Interview de Romain RENARD pour son album REVOIR COMANCHE à l'occasion du festival Quai des Bulles 2024
Publié le 25 Novembre 2024
Revoir Comanche, prix coup de cœur de Quai des bulles 2024, rencontre un vif succès qui méritait de revenir avec son créateur sur la création de cet album, son attachement à la série Comanche et plus particulièrement à l’album Le ciel est rouge sur Laramie.
Revoir Comanche peut se lire sans que l’on connaisse la série mais n’aviez-vous pas derrière la tête, de donner l’idée au lecteur de plonger ou replonger dans cette série mythique ?
En fait, c’était important pour moi de faire un livre qui pouvait se lire indépendamment de la série Comanche pour la simple et bonne raison que j’avais envie de travailler sur le mythe et travailler sur la mémoire. Et travailler sur quelque chose qui s’est passée, on ne sait pas si c’est vrai, c’est faux. Après, je considérais que tout ce qui avait été écrit par Greg et dessiné par Hermann était une histoire vraie et à partir du moment où je dis que ça, c’est une histoire vraie, il y a déjà un paquet de flingues et de cadavres qui trainent sur la route… Et à partir de ce moment-là, j’ai commencé à avoir un début d’histoire, de quelqu’un, avec qui ont vit avec ça. Comment vis-ton après 50 ans à avoir vécu ça ? Et c’est ça qui m’intéressait, de raconter la dernière piste, la dernière route d’un homme et surtout qu’est-ce qu’on fait de ça, qu’est-ce que l’on laisse, qu’est-ce qui restera de tout ça et, qu’est-ce qui restera de nous ?
Comment vous est venu l’idée d’imaginer un opus qui reviendrait sur une série culte telle que Comanche, série écrit par Greg et dessiné par Hermann, puis Michel Rouge ?
Très simplement, il y a 2 ans, on me propose de rejoindre le mook, journal de Tintin spécial 77 ans et, c’était pendant le repas, le nom de Comanche arrive à mes oreilles et très vite, je commence à avoir une histoire et à la fin du repas, je savais que j’avais une histoire de plus de 6 pages. Mais au lieu de ça, je propose plutôt à mon éditeur de faire un livre sur Comanche plutôt que ces 6 pages où je choisirais un autre héros. Et 2 ans après, voilà le résultat !
Qu’est-ce qui vous a marqué dans cette série pour vous donner l’envie de faire un récit alors que les personnages sont au crépuscule de leurs vies ?
Bah, la fameuse dernière page du Ciel est rouge sur Laramie, évidemment ! Le moment charnière dans la bd franco-belge où un héros du journal Tintin va abattre froidement un homme désarmé.
Il fallait l’oser, à cette période-là…
Exactement, quelqu’un sans arme qui meure dans les poubelles. Et là, j’avais un départ d’histoire avec ça.
C’est vrai que Greg était un formidable conteur associé à Hermann, un remarquable dessinateur, le duo était plutôt fantastique.
Complètement.
Quels arguments donneriez-vous pour donner envie de lire votre bande dessinée ?
Faites-moi confiance ! (rires)
C’est évident pour ceux qui vous connaissent mais pour ceux qui vous découvre… Je suppose que vous avez déjà des retours sur le ressenti des lecteurs ne serait-ce que lorsque l’on voit le succès en séance de dédicaces
Excellent !
Pour le lecteur qui vous découvre avec cet album, pouvez-vous revenir sur votre technique graphique ?
Pour Melvile, j’ai travaillé de manière traditionnelle, au fusain et au feutre. Je travaille tous mes flous au feutre puis je reviens, petit à petit, dans les détails avec du fusain, beaucoup de matière du fusain. Et puis, il se fait que je suis en train d’adapter Melvile pour le cinéma d’animation, le film sera terminé d’ici 2 ans mais j’ai dû beaucoup, beaucoup, travailler ce que l’on appelle la bible graphique du film pour rendre ce fusain animable et ce, de manière numérique. Et donc, on y est arrivé et c’est fort de cet enseignement-là que j’ai utilisé cette technique. Pour cet album, c’est donc du fusain numérique, de brosses que j’ai créé, de matières que j’ai créé.
Ce qui a changé aussi, c’est mon rapport à la narration, au scénario parce qu’en plus du film, j’ai développé, en tant que showrunner, une série télé qui se tourne en live au printemps, à Bruxelles. J’ai travaillé 3 ans sur le scénario avec un co-scénariste qui s’appelle Olivier Teulé. Et me confronter à l’écriture sérielle pour la télévision a complètement changé ma manière d’écrire. Et donc, je pense qu’il y a dû avoir…
C’est des contraintes…
Des contraintes, des codes aussi, de travailler en 4 actes, par exemple, chose que je reprends dans le livre. Par exemple, à la fin de l’acte I, on sait que l’aventure commence, on sait que l’histoire commence que ce soit une romance, de la SF, voire un film d’horreur, la fin de l’acte I, les choses commencent. Voilà des choses que j’ai intégré dans ma manière d’écrire.
