avait fait couler pas mal d’encre à sa sortie et qui aura fini par devenir la mascotte de l’association et reprise sous toutes ses formes au fil des années pour le plaisir de bon nombre.

La continuité dans le changement, c’est ce qui caractérise une fois encore le festival Quai des Bulles avec toujours autant d’activités pour petits et grands, un plateau d’auteurs renouvelé, des expositions variées, un pavillon manga qui a connu un fort succès l’année dernière reconduit en 2024, des lieux d’animation avec le Palais du Grand Large, le quai Saint-Malo, le pôle culturel la Grande Passerelle mais également en intra-muros…

Des expositions, elles sont près d’une quinzaine réparties pour 6 d’entre elles au Palais du Grand Large avec notamment, Jim Curious, voyage au cœur de l’océan, Poltron Minet, Tom-Tom, Anna, Nana, Froga… de Bernadette à Anouk, Benjamin Flao, dessiner la nature, Lucas Harari et toujours dans l’ADN de Quai des Bulles, un focus sur les Jeunes Talents à qui l’on a demandé de Réimaginer la mer ; et pour les autres disséminées dans la ville que ce soit au Pôle Culturel avec Yojimbo, le samouraï vagabond, Le Château des étoiles : expédition Vénus à la Tour Bidouane, Los Angeles – Un dessinateur à Hollywood sur le Quai de Terre neuve, Hanbok : habiller l’oubli dans le Hall de la médiathèque, Pôle culturel La Grande Passerelle et Lisa Mandel, Nouvelle observatrice au Jardin de la Légion d'honneur.

Des prix, cette fois encore, avec le grand prix de l’affiche qui remplacera la lauréate de cette année, Lisa Mandel et qui aura la lourde charge de réaliser l’affiche 2025. Les prix du journal Ouest France et ceux de l’ADAGP, Jeunesse prix de la ville de St Malo ainsi que le concours jeunes talents, futurs grands noms de la bande dessinée qui seront exposés durant la manifestation.

Des contes à bulles, au nombre de trois, accessibles à tout public, consacrés aux contes des îles du Pacifique de Céline Ripoll qui sera accompagnée aux percussions par Jean-Jacques Barbette, avec les dessinateurs Alix Garin avec La légende du cocotier et autres contes de Tahiti, Manuele Fior avec Aotearoa, Terre des Maoris (légendes de Nouvelle-Zélande) et Benjamin Flao avec À l’ombre des moai (légendes de l’île de Pâques).

Des auteurs à foison, comme à son habitude puisque pas moins de 800 auteurs seront présents encore à Quai des Bulles et ce, avec tous les genres : bd franco-belge, comics, manga, qui seront répartis sur les 150 stands dénommés cette année, salon du livre.

Pas moins de 25 rencontres s’adressant à bon nombre de publics allant des jeunes au moins jeunes. Ainsi, vous pourrez notamment assister à la masterclass de Lisa Mandel invitée d’honneur 2024, une rencontre avec Sole Otero imaginée par Babelio.com ou encore Quand Tom-Tom et Nana nous inspirent avec Bernadette Després, Anouk Ricard et Laurent Houssin.

Enfin, pour les fondus de la toile, programmation chère à l’association, 13 projections de films sont prévues, allant de DragonBall Super : Broly à Stand by me en passant par Slocum et moi de Jean-François Laguionie, en avant-première.

Encore un programme à ne plus savoir où donner de la tête mais ce qui est sûr, c’est que petits et grands y trouveront assurément leur compte sur un festival programmé, si justement, au milieu des vacances scolaires de la Toussaint.

Bon festival !

Bernard LAUNOIS

 

 

 

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Divers

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Publié le 13 Octobre 2024

D’ORS ET D’OREILLERS, un conte bien singulier et pas si enfantin

Pour devenir la future épouse de Lord Handerson, rien n’est plus simple que de passer une nuit seule dans son château de Blenkinsop. Mais quel curieux stratagème que de proposer de coucher seule dans un lit perché si haut et à quel dessein ? Toujours est-il que toutes les prétendantes se voient renvoyées dans leurs foyers, sans aucun commentaire car elles ne font pas l’affaire sauf… Sadima, simple femme de ménage qui réussit l’épreuve.

Comment a-t-elle pu réussir ce test quand toutes les jeunes filles de bonne famille ont échoué ?

Mais à peine remise de son succès, voilà qu’elle apprend que cet exercice n’était qu’un hors-d’œuvre et qu’il va lui falloir franchir deux autres étapes pour se faire passer la bague au doigt. Reste à Sadima à poser ses conditions pour tenter les nouvelles épreuves, car elle est attendue pour faire la bonniche et voudrait des assurances d’être reprise par sa patronne à son retour si elle n’était pas retenue.

