Interview de Benoît Sokal et François Schuiten à l'occasion de la sortie d'AQUARICA t1
Publié le 14 Novembre 2017
A l’occasion de la sortie du premier tome du diptyque « AQUARICA » aux éditions RUE DE SEVRES, François Schuiten et Benoit Sokal ont répondu à ces quelques questions.
Comment est né ce projet, comment avez-vous décidé de vous lancer dans cette aventure ?
François Schuiten : Je ne sais pas si on a vraiment décidé ce projet par certain côté, on passe

souvent une partie de nos vacances ensemble dans le Sud de la France et comme on dessine ensemble, on continue nos récits, on est quand même attaché à nos tables de dessin, c’est notre destin, très vite, on évoque des histoires, des scénarios. Benoit a évoqué un petit pitch, une petite ligne narrative avec une idée que j’ai tout de suite trouvée emballante et puis j’ai l’impression que c’était parti.
Benoit Sokal : Au début, on ne savait pas trop où on allait, écrire une histoire et comme on avait tous les deux un lourd passé dans la bande dessinée, on s’est dit, on va essayé de trouver un terrain neutre comme par exemple le cinéma pour raconter ce genre d’histoire ; On a commencé avec une sorte de brainstorming dessiné car nous ne sommes pas des purs littéraires, des purs scénaristes. On n’est pas non plus des dessinateurs monomaniaques. L’histoire, la construction de mondes imaginaires, le scénario nous tient à cœur aussi. On a fait ça comme des scénaristes graphiques et un petit dessin vaut mieux qu’un long discours.
Au niveau du storyboard, vous avez travaillé à 4 mains ?
François Schuiten : Au départ un projet de film, donc beaucoup de dessin, beaucoup d’esquisses, d’études de personnages, de costumes, de situation, on a un nombre de dessin invraisemblables, on aurait de quoi faire 3 art book.
C’est donc un projet qui a mûri longuement ?
François Schuiten : Oui, ’est très intéressant les projets qui maturent car du coup, quand on y revient, on regarde un peu d’un autre œil, beaucoup d’acteurs sont intervenus qui ont bousculé le système. Ce qui reste, c’est l’os. A travers le temps, à travers 10 ans de pérégrinations, de script doctor (note de la rédaction : dans le milieu audiovisuel, une personne à laquelle on fait appel pour améliorer un scénario). Ce qui reste, ça c’est décanté et ce qu’il reste, c’est solide, c’est la moelle.
Les univers de François sont plutôt concentrés sur les villes, qu’est-ce qui vous a donné envie de situer votre récit sur le monde maritime ?
François Schuiten : c’est effectivement une image que je véhicule mais je ne fais pas que ça, je dessine plein d’autres choses, je travaille actuellement sur le nouveau blake et Mortimer. Les villes, c’est peu une étiquette mais ce n’est pas ça qui m’anime, c’est plutôt l’étrangeté, le fantastique et c’est ce qu’il y a au cœur d’Aquarica.
Benoit Sokal : En fait, on est surtout des topographes imaginaires quelque part. Je parle sous le contrôle de François mais je pense surtout que c’est de rendre crédible de nouveaux territoires.
Je vous sais sensible à la nature, avez-vous l’intention de laisser un message dans cette série ?
Benoit : Non, le principe de base pour nous, c’est de dire dans la bande dessinée, dans tous les récits populaires, on délivre plus facilement des princesses que des messages. Le plaisir pour nous, c’est l’aventure.
Si je comprends bien, le storyboard, vous l’avez fait de concert ?

Benoit Sokal : on a été approchés par des producteurs, très vite travaillé avec des script doctor pour l’aspect cinématographique des choses qui nous ont parfois été d’un grand secours ou parce qu’ils nous ont fait travaillé. Dans le meilleur des cas, on peut les assimiler à des accoucheurs qui nous forçaient à nous dépasser.
François Schuiten : c’est un très très bon exercice, je trouve que l’on aurait tous à gagner d’avoir dans les maisons d’édition des coachs de scénarios, des script doctor , ce que l’on appelle au Japon, des Tentochas pour un peu bousculer un certain nombre de facilité, de confort scénaristique. Quand Benoit a entamé le récit, la difficulté c’est que je ne savais plus où on en était, tellement il y avait eu de couches de scénarios ; je ne savais plus lire le scénario tellement ça se mélangeait à toutes les arborescences qui avaient été développées mais enfin, comme il connait son métier, il avait au moins, des potentiels exprimés qui allaient lui permettre de tracer plus facilement.
Benoit Sokal : Une partie des raisons qui m’ont poussé à faire cette bande dessinée plutôt que d’écrire un autre scénario, c’est que la matière était là et il suffisait de faire le ménage dans les différentes couches accumulées, ce que j’ai fais.
Au niveau du dessin, c’est vous Benoit qui avait réalisé l’album, vous avez évoqué au début de l’interview que vous aviez fait des dessins chacun de votre côté…
François Schuiten : Nous avons beaucoup fait de dessins ensemble qui ont été des éléments qui ont servis pour nourrir la préparation de l’album.
Benoit Sokal : l’idée en fait c’est que je pense qu’il est très facile de faire une illustration à deux, on en a fait, la page de garde a été faite à quatre mains. Par contre, la bande dessinée répétitive, c’est un autre dessin. D’ailleurs c’est pour ça que souvent, il y a des très grands illustrateurs mais dès qu’ils doivent se coltiner à la bande dessinée, ils s’effondrent parce que c’est vraiment un autre exercice. C’est quand même un dessin très particulier, beaucoup de répétitions, ces descriptions très exigeantes. On n’a pas toujours le choix du cadrage, faut que ça suive l’histoire.

On veut toujours un peu creuser les choses derrière pour être sûr que l’on ne fabule pas totalement, qu’on ne parte pas en vrille totalement.
Oui, il y a un côté fantasmagorique, néanmoins, il y a une base solide…
Benoit Sokal : Ce qui nous intéresse, c’est plus le fantastique littéral, dans son acception la plus littérale, c'est-à-dire, une espèce de glissement très ténu mais d’autant plus inquiétant par rapport à la réalité. C’est un peu notre religion.
Quelle technique a été utilisée pour la réalisation d’AQUARICA ?
Benoit Sokal : Tout, en fait, c’est des aquarelles, des encres, des crayons.
Comme vous avez réalisé des jeux vidéo qui supposent un traitement numérique…
Je considère l’ordinateur comme un crayon de plus. Je scanne toutes les cases que je fais, directement et à peine sèches et je les remodifie encore, la tonalité, les contrastes, la luminosité.
Interview réalisé par Bernard LAUNOIS le 4 octobre 2017 à la maison d'édition RUE DE SEVRES