Pour certaines cases, on sait que ce n’est pas une image et pourtant ça y ressemble, c’est bluffant !
Mais, je me suis beaucoup inspiré de photos de Walker Evans, par exemple. Dorothéa Lange. Je regarde le cadrage, la matière aussi. Le grain de ces pellicules que j’essaie de reproduire dans le dessin.
Être et avoir été ? Vaste et grave sujet auquel tout être humain est amené à se poser et ce, souvent quand il y a une rupture entre ce que l’on pouvait avant et que l’on ne peut plus, est-ce aussi ce thème que vous avez voulu aborder avec Red Dust, le personnage principal ?
Complètement ! En fait, depuis la fin de Melvil et le début de Revoir Comanche, j’ai perdu mon père qui était quelqu’un. On a tous un père mais ce père-là était très important pour moi. Il a été aussi auteur de bande dessinée et il a formé beaucoup de gens. Il a créé une école, dans le sens large, en termes de bande dessinée et je ne suis pas insensible au fait que l’on pourrait l’oublier. Et donc, bah ça questionne : être ou avoir été et toute la question est là !
Il me semble que Red Dust du récit ressemble furieusement à Hermann aujourd’hui, me trompais-je ?
Eh bien non, détrompez-vous ! Je pense que c’est totalement inconscient parce que j’avais en tête, Jim Harrison mais je me suis planté ! (rires) En plus, je n’aurais même pas osé y penser, le mettre en scène. Déjà, je lui prends ces personnages alors si en plus, je le crapahute dans le désert…
Alors, vous lui avez parlé de votre projet ?
Jamais ! Et il a eu l’élégance de voir ça à distance. Je suis au courant qu’il a beaucoup apprécié, je pense qu’il était rassuré que ce soit moi qui s’en occupe parce qu’il avait lu Melvil ou du moins, il avait vu les planches et il savait que je n’allais pas faire la même chose que lui et ça, c’était quelque chose d’important à ses yeux. De faire quelque chose de nouveau, d’inventer et d’apporter autre chose.
De faire revivre aussi une série…
Bah, Oui !
C’est important, d’autant plus qu’il a dessiné beaucoup d’albums depuis cette série
Je me rends compte que c’est une série que personne n’a oublié ! Cette série est fondatrice de beaucoup de choses notamment avec ses dernières pages du ciel est rouge sur Laramie.
50 ans après Le ciel est rouge sur Laramie, les héros sont au crépuscule de leurs vie, le mythe du Far-West a disparu depuis longtemps et la toute splendeur de l’Amérique en a pris un coup. Au travers de ce récit, vouliez-vous rappeler cette période révolue ?
Ce qui m’intéressait en fait, c’était de parler de la fin d’un monde mais d’une manière générale. La fin du monde de Red Dust qui a connu le monde dit de la frontière, Far West, du champ du possible. On ouvre l’espace et la frontière recule de plus en plus. Faut savoir que lui, au début de l’histoire, il est allé au bout de la frontière, c’est-à-dire l’océan pacifique, le bout de l’ouest, c’est la fin de son monde à lui. Mais dans les pages de Revoir Comanche, il y a des pages forward qui annoncent la fin du monde de Vivianne aussi et la fin du monde du fils de Vivianne aussi. Donc, ça parle de la fin du monde que l’on connaitra tous, même si c’est dans notre petit monde, on le vivra quoi qu’il en soit. Je dis souvent, on est dans un train et à un moment, on nous demande de descendre et quelqu’un prend notre place et le train repart. C’est une mélancolie tragique et heureuse en même temps mais vous savez comment l’on dit condamné en 2 lettres ? Né… Tout est dit dès le premier cri parce qu’on est condamné.
Les premières paroles de Ghosteen sur la beauté du monde, titre de Nick Cave sont reproduites en premières pages de l’épilogue. Fait-il partie des titres que vous avez écouté en réalisant ce récit ou simplement pour illustrer ces dernières pages ?
Toutes les citations, ceux sont des choses que j’écoute quotidiennement : Nick Cave, Bob Dylan, Léonard Cohen, Joan Baez, Jim Morrison, les Doors et qui ont nourri ce récit et après, j’ai composé moi-même les génériques du début et de la fin que l’on peut retrouver sur Spotify grâce au QR Code de l’album. J’ai toujours travaillé en musique et j’ai toujours été musicien. Ma fille, lorsqu’elle était à l’école toute petite, ne disait pas que je dessinais des bd mais que je racontais des histoires et c’est mon métier. Je raconte des histoires en bd, en film, en série et en musique, c’est pareil. Les citations de Ghosteen, l’ouverture avec Léonard Cohen, écoutez ce morceau sur son album posthume, tout est dit ! Et il me semblait, que terminer en épilogue avec The word is beautiful… Vous aurez remarqué qu’il y a un disque dur ensablé, la fin du pétrole, la fin de l’ère numérique qui est annoncé aussi, tout disparaitra.
Propos recueillis par Bernard Launois le 26 octobre 2024
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