Voilà un bien singulier conte écrit par la romancière Flore Vesco, intrigant où le fantasmagorique a toute sa place. Alors que l’on s’attend à une histoire bien gentillette, le lecteur va très vite s’apercevoir qu’il n’en est rien et découvrir que les rôles de chacun des protagonistes ne sont pas toujours établis.

Initialement paru aux éditions de l’École des Loisirs, ce roman de littérature jeunesse qui s’adresse plutôt aux adolescents et aux adultes a remporté un fort succès à sa sortie. Il arborait une couverture illustrée par la dessinatrice Mayalen Goust, et l’on se doute que sa lecture avait suscité en elle un intérêt tout particulier au point de le mettre maintenant en image et ce, de quelle manière !

La dessinatrice Mayalen Goust nous a déjà ravis par ses séries Kamarades ou encore La Guerre de Catherine mais cette fois, son dessin casse, avec talent, les codes de la bande dessinée en s’affranchissant des cadres traditionnels, déroutant ainsi le lecteur autant qu’a pu l’être Sadima, l’héroïne du roman dans sa découverte du château et de ses habitants. Quelle sensualité dans ce dessin remarquablement mis en couleurs qui colle parfaitement au récit de Flore Vesco et à n’en point douter, cet opus devrait donner envie de (re)lire le roman.

D’ORS ET D’OREILLERS Flore VASCO/Mayalen GOUST Éditions RUE DE SEVRES 184 pages, 20,00 € 18/09/2024

Bernard LAUNOIS

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Coup de coeur Bernard LAUNOIS

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Publié le 10 Octobre 2024

LES ENFANTS DE L’EMPIRE, une adolescence bien singulière

Issues de la noblesse coréenne déchue et heureusement sauvés de la misère et de la déchéance, le jeune Jun Seomoon et sa mère doivent leur salut au riche marchand Monsieur Jo qui décide de les accueillir sous son toit avec sa fille unique Arisa.

Si Jun reçoit par sa mère, une éducation coréenne des plus traditionnelles, on ne peut guère en dire autant pour Arisa, attirée par les cultures japonaises et occidentales. Adulée par son père qui n’a plus qu’Arisa, celui-ci s’avère plutôt permissif tant sur les tenues vestimentaires que sur les fréquentations et le fossé entre Jun et Arisa ne va tarder à se creuser. Difficile de réunir ces deux univers diamétralement opposés, entre une Corée paysanne emprunte de coutume, souvent pauvre et une Corée tournée vers l’avenir, aisée.

Jun se sent redevable auprès du père d’Arisa et développe un sentiment d’infériorité, d’être un « bouseux » comme il le dit et surtout quand il se sent incapable de faire face à Arisa, cette jeune effrontée mais tellement attachante mais plutôt insouciante dans sa manière de vivre.

Après l’excellent Ciel pour conquête l’autrice coréenne Yudori nous gratifie d’une belle romance adolescente, sur fond de l’histoire d’une région qui va basculer dans la modernité.

Avec des dialogues souvent vifs qui témoignent de la fugue de la jeunesse qui les animent, ces deux adolescents que tout sépare mais également que tout rapproche, apparaissent comme chien et chat. Au travers de leur histoire, c’est tout un pan de la Corée où tradition et modernité s’affrontent que l’autrice fait découvrir au lecteur.

Bien mis en images et en couleurs, le trait fin et précis de Yudori sert parfaitement le récit dans le premier opus prometteur de ce diptyque.

LES ENFANTS DE L’EMPIRE YUDORI Hors Collection Éditions DELCOURT 224 pages, 19,99 € 09/10/2024

Bernard LAUNOIS

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Coup de coeur Bernard LAUNOIS

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Publié le 8 Octobre 2024

MITSUO, un émouvant voyage en monde intérieur

Sacha a décidé que sa vie tournerait autour de Mitsuo, sa bande dessinée préférée mais ce choix s’avère incompatible avec une scolarité dite normale. Alors que peuvent faire des parents désemparés lorsqu’on les convoque pour les inciter à mettre Sacha dans un établissement spécialisé car l’Éducation Nationale n’a pas les structures pour le prendre en charge ?

Si Malo, le père de Sacha, semble résolu à l’envoyer dans un établissement spécialisé, il n’en est pas de même pour Emma, sa mère qui refuse de voir son fils abruti par des médicaments et sans perspective d’avenir.

Emma reste convaincue que Sacha a besoin de vivre pleinement dans son univers d’enfant et que la seule planche de salut, serait pour elle de tenter de rentrer dans le monde de son fils pour mieux pouvoir l’en sortir ensuite. Elle décide alors de s’enfuir quelques jours avec Sacha pour vivre une expérience qu’elle espère salutaire pour tous. Elle est hébergée par une grand-mère qui comprend rapidement le désarroi d’Emma alors que Sacha vit dans son monde, et tout le monde joue le jeu pour s’intégrer dans l’univers de Sacha.

Seulement, le retour à la réalité va revenir comme un boomerang, cette absence injustifiée dans l’établissement spécialisé ne tardant à déclencher la machinerie administrative…

Le scénariste Jérôme Hamon aborde avec délicatesse et poésie un thème rarement évoqué en bande dessinée, les TDHA (troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) qui handicapent les enfants atteints par leur impossibilité de rentrer dans le moule d’une scolarité traditionnelle et qui plongent les parents dans la culpabilité et la volonté de faire que leur progéniture puisse être comme leurs petits camarades. C’est aussi un plaidoyer pour qu’enfin, les moyens soient donnés pour que notre système éducatif puisse intégrer ces enfants et accepter qu’il leur faille plus de temps pour s’épanouir au sein de ces structures.

Entre rêves assumés par Sacha et réalité non acceptée par Emma, Jérôme Hamon entraine le lecteur dans leurs mondes jusqu’à que soit dévoilées à la fin du premier tome de ce diptyque les raisons qui expliqueraient son état.

Qui de mieux pour rentrer dans cet univers que le dessinateur de la série jeunesse La boite à musique que Jérôme Gillet, alias Gigé. De l’univers fantasmagorique de Sacha à la triste réalité des parents qui doivent faire face aux troubles de leur enfant, Gigé magnifie le récit avec son dessin alerte, sans parler d’une mise en couleurs chatoyante.

Une belle réussite pour ce premier opus d’un diptyque qui ne devrait laisser personne indifférent.

MITSUO partie 1/2 Jérôme HAMON/GIGÉ Éditions LE LOMBARD 200 pages, 22,50 € 27/09/2024

Bernard LAUNOIS

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Coup de coeur Bernard LAUNOIS

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Publié le 29 Septembre 2024

SHINKIRARI derrière le rideau, la liberté A la recherche d’une émancipation

Shinkirari élève Chika et Sachi ses deux filles depuis leur naissance et constate depuis quelques semaines que ces dernières grandissantes ont de moins en moins besoin d’elle. Alors quel avenir s’imagine-t-elle sinon continuer à tenir sa maison et être à la disposition d’un mari continuellement absent et qui visiblement ne fait pas grand cas de son épouse ? Comme elle se lamente à le dire, « je connais tout de lui, de la taille de ses caleçons aux actrices qui ont sa faveur en passant par ses plats préférés » mais lui, que connait-il d’elle et surtout a-t-il envie d’en connaître ?

Reste à Shinkirari à voler de ses propres ailes… Et si son émancipation passait par une vie professionnelle, lui permettant de se réaliser et enfin d’exister autrement qu’au travers des tâches ménagères ?

La mangaka Murasaki Yamada s’immisce dans l’intimité de cette famille japonaise au gré du quotidien de Shinkirari, entre ses petites joies notamment avec ses filles et sa grande peine de ne pas avoir une vie plus épanouie. Avec des dialogues directs où mari et femme ne s’épargnent, Murasaki Yamada n’y va pas par quatre chemins surtout quand on apprend que ce recueil a été publié au Japon dans les années 80. On découvre au fil du récit son caractère novateur pour une époque où la liberté d’expression n’était pas de mise particulièrement quand elle concernait les femmes, le récit permettant de revenir sur une société japonaise encore embourbée dans un paternalisme notoire.

Avec un dessin réaliste de bon aloi dépourvu quasiment de décors, Murasaki Yamada incite le lecteur à se concentrer sur les personnages

Une mention spéciale est à apporter à la trentaine de pages consacrées à Murasaki Yamada permettant de mieux comprendre son cheminement et de revenir sur son parcours.

À découvrir instamment !

SHINKIRARI derrière le rideau, la liberté Murasaki YAMADA Éditions KANA 384 pages 18,50 € 30/08/2024

Bernard LAUNOIS

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 27 Septembre 2024

LA FABRIQUE DES NEWS, l’envers du décor d’une chaine d’info

Ouah, intégrer la rédaction de NewsTV, le graal pour Guillaume, alors fraichement sorti d’une grande école de journalisme, de pouvoir embrasser une carrière à la télévision et qui sait devenir un grand reporter. Catapulté dans le service de la matinale, le voilà confronté, aux cadences de travail infernales, aux horaires matinaux coincé derrière son écran à rédiger des sujets dont l’intérêt s’avère souvent piètre. Son rêve de partir sur le terrain enquêter s’estompe jour après jour et ne parlons pas de mettre en pratique ce qu’on lui a enseigné et qui sait, un jour ressembler à son idole, le journaliste Albert Londres.

Néanmoins, son rédac’ chef finit par le faire sortir, chaperonné par Gérard Picard surnommé « papa » un des plus vieux caméramen de l’équipe, un vieux briscard plutôt désabusé, nostalgique d’une période où il parcourait la terre entière et toujours prompt à ramener Guillaume à la triste réalité du journalisme d’aujourd’hui où un scoop en pousse un autre.

Avec ce récit, le scénariste et journaliste Pierre Millet-Bellando dresse un portrait des plus satiriques du métier actuel de journaliste et plus particulièrement celui des chaines d’information en continu. Dès les premières cases, le ton sarcastique s’impose, se moquant du pauvre Guillaume qui débarque dans un univers qu’il était loin d’imaginer même dans ses plus grands cauchemars. Ses collègues et de sa hiérarchie, toujours prompts à fournir de l’image et du son qui permettront d’avoir le meilleur audimat, en prennent pour leurs grades. Avec des dialogues alertes, les situations peuvent tour à tour s’avérer cocasses ou pathétiques et plonger le lecteur dans un abîme de perplexité de découvrir les coulisses de show médiatique.

Avec un dessin bien dans le ton du récit, M. Lerouge croque tout ce petit monde dans l’univers d’une salle de rédaction, sans parler des escapades dans la France profonde.

Avec cet album, le lecteur ne devrait plus regarder plus les chaines d’info de la même manière.

LA FABRIQUE DES NEWS Un reporter à la chaîne Pierre MILLET-BELLANDO/M. LEROUGE Éditions STEINKIS  168 pages, 20,00 € 19/09/24

Bernard LAUNOIS

 

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Rédigé par Bulles de Mantes

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Publié le 25 Septembre 2024

Haute enfance

Il y a Smurfeddine, le meilleur caillasseur de la banlieue de Tunis, le « Maillekeul Djaksonne » des quartiers : une forte tête prête à tous les défis, un vrai meneur de bande quoique plus fragile qu’il n’y parait. Il y a aussi Ghassen qui veut se prendre pour Rambo dégaine et vocabulaire à l’appui, un fils de riche que son père délaisse. Il y a encore Farid et sa tignasse blonde de « Françaoui », somme toute un bon gamin, aspiré par Smurfeddine dans l’estime duquel il s’acharne à rester. Et puis vient s’incruster parmi eux le petit frère de Farid, Slim, le Maradona des terrains vagues, innocent témoin de la virée de la petite bande.

C’est un monde d’enfants qui veulent devenir grands et qui désirent le prouver, mais face à eux se dresse l’implacable maitre d’école aussi brutal qu’énigmatique, symbole pour eux de l’étrange monde des adultes qui refuse de les laisser s’éclore. Les quatre gamins vont alors se livrer à une folle excursion au but inavoué, dont tous ne sortiront pas totalement indemnes.

Néjib avait déjà fait preuve de son art consommé de la narration dans la merveilleuse trilogie Swan. Il laisse de nouveau s’épanouir ici son sens du récit en nous embarquant dans l’univers que lui a inspiré son enfance tunisoise, et la tendresse de l’auteur pour ces mômes dont il conte la cavalcade initiatique affleure tout au long des pages. Le découpage de ses planches participe à l’immersion du lecteur avec des cases qui ont englouti toutes marges pour le plonger au cœur de l’intrigue, à en vivre les émotions de concert avec les petits héros de papier, à en ressentir les chocs dans les images qui se percutent. De ses quelques traits dynamiques au style reconnaissable Néjib donne chair à des personnages diablement vivants et expressifs. Ses aplats de couleur simples définissent efficacement les ambiances vécues, le bleu étincelant du ciel qui accompagne les enfants dans le gris des friches et des chantiers, le rouge sombre de la violence ou le jaune de l’évasion.

Dans un registre fort différent de ses précédents albums, Néjib nous attrape encore dans ses filets en nous régalant d’une histoire prenante au rythme effréné, qu’on lit d’une traite avec beaucoup de plaisir.

Haute enfance

Scénario et dessins Néjib

Editions Gallimard BD, septembre 2024

192 pages couleur, 26,00 €

 

Illustrations : Néjib © Gallimard BD, 2024

Jérôme Boutelier

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Rédigé par Bulles de Mantes

Publié dans #Chronique de Jérôme BOUTELIER